Habituez-vous tout de suite, si ce n’était pas encore le cas : Mammon est le nouveau titre de série scandinave à connaître impérativement.
Cette fois-ci, l’heure de gloire est arrivée pour la Norvège, après que la Suède et le Danemark aient essentiellement occupé le devant de la scène jusque là. Le thriller de la chaîne publique NRK a en effet réussi la promesse d’être diffusé avec des audiences solides (un peu moins d’un million de spectateurs au mois de janvier), d’être renouvelé pour une deuxième saison, et d’avoir d’ores et déjà une adaptation américaine en cours de développement (en fait mise en chantier avant même la diffusion en Norvège).
A ce train-là, vous imaginez bien qu’il n’y a pas de temps à perdre pour les diffusions dans d’autres pays, et le Royaume-Uni pourra découvrir la première saison de Mammon la semaine prochaine sur More4… Notre heure viendra aussi, n’en doutez pas, puisque la série sera présente à Séries Mania le mois prochain.
Bref, quand je vous dis qu’il va falloir vous habituer à en entendre parler, ce n’est pas pour attirer artificiellement votre attention, donc !
Forcément, pareille réputation pique la curiosité ! Alors de quoi parle Mammon ?
Autant vous prévenir tout de suite, le pilote a un peu de mal à vous le dire. Amateurs d’un épisode d’exposition clair et pédagogique sur les tenants et les aboutissants d’une intrigue, Mammon n’est pas exactement taillée sur-mesures pour vous : le premier épisode accomplit une prouesse rare : nous plonger directement dans une affaire… alors qu’elle semble toucher à sa fin. Ce qui a pour effet immédiat de donner l’impression que tout le monde est au courant de ce qui se passe, sauf le spectateur, et qu’en plus on tire vers l’épilogue.
Ce n’est évidemment pas le cas : Mammon ne va pas s’abaisser à nous faire le coup de la séquence d’introduction suivie d’un retour en arrière.
Alors tentons de mettre un peu d’ordre dans ce pilote, afin de mieux en expliquer l’histoire, sans pour autant vous gâcher le plaisir lorsque vous découvrirez, c’est certain, ce premier épisode à votre tour.
Peter Verås est un journaliste enquêtant sur un scandale financier qui naturellement, a attiré l’attention du public. Hélas pour lui, la brigade d’enquêtes sur les fraudes a blanchi le président d’une grande compagnie, établissant que même s’il a touché de fortes sommes de façon inconnue, cet argent ne vient pas des caisses de la sociétés, et il n’y a donc pas eu malversations. Peter est pourtant sûr de lui (il fait toute confiance à sa mystérieuse source, l’énigmatique Sophia avec laquelle il ne communique que sur internet, et qui lui a confié certaines preuves), et, épaulé par son rédacteur en chef, il a vraiment tout tenté, avec l’équipe du journal, pour que sorte la vérité.
Le problème, c’est que l’affaire sur laquelle Peter travaille n’est pas purement professionnelle. Le président qu’il accusait de détournements de fonds n’est autre que Daniel Verås, son propre frère !
Lorsque Daniel démissionne de son poste de président à des fins de communication, et ce bien qu’il ait été blanchi par la brigade de répression des fraudes, Peter passe le voir à son domicile pour l’avenir qu’un dernier article paraîtra le lendemain sur l’affaire, plus complet que jamais. Les relations des deux frères, si elles ne sont pas exactement idylliques, ne sont pas au plus bas et ils se parlent encore relativement normalement ; après publication de l’article du lendemain, avec les nouvelles preuves en possession du journal, Daniel ne risque que 2 années de prison. En fait, il demande même à Peter de veiller sur son fils en son absence, bien que le journaliste s’apprête à enfoncer le dernier clou dans le cercueil de sa carrière.
Mais au moment de quitter la demeure de Daniel, Peter est retenu par un évènement totalement inattendu…
Ce n’est pas le sentiment de culpabilité de son héros Peter que veut explorer Mammon.
La série est un thriller avant tout. Cet évènement, sur lequel je garde le secret, et qui va tout changer, nous précipite ensuite dans un fast forward de 5 années exactement. En ce jour anniversaire, l’affaire de malversations de Daniel Verås connaît un étonnant rebondissement, et Peter, désormais journaliste au service beaucoup plus calme des sports, s’implique à nouveau dans l’enquête.
L’épisode démarre donc sur les chapeaux de roue, forçant le spectateur dés le départ à essayer de comprendre lui-même ce qui se dit, ce qui est sous-entendu, ce qui se trame, Mammon implique directement son public dans l’intrigue, pour ensuite lui faire subir des rebondissements très difficilement prévisibles, et lui transmettre une grande impression de confusion. Mais ce n’est pas un défaut ; dans l’univers très froid et maîtrisé de Mammon, où les gens n’ont généralement pas un mot plus haut que l’autre alors que ce qui se passe aurait des raisons de les bouleverser, l’émotionnel cède la place à l’intellectuel, créant un climat de déductions permanentes. Le spectateur, poussé à connecter en permanence ce qu’il perçoit et ce qu’il sait, finit par ne s’attacher à personne et ainsi à octroyer à chacun un mélange de suspicion permanente et de bénéfice du doute temporaire. En dépeignant une relation entre deux frères adultes qui a priori devraient se déchirer autour d’une affaire médiatique, et qui finalement se parlent entre gens civilisés, l’épisode pose les bases d’une réalité claire : il n’y a pas de gentil et de méchant, il n’y a que des zones de gris et des personnages complexes, aux relations complexes. Cela permet d’apporter une grande densité à ce début d’intrigue, et de poser les bases d’un ambiance parfaite pour un thriller sans effets de manche.
Ce n’est pas un hasard si la série est née grâce à deux frères, Vegard Stenberg Eriksen et Gjermund Stenberg Eriksen, désireux de reproduire la complexité de leur relation de frères dans un thriller plus vaste. Le peu de cas fait des autres personnages (et notamment l’enquêtrice de la répression des fraudes, pour l’instant très anecdotique en dépit de sa présence à l’écran régulière) montre bien que l’angle dramatique n’a pas été plaqué sur le thriller. Au contraire, les deux genres s’entremêlent afin de ne pas simplement lever le voile sur mystère entourant l’affaire centrale de Mammon, mais aussi, d’en explorer les personnages, leur implication personnelle, leur réalité en tant qu’humains dans une affaire en apparence dépourvue d’ingrédient émotionnel. Ce n’est jamais qu’une question de pouvoir ou d’argent…
Le monde de Mammon est par moments glacial, à la fois par son esthétique, par son sujet médiatico-financier, mais aussi par son traitement des relations entre personnages. A charge pour le spectateur de percer la couche de glace et découvrir la réalité des humains polis et sensés qui font mine de peupler son univers…
Tout est dit ;o)
L’ambiance froide est superbe : du travail d’orfèvre !