Retour sur Sangsokjadeul, la première série/saison sud-coréenne que j’ai réussi à terminer depuis une éternité et demie. Autant vous le dire tout de suite : ce ne fut pas sans effort. Persistance. Courage. Et un brin de fascination malsaine.
Mais je vous explique tout ça après l’image ; soyez simplement prévenus que, contrairement à la majorité de mes bilans de saisons, je n’ai pas réussi à écrire cette review sans y insérer des spoilers.
Sangsokjadeul, des gens avec de vrais problèmes
Tout commençait donc comme une romance téléphonée, l’une de celles dont, à mon goût, les Coréens ont le secret, qui remplit pleinement son contrat consistant à raconter comment un garçon et une fille qui se chamaillent sans arrêt sont en fait tombés amoureux l’un de l’autre ; mais pas avant une vingtaine d’épisodes de prises de bec et de love story contrariée par un ou deux prétendants extérieurs au duo. Pause respiration. C’est la recette qui me fatigue, et qui paradoxalement fait le succès de tant de romcoms sud-coréennes dans toute l’Asie et au-delà.
Ce qui m’avait plu dans le pilote de Sangsokjadeul, c’était précisément l’impression chorale de son premier épisode ; même s’il était clair que les éternelles bisbilles allaient une fois de plus servir de déviation inutile pour les deux héros principaux, il était assez clair que la structure à quatre personnages si courante en Corée du Sud n’allait pas ici être au cœur de la série. A cela s’ajoutait un autre plus-produit : le dépaysement offert par les plages de Californie, permettant de changer un peu d’air et de placer les choses dans un contexte un peu original. Ce qui ne pouvait pas être du luxe.
Un sur deux. Si Sangsokjadeul utilise très peu les ressorts de la romcom que je viens de citer, en revanche, compter sur Malibu pour changer de notre pain quotidien est un mauvais pari : après quelques épisodes, tout le petit monde qui avait fait le déplacement jusqu’aux USA boucle ses valises, et repart à Séoul. C’est un peu dommage, mais bon, le budget c’est le budget, hein.
Résultat des courses, la série devient presque simultanément très claustro ; pas au sens où tout se passe en intérieur, mais parce que contrairement à ses premiers épisodes qui donnaient une impression de liberté et d’infinité de possibilités (le monde pour terrain de jeu !), on revient un peu toujours au même contexte, à savoir la haute-société sud-coréenne, avec le même circuit immuable de décors. En s’enfermant dans un cycle demeure cossue/palace moderne/lycée chic, Sangsokjadeul enferme ses personnages dans un milieu ronronnant sans grande originalité. Et c’est triste comme un jour sans pain. Ou sans vin, en l’occurrence, vu que c’est exactement la raison pour laquelle au moins deux personnages sont alcooliques (l’un ouvertement, l’autre si on compte le nombre de bouteilles de vin qu’il descend piquer à la cave en l’espace de quelques jours).
Je vous accorde que cette sensation d’enfermement dans une cage dorée participe au thème majeur de Sangsokjadeul, à savoir : être riche, c’est atroce. C’est pas une vie. Franchement, je le souhaite à personne.
Ah oui, niveau contenu, on n’est pas exactement dans la dentelle. Sangsokjadeul est du genre à vous vendre du glamour non-stop en vous disant que c’est pas bon pour ce que vous avez. C’est bien, ça évite au spectateurs de se sentir mal pour n’avoir pas réussi à copier à l’identique les tenues des personnages ou la décoration de leur intérieur, quelque part.
Toute la série va très vite s’axer autour d’une dynamique : l’héroïne, Eun Sang, est très pauvre, mais chaque fois qu’elle pénètre dans le monde des riches, sa vie en devient plus calamiteuse. De son côté, Tan, bâtard qui a vécu ses dernières années en exil dans une immense maison de Malibu, revient dans sa famille riche et découvre qu’en réalité, il y est très malheureux. A Séoul, avoir de l’argent est donc la pire chose qui soit, et quelque part c’est universel, car l’argent ne rend jamais heureux, c’est bien connu. Au contraire, plus les protagonistes en ont, plus ils en chient amoureusement. Et tout le monde sait que l’amour est la seule chose qui compte, pas vrai ?
Ah, si seulement les problèmes de Sangsokjadeul s’arrêtaient là…
Mais pas du tout. Au bout de quelques épisodes a commencé mon drinking game ; il faut en effet savoir que Tan est un jeune homme de 17 ans extrêmement amoureux, mais que pour lui, amoureux signifie possessif, jaloux, suspicieux et, oh, eh, mon trait de caractère favori, c’est un stalker ! Il va passer deux-tiers de la série à suivre Eun Sang à la trace (pendant une bonne partie de ce temps-là, celle-ci n’est même pas au courant qu’ils vivent dans le même pays, et suspecte donc encore moins qu’ils vivent dans la même maison !), puis à lui reprocher tout ce qu’il aura réussi à percevoir de son existence. Elle a hésité à se plier à son moindre caprice ? Peste. Un autre lui a adressé la parole ? Traitresse. Elle n’a pas répondu à son appel lorsqu’il l’a jointe sur son portable ? Mais en fait tu m’aimes pas. Plus sexiste et obsessif, on fait pas.
Stalkie Stalker♪
Et le pire c’est que la pauvresse (littéralement) est tellement prise à la gorge par les questions d’argent, de caste sociale, de scolarité, etc., qu’elle le laisse faire sans protester, ou alors pas longtemps. Du moment où Tan a fait à Eun Sang sa déclaration (et ça se produit à la fin du DEUXIÈME épisode), il la considère comme acquise, et par-là je ne veux pas dire romantiquement acquise, mais comme une véritable possession. C’est maladif et totalement flippant. Sauf que dans une romcom coréenne, ça devient aussi un peu comique à regarder. Résultat, outre le fait que je me servais un shot chaque fois qu’il commençait à la suivre ou à apparaître dans son dos, j’ai commencé à chanter une petite chanson un peu idiote qui s’appelle Stalkie Stalker♪ et que je vous chanterais bien là maintenant tout de suite mais il me reste encore un peu de dignité. Mais mes voisins la connaissent par cœur.
Le plus fou c’est qu’Eun Sang n’a pas exprimé clairement ses sentiments avant une bonne QUINZAINE d’épisodes, et du coup mon enthousiasme était doublé par la perspective illusoire qu’elle allait le rembarrer à un moment et s’enfuir avec quelqu’un d’autre. Ou s’enfuir tout court. Vraiment, n’importe quoi aurait été mieux. Bon sur la fin, je ne vous cache pas que j’aie été déçue. Mais je reste persuadée que le syndrome de Stockholm n’y est pas pour rien.
Très vite on comprend que même si Tan a une fiancée, et qu’Eun Sang a un prétendant (plus un meilleur ami dont la petite amie est mortellement jalouse ; faut leur trouver des hobbies à ces gosses de riches, c’est fou ça), on n’est pas vraiment là pour regarder les obstacles amoureux se dresser entre les deux héros. C’est, je ne vous le cache pas, un soulagement, car très franchement je n’aurais pas tenu si la série s’était contentée de cela.
Au lieu de ça, Sangsokjadeul esquisse une critique de la fracture sociale sud-coréenne, et essaye de raconter comment il est impossible à ceux qui s’aiment de le faire par-delà leur milieu. Plusieurs couples nous sont ainsi présentés, tous en situation d’échec parce que l’un est riche, et l’autre non. Bon ça reste sur fond de romance, mais il se dit au passage des choses intéressantes, même si on finit toujours par retomber assez vite dans le soapesque et/ou le romanesque cliché.
« The call is from inside the house, Eun Sang ! »
Au milieu de ce fiasco que je qualifierais presque de guilty pleasure, si je croyais aux guilty pleasures, et s’il n’y avait pas de temps à autres un embryon de critique sociale, il y a quelques moments de bravoure offerts par quelques personnages qui achèvent de rendre la série regardable. Je mets évidemment de côté Eun Sang et Tan, calamiteux de bout en bout (l’une parce que son rôle est quasiment écrit comme un objet inanimé au bout d’un quart de la saison, le second parce que Stalkie Stalker♪), pour tirer mon chapeau à Young Do, bad boy de service étiqueté méchant, mais en fait incarné avec tellement d’humour qu’il en devient truculent ; Bo Na, jalouse en permanence au point de devenir l’amie d’Eun Sang, à force d’essayer d’éviter que celle-ci entre en contact direct avec son petit ami ; et surtout mes personnages favoris (et accessoirement tous des adultes) que sont Madame Lee, essentiellement pour sa classe naturelle et son talent pour remettre les gens à leur place ; la mère d’Eun Sang (jamais retenu son nom), bien plus futée que je ne m’y attendais ; et surtout, oh surtout, sa patronne, l’excellentissime Madame Han.
Ha, Madame Han, amour de ma vie, lumière des mes jours, qui par ses mines déconfites, son alcoolisme touchant, et surtout l’amitié qu’elle tisse lentement avec sa domestique, a su transformer certains épisodes franchement bof de Sangsokjadeul en réjouissance sincère.
Je n’aurais pas pu le faire sans elle. C’est l’un de ces personnages comme il en arrive une fois toutes les quinze ou vingt séries, qui de comic relief et accessoire totalement secondaire, devient le personnage le plus touchant et le plus imprévisible du lot. Et ça, c’était fichtrement important, pendant que je regardais, impuissante, Eun Sang se rapprocher de Tan malgré son tempérament flippant, comme on regarde deux voitures s’engager face à face dans la même rue à sens unique. Madame Han est un personnage qui s’est lentement ouvert à nous, dépassant les clichés qui lui étaient offerts au début de la série, pour accomplir le tour de force d’émouvoir réellement. Dans Sangokjadeul, c’est quasiment une contre-performance…
Madame Han, voulez-vous m’épouser ?
Vous l’aurez compris, les quelques jours passés avec cette série sud-coréenne (en tout ça m’a pris quelque chose comme dix jours de tout regarder, l’air de rien) ne relevaient pas de la poésie. Pour le coup de cœur, on repassera. Mais la légèreté partiellement assumée, le côté effrayant pas autant assumé (question : Stalkie Stalker♪, les spectatrices de Sangsokjadeul ont trouvé ça mignon, ou plutôt angoissant ?), les pointes de comédie, la romance contrariée, les décors répétitifs mais franchement réussis, en faisaient un divertissement entre l’horreur absolue, le roulement d’yeux quasi-continu, et le sadisme jouissif. Et une touche de musicalité, donc.
Stalkie Stalker♪
Bon, trève de plaisanterie, je finis Miss Korea et on pourra parler sérieusement de série sud-coréenne potable.