Donc j’ai fini Broadchurch. Par avance, merci de ne pas faire de commentaire sur le fait que ça ne m’a même pas pris 36h…
Le pire c’est qu’il n’est même pas vraiment possible de parler de coup de cœur.
Bien que Broadchurch soit un excellent drama, son côté policier laisse à désirer pendant une grande partie de cette première saison, et il m’est parfois arrivé de me dire que je ne finissais l’épisode que parce que ladite saison n’en comptait que 8. Au final, au moins deux d’entre eux (ça fait un quart, pour ceux qui sont pires que moi en maths) relèvent quasiment du remplissage, ce qui est d’autant plus irritant.
Je sais ce que vous allez dire : le côté policier est d’ordinaire ce qui m’attire le moins. Et. C’est. Vrai. L’explication de ce paradoxe tient peut-être dans le fait que le point de vue principal, celui des deux enquêteurs, nous amène à considérer les questions dramatiques comme secondaires, et à espérer qu’elles s’articulent autour de l’affaire criminelle. Or ce n’est pas le cas, d’où ma déception : la conclusion de la première saison de Broadchurch arrive comme un revirement de dernière minute que ne renierait pas l’ami Moffat, expliqué grosso-modo dans la dernière heure de la saison.
Ne devrait-il pas relever de l’évidence que l’enquête nous prépare progressivement à découvrir qui est le tueur ? A le prendre comme une conclusion logique ou une évidence, plus qu’un retournement de situation choquant ? N’est-il pas élémentaire, si vous m’excusez l’association d’idées, que la logique entre en jeu et qu’à terme, une série policière feuilletonnante prenne son relief sur la durée, et non sur la ligne du finish ? A plus forte raison pour une saison courte et écrite d’un seul tenant (je suis d’une forme olympique ce soir).
Certes, cela nous permet de ressentir de plein fouet le choc ressenti par un personnage en particulier au moment de la révélation du huitième épisode, mais ce n’est même pas le but recherché par la saison puisque nous découvrons le coupable avant ce personnage. Ce n’est donc pas que nous avons été épargnés afin de ressentir tout l’impact de ce revirement. Ce qui est d’ailleurs dommage, car l’empathie avec le personnage en question marchait très bien, que la relation s’était formidablement construite au fil des épisodes avec l’enquêteur qui lui fait cette révélation, et que finalement ç’aurait été un but parfaitement louable et facile à atteindre. Mais non.
Alors que reste-t-il de Broadchurch ?
Quelques excellentes performances, bien-sûr, mais on ne saurait s’attendre à moins de David Tennant, par exemple et pour ne citer que lui. Mais la liste est longue, et la réalisation toute en finesse aide énormément à ce que les prestations soient réussies, mesurées et fines.
En corollaire, on trouve également des portraits très forts, douloureux, de familles endeuillées, de personnes déchirées. La récurrence de la perte d’un enfant, si elle est parfaitement cohérente avec l’intrigue centrale de Broadchurch, prend parfois des tours insoupçonnés qui non seulement désarçonnent, mais interrogent sur la violence à l’égard des mineurs, comme finalement assez peu de séries quand bien même elles portent sur une enquête similaire.
Enfin, et dans la continuité du point précédent, il reste donc aussi une très belle écriture autour du deuil, que j’évoquais d’ailleurs hier dans mon article sur Secrets and Lies ; une exploration d’un thème difficile qui s’épargne un grand nombre de facilités ; ou, quand ces facilités sont employées, c’est afin de poser des questions qui sans cela auraient été inaccessibles (je pense par exemple aux évolutions de la famille Latimer). Le deuil éprouvé par la famille du petit Danny, mais aussi par toute la ville, est un très beau thème formidablement décrit.
Je ne peux évidemment pas omettre de mentionner la photographie magnifique et le don, tout britannique, de retranscrire l’atmosphère d’une communauté modeste (qui par moments m’a rappelé The Café). J’ai apprécié d’ailleurs que cette ville, avec ses lieux récurrents et ses points de rendez-vous pour les habitants, soit dépeinte sans la transformer en carte postale, tout en conservant une grande beauté dans les plans, les couleurs, et généralement, l’ambiance des décors.
Mais je ne peux m’empêcher de penser que l’enquête est un peu passée à côté du but d’une enquête. Que le temps qui lui est consacré n’est pas du tout proportionnel à son intérêt, et que dans ce cas, Chris Chibnall aurait pu sacrifier quelques fausses pistes pour se concentrer sur l’aspect dramatique, si vraiment le scénariste avait voulu ne pas juste faire du policier.
Dans le fond je suis contente de n’avoir pas regardé la saison au moment de sa diffusion, au Royaume-Uni ou en France. J’aurais encore plus ressenti un décalage avec les louanges qui ont semblé pleuvoir sur la série. Elle a d’extrêmement bons moments, mais j’ai du mal à comprendre une part de cet engouement ; démarrer (…et finir) mon visionnage en différé aura au moins permis de ne pas accroître l’impression de déception, et de profiter des qualités, puisqu’elles existent, sans rapporter trop souvent la série à sa réputation.
Mais après visionnage, je suis perplexe sur le principe de l’adapter aux USA. Ce que j’ai ressenti comme une faiblesse de l’intrigue policière, rendant d’autant plus important le ton de la série, la rend d’autant plus difficile à transposer. On le sait, ce qui change en premier dans un remake, c’est le ton ; essentiellement parce que le but est justement l’appropriation. Comment peut-on regarder une série qui travaille tellement sur son climat et son émotion, et se dire qu’on va faire la même chose mais en différent ? L’âme d’une ville côtière britannique va forcément être transformée, à tout le moins. Ce n’est même pas comme si la structure de l’intrigue policière de Broadchurch était révolutionnaire … alors comment on en arrive à pareille conclusion ?
Ça reste un mystère pour moi, de la même façon que le processus qui conduit une chaîne à commander une adaptation d’Utopia ; quand ce qui plaît est la tonalité, il faut parfois se contenter d’une diffusion (ou de co-produire la saison 2, au pire). Je garderai un oeil sur Gracepoint mais je suis pessimiste.
Bon, allez, je sais bien que j’ai l’air un peu négative, comme ça, surtout pour quelqu’un qui a regardé 8 épisodes d’une série en moins de deux jours. Peut-être que finalement, j’ai quand même beaucoup été influencée par les retours positifs…