Imaginez, si vous le voulez bien, que nous ne vivions pas dans une République, mais une monarchie. Attention : pas une monarchie parlementaire, comme le Royaume-Uni ou l’Espagne. Oui, en fait, quasiment une dictature, si l’on y réfléchit bien. Mais une dictature de droit divin, ne vous déplaise.
C’est le lot des habitants de Gilboa (gentilé à inventer), qui vivent sous le règne du bon soi Silas. Hm. Sous le règne du roi Silas, disons.
La vie n’y est pas spécialement facile, car le royaume fraîchement construit et à la prospérité toute neuve est en guerre contre l’ennemi voisin, Gath, alors même que quelques années plus tôt, une autre guerre avait déjà ravagé les deux pays. Dans ce contexte tourmenté est née Shiloh, la capitale de Gilboa, une ville moderne qui n’est sortie de terre que récemment, symbole de la reconstruction du pays et de son avenir en théorie radieux. C’est à Shiloh que le roi Silas et sa cour prennent les décisions qui influeront sur la vie de tous les Gilboiens. Gilboais. Gilbonais ? …Les habitants de Gilboa, donc (gentilé toujours en suspens).
Comment Silas est-il devenu roi ? Il aime à raconter cette puissante anecdote : une couronne de papillons s’est formée sur son front, lui indiquant à quel Destin important le destinait Dieu ; les papillons sont devenus depuis l’emblème de Gilboa. Dans les faits, ce qui a un peu aidé, c’est quand même que Silas a épousé Rose, dont William Cross, le richissime entrepreneur de frère, a permis de financer le projet de Silas pour accéder au trône, unifiant ainsi trois royaumes en un (et destituant dans la foulée les rois de Carmel et Selah).
Aujourd’hui vieillissant, mais surtout aigri par les années d’exercices du pouvoir, Silas sait que tenir son royaume tient à peu de choses ; il pressent aussi qu’il n’est pas éternel. Se pose alors la question : qu’adviendra-t-il de Gilboa ? Hélas pour lui, il n’est pas le seul à se poser ces questions.
C’est ainsi, ou presque, que commence Kings, une brève série diffusée par NBC il y a de cela bientôt 5 ans. Conçue comme une version réimaginée de l’histoire biblique du roi David (si vous avez vu la série brésilienne Rei Davi et/ou que vous n’avez pas séché vos leçons de catéchisme, cela vous parle probablement plus qu’à moi), la série n’aura hélas pas réussi à frapper le public, et, rapidement déplacée dans une case-mouroir, a disparu rapidement des écrans. L’an dernier, j’ai décidé à la faveur d’une promo de m’acheter le DVD et de revoir la série ; c’est là que j’ai réalisé que, diantre, je n’en avais jamais vu la fin en dépit de l’excellent souvenir que Kings m’avait laissé. Laissez-moi donc vous embarquer dans une review de toute l’unique saison de cette formidable série sur le pouvoir.
Si vous n’avez pas envie d’une lecture détaillée de 712 paragraphes sur le sujet, vous pouvez vous arrêter là : vous savez tout ce qu’il est nécessaire de connaître sur Kings ; ça, et le fait qu’il faut absolument la regarder. Pour les autres, on se donne rendez-vous après l’image pour la review de détail, qui inclut quelques ponctuels spoilers.
Dans l’univers de Kings, il existe un homme que le pouvoir n’attire pas et il est, osons le dire, l’exception qui confirme la règle. David Shepherd est un garçon de la campagne qui va se retrouver impliqué bien malgré lui dans la vie de la famille royale, après avoir sauvé, sur le front, la vie du fils de Silas.
David est notre agent infiltré dans ce monde pourri qu’il va découvrir à nos côtés ; il est nos yeux, nos oreilles et notre âme, car évidemment, le spectateur ne saurait être autre chose qu’innocent et plongé dans un monde pourri. David est notre cheval de Troie qui pénètre derrière les bonnes paroles et les professions de foi pour réellement nous montrer ce qui se passe à la cour du roi. En sauvant la vie du prince Jack, sans même vraiment essayer, David devient un héros à la fois pour la nation de Gilboa, et pour le spectateur. Invité à la cour, il attire l’attention des médias, et donc du roi, désireux d’utiliser ce nouveau pion à son avantage. Mais David, lui, a les yeux sur la princesse Michelle, dont la beauté n’a d’égale que la douceur…
Problème : tout en reconnaissant la valeur « marchande » de David pour son image auprès de ses sujets, Silas découvre aussi bien vite qu’il lui faut craindre le jeune homme. Sous ses yeux, David reçoit en effet une couronne de papillons se posant sur son front…
Je suis très, très peu versée en lectures bibliques (…quoique, une fois, j’ai lu le début de la Genèse, quand même !) et, en tant qu’athée, la réutilisation de la parabole du roi David m’émeut assez peu. Fort heureusement, Kings, si elle se fait résolument forte d’établir de nombreux parallèles avec l’œuvre originale, apporte aussi énormément par elle-même, et évite tout prosélytisme. Le but de la série est clairement de nous parler d’ambition et surtout de pouvoir, et d’utiliser ponctuellement la foi pour en faire une lecture la plus complète possible.
Le pouvoir : comment l’acquérir, comme le garder, comment l’utiliser même quand il appartient à un autre, comment garder la tête froide lorsqu’on le détient, comment le lâcher quand le moment semble venu mais qu’on y est tant habitué, comment ne pas se laisser détruire par lui, comment ne pas le laisser détruire ce que l’on aime… Kings n’est à ce titre pas tant une série purement politique qu’une série tragique. Ses personnages les plus retors ne se distinguent pas parce qu’ils sont mauvais, ou animés par une ambition destructrice qui les a déshumanisés (comme c’est le cas pour les héros de Boss ou House of Cards), ce sont, profondément, des humains complexes que le pouvoir corrompt et blesse en même temps, mais qui, aspirés par le pouvoir, ne parviennent pas à s’en éloigner. Cela leur est vital. Cela les console de tout ce qu’ils ont sacrifié pour l’avoir. Pensez Gollum. Kings rappelle d’ailleurs par bien des égards d’autres textes classiques que la Bible : il y a du Shakespeare dans l’écriture, par exemple. En fait il semble parfois y en avoir jusque dans les dialogues !
Une grande partie du propos de Kings sera précisément de quantifier le prix à payer pour acquérir ce pouvoir, essentiellement du point de vue de Silas, qui paye cette dette perpétuellement, mais aussi pour les autres personnes de son entourage.
Dans cet univers de compromission, certains personnages semblent plus purs, voire meilleurs que les autres. Mais Kings les regarde à travers le filtre de la cruauté du pouvoir et, bien que leur dignité les honore, elle aura aussi ses limites. L’exercice du pouvoir, mais même sa simple proximité, corrompent jusqu’aux âmes les plus blanches. L’ascension progressive de David le prouvera.
Mais en s’efforçant aussi de nous raconter comment David devient un membre central de la vie du palais royal, Kings ne fait pas l’erreur de nous le présenter comme irréprochable. Et il a beau être notre héros, et celui de toute une nation, David ne fait jamais assez d’ombre sur les épisodes qu’on ne puisse voir clairement le personnage de Silas, puissant dans absolument tous les sens du terme. Celui-ci se révèle progressivement dans toute sa vulnérabilité, avec ses doutes, ses angoisses et ses regrets. Il exerce le pouvoir comme on frappe des ombres dans le noir : avec une force teintée de désespoir. Il agit en se sachant, à plus ou moins court terme, menacé ; on peut difficilement le qualifier de paranoïaque quand on voit ce qui se trame autour de lui ! Son problème, c’est surtout qu’il ignore qui, comment et quand ; une position intenable émotionnellement.
En découvrant que David Shepherd donne tous les signes d’un élu de Dieu pour accéder au trône de Gilboa à sa place, Silas va donc devenir un homme anxieux qui va tout essayer pour régler définitivement son problème. Il va d’abord tenter d’utiliser David, notamment aux yeux du peuple qui l’adore ; il va aussi essayer de l’évincer, de le supprimer, de le cajoler… il ira même jusqu’à le considérer plus digne que son propre fils de lui succéder ! Si dans les premiers épisodes, cette valse hésitation est un peu confuse, elle est véritablement maîtrisée pendant la seconde partie de la saison. Silas est un homme qui craint pour sa position, qui est terrifié à l’idée d’être écarté du pouvoir, qui est prêt à essayer de négocier avec Dieu pour rester le plus longtemps possible sur le trône ; mais ce n’est pas un « méchant », il est aussi touché par les multiples démonstration de loyauté de David, impressionné par sa valeur véritable, et désireux de régler, finalement, deux problèmes en un, en assurant sa succession avec un jeune homme qui, peut-être, ne le fera pas exécuter ou emprisonner, comme Silas l’a fait avec ses autres prédécesseurs. Et peut-être pourra-t-il alors vivre la vie dont il a toujours rêvé.
Car Silas n’est pas un roi heureux, le pouvoir au contraire lui pèse ; c’est là sa grande contradiction interne, avec laquelle il lutte en permanence. Il maintient dans le secret une famille secondaire, soigneusement mise à l’abri. Son jeune fils ignore que son père est roi, il vit avec une mère aimante et dévouée, sans faste, sans grandes pompes. Silas s’échappe régulièrement de Shiloh pour aller les rejoindre, loin de sa cour, loin, aussi, de sa manipulatrice d’épouse. C’est le refuge du roi, là où il est véritablement heureux, là où il se réfugie au propre comme au figuré. Mais il sait que sa soif de pouvoir l’en tient aussi éloigné…
Bien que Silas soit sans conteste le personnage le plus dense, le plus complexe et le plus humain de la série, les autres ne sont pas à plaindre non plus. Il y a de très beaux portraits dans Kings, la plupart éloignés des clichés de la série politique.
Ainsi, la reine Rose est une femme affable, qui gère la logistique du palais d’une main de fer. Mais derrière l’épouse calme qui ne semble veiller qu’aux menus des dîners d’État, il y a une femme qui ne s’est pas effacée mais a au contraire épousé parfaitement son rôle. Elle prend des décisions dans l’ombre, souffle dans l’oreille du roi, place ses pions avec discrétion et élégance, et quand tout ne fonctionne pas comme elle le souhaite, elle sait aussi user du pouvoir que lui confère la proximité avec le roi pour étouffer dans l’œuf toute tentative de lui nuire, à elle ou à sa famille (le sort de la ministre Katrina Ghent sera un tour de passe-passe assez magnifique en la matière). Fort heureusement, Rose est justement très attachée à sa famille, et n’est pas une individualiste comme l’est Silas ; elle veut le bien de ses enfants, ou ce qu’elle considère être leur bien en tous cas, et manœuvre dans leur intérêt de façon à ce qu’ils soient bien placés pour avoir autant de pouvoir que possible eux aussi. Elle ne ressent aucune forme de remords à demander à son riche frère de l’aide pour ses projets, mais ne considère pas ce dernier comme intouchable si jamais il peut nuire à Silas, Jack ou Michelle : la reine Rose n’a de loyauté qu’envers son mari et ses enfants. Enfin, cela dit, quand elle estime que c’est nécessaire, elle n’a aucun mal à déclarer une guerre elle-même à Gath afin de rappeler son mari à ses obligations ! Un personnage terrifiant, donc, d’autant plus qu’il semble pleinement conscient de toutes les compromissions et les sacrifices que son rôle exige. Mais toujours avec une posture si calme et élégante…
Les enfants du roi Silas sont des jumeaux ; pour quelques instants d’écart, c’est la princesse Michelle qui est la première-née mais, pour une raison qui ne sera jamais pleinement expliquée, elle ne peut prétendre au trône. Hier une enfant malade dont le sort semblait condamné, Michelle est aujourd’hui une jeune femme brillante qui s’investit dans les affaires du royaume, et qu’on pourrait presque considérer comme une lobbyiste. D’une grande compassion, elle va faire à plusieurs reprises la démonstration de sa grande bonté et de sa gentillesse, quand bien même cela la met dans un péril plus ou moins immédiat ; elle ne réalise pas forcément l’ampleur de son privilège, mais s’escrime à l’employer autant que possible pour le bien des autres. Rien ne lui serait pourtant possible si elle n’était pas la fille du roi… Et puis, Michelle, très pieuse, a un secret qui lui pèse de plus en plus : lorsqu’elle était malade, enfant, elle a juré à Dieu de lui consacrer sa vie s’Il désirait la sauver ; revenue quasiment d’entre les morts, elle a forcé son père à l’empêcher jamais de se marier, et vit donc avec ce vœux de chasteté qui, osons le dire, lui pourrit la vie car il la prive humainement, et la condamne à une grande solitude. Et plus encore une fois qu’elle rencontre David…
Benjamin à quelques battements de cœur près, le prince Jack est un homme qui semble ne jamais s’être remis de cette seconde position. Rien ne l’intéresse plus que de reprendre le trône de son père, le plus vite étant le mieux, mais malheureusement, il en est jugé très peu digne par son père et par, en fait, tous ceux qui le connaissent vraiment. Dans les médias, il apparait comme un homme à femmes charmeur, mais il dissimule sa vraie nature, car il est en fait un homosexuel qui vit caché. C’est véritablement le personnage le plus torturé de toute la cour de Shiloh, à plus forte raison parce que le royaume de Gilboa est très peu tolérant en matière d’homosexualité. Silas lui-même lui a interdit de laisser libre-cours à sa sexualité, comme une condition sine qua none pour prendre sa succession ; mais Jack, qui est tombé amoureux, le vit comme un véritable déchirement, entre amour pour un homme qu’il ne pourra jamais fréquenter au grand jour, et ambition dévorante. Il a aussi vaguement conscience de n’être pas un homme bon, de n’avoir pas ce qu’il faut pour être roi (il commence progressivement à découvrir que David a, lui, tout ce qu’il faut… et il le hait pour cela), mais il ne veut rien tant que la couronne.
Bref, Kings nous montre des personnages que le pouvoir abime, qu’ils essayent d’en user ou non. Ce ne sont pas seulement leurs intrigues qui défilent dans la série, la façon dont ils combinent leurs alliances ou au contraire œuvrent en secret, qui nous intéressent ici, mais bien les contradictions et les douleurs que s’infligent ceux qui sont au plus haut.
Le pouvoir, cette malédiction.
D’ailleurs, Kings se fait fort d’employer un vocabulaire mystique et/ou religieux. Tous ne croient pas en Dieu de façon égale (William Cross, par exemple, croit plutôt au pouvoir sacré de l’argent et d’une faction de mercenaires), mais il ne fait nul doute qu’Il est présent dans toute la série. Les personnages s’adressent à lui, en particulier Silas qui est convaincu qu’être roi lui donne la possibilité de converser directement avec Dieu ; il s’en prendra régulièrement à lui dans ses moments les plus troublés. Ou bien, Silas et le Révérend Samuels parlent de Lui comme d’un personnage à part entière de la série (Silas utilisant alors l’expression « votre patron » en s’adressant à Samuels), s’interrogeant sur le soutien qu’Il apporte ou non à tel personnage ou tel autre, sur celui qu’Il a choisi pour régner, sur ce qu’Il pense des actions de Silas.
La piété de Michelle, la foi indestructible du révérend Samuels, la croyance fragile et oscillante de Silas, sont des thèmes récurrents de la série. Gare à ceux qui ne croient pas en Lui et préfèrent croire qu’ils peuvent se débrouiller seuls ! Chaque fois que Silas aura l’orgueil de penser que sa royauté l’exonère d’écouter Dieu ou plus simplement de respecter la parole divine, il lui en coûtera cher.
Kings ne se cantonne cependant pas aux références bibliques, ni aux incantations. Une certaine dose de paranormal se glisse dans la série, par moments.
L’épisode qui revient sur la maladie de Michelle, par exemple, nous montre un roi Silas désemparé (une chose qu’on ne peut pas lui enlever, c’est qu’il aime sa fille de toute son âme), et est à ce titre impeccable. Au chevet de sa fille que tous les médecins disent mourante, Silas confronte Dieu une fois de plus, Lui promet monts et merveilles s’Il sauve Michelle ; mais ce n’est pas Dieu qui hante le pied du lit de Michelle, mais l’Ange de la Mort… Tout l’épisode, tourné alors que la ville est plongée dans le noir suite à une nouvelle manipulation de William Cross, est brillant dans sa façon de mêler l’Histoire de Gilboa, l’émotion d’un père, l’ambition de la reine… et même de tourner tout cela de façon mythologique, et nous faire croiser David. C’est certainement l’épisode le plus spirituel de toute la série, et finalement, il n’y sera pas tant question de Dieu que ça… en fait, j’irais même jusqu’à dire que c’est l’épisode le plus athée de toute la série, puisque Silas comme Michelle font finalement plus un pacte avec eux-mêmes, qu’avec Dieu. Seuls, ils vont s’imposer une promesse intenable, sous le coup de la fièvre ou de la douleur. C’est le rapport à leur propre foi, à la façon dont elle peut leur nuire, que cet épisode interroge.
Malgré ses intentions plus que louables sur bien des sujets, Kings n’est pourtant pas sans défaut. Elle se cherche pendant les premiers épisodes ce qui, quand on a une ambition de complexité, est forcément un grand défaut. Elle tente par exemple d’apporter plus d’action à travers des séquences sur le front, à l’occasion de la guerre avec Gath ; si ces passages ne sont pas gratuits, il retardent grandement le déploiement des véritables intrigues, au prétexte d’être plus « abordables » pour le grand public. Ces premières hésitations ralentissent considérablement Kings, qui tarde à démontrer ce qu’elle veut véritablement faire, et surtout dire.
Certains épisodes sont même clairement construits comme des compromis au network : cette semaine, histoire de voir si on peut arrêter d’effrayer les spectateurs, on va simplement trouver une excuse pour envoyer Jack et David dans une mission. Et hop, on se lance dans un épisode qui ressemble curieusement à un épisode de The Unit, avec assez peu de fond derrière. Il y a de quoi s’arracher les cheveux.
Fort heureusement, l’immense talent des scénaristes de Kings est de ne jamais oublier de construire même sur ces passages décevants. Les épisodes les plus faibles finiront tous ou presque par prendre un sens à mesure que l’on approche du final ; pas tant, j’ai l’impression, parce qu’ils étaient dés le départ conçus pour, mais plutôt parce qu’en utiliser une scène, ou une phrase, dans un moment-clé, suffit à redonner de la cohérence à une série qui en a parfois manqué. L’intelligence d’une série ne se mesure, après tout, pas simplement au fait qu’elle est construite dés le départ comme une œuvre cohérente, mais aussi, voire peut-être surtout, à sa capacité à transformer ses échecs en réussite, à ne renier aucun passage, à finir par embrasser jusqu’à ses défauts pour les tourner à son avantage. C’est une démarche que peu de séries ont ; en général, quand des scénaristes se plantent, ils évitent totalement de ramener le sujet sur le tapis ensuite. Kings se veut plus valeureuse que cela, et sait qu’ignorer un passage ou tout un épisode, pour faible qu’il soit, ne peut que nuire à l’univers qu’elle tente de mettre en place. Assister, notamment vers les deux/trois épisodes finaux, à la façon chaque épisode plus inégal trouve une certaine forme de rédemption, impressionne plus que de se dire que tout était évidemment pensé dés le départ.
Kings a aussi parfois les yeux plus grands que le ventre ; sa volonté d’impliquer la politique internationale (avec la guerre contre Gath) va lui jouer des tours. La série pêchera alors par excès de complexité, en ajoutant des niveaux de lecture supplémentaires pour plusieurs évènements… s’obligeant ensuite à enterrer une intrigue pourtant centrale pendant plusieurs épisodes, au profit des conflits internes à la famille royale, simplement parce que si elle veut détailler les errances de ses personnages, elle ne peut pas continuer sur la voie de la guerre.
On ne peut clairement pas être partout ; même si Kings avait eu la certitude d’un renouvellement, il y a une limite à ce qu’on peut dire pendant un épisode sans perdre ses spectateurs. Et qui plus est, cette deuxième saison, elle ne l’a pas eue…
En revanche, la série s’avère bien plus fine lorsqu’il s’agit d’introduire un background historique à son univers, que ce soit par le biais de petites remarques fines, de quelques flashbacks, ou grâce aux entrevues du roi Silas avec son prisonnier, le roi déchu Vesper Abaddon, qu’il cache dans une geôle… mais qui est, étrangement, l’un de ses rares confidents.
Enfin, il y a aussi le regret de voir que plusieurs thèmes que Kings effleure ne pourront être utilisées totalement. A plusieurs reprises, la série va ainsi évoquer la question du pouvoir des médias, de la façon dont l’image publique des membres de la cour royale influe sur son sort entre les murs du palais. David Shepherd sera ainsi sauvé par la forte impression qu’il a faite sur le public, cela lui évitera parfois un sort tragique ; à l’inverse, Cross ou Jack emploient dans l’ombre leur pouvoir sur les médias pour manipuler l’opinion ou faire pression sur le roi Silas. Ces angles sont très souvent abordés, mais jamais en profondeur.
C’est d’autant plus dommage que contrairement aux autres séries politiques américaines (qui aiment tant à questionner les rapports du pouvoir avec la presse), Kings a l’opportunité de le faire avec une monarchie, et donc avec une plus grande liberté de ton, et quelques opportunités métaphoriques intéressantes. Ce sera le cas, mais la crainte constante de s’éloigner trop de ses protagonistes empêchera la série d’aller vraiment au bout de ses interrogations.
Malgré ses défauts (et son acteur principal qui, dans la peau de David, n’est pas toujours au niveau d’acteurs comme l’immense Ian McShane), Kings reste cependant un immense moment de télévision. Son final est à couper le souffle (je me suis aperçue que je ne l’avais jamais vu, mais j’en suis restée ébahie).
Par son intelligence, sa force, son ambition, la série est absolument unique. Elle a tout d’une série classique, jusque dans ses dialogues, superbes (ah ça c’est sûr, c’est un autre niveau de langage que ce qu’on regarde la plupart du temps), dans sa recherche esthétique, aussi, dans la façon dont elle met en place un univers cohérent, dense, et fascinant. Il n’y a pas d’équivalent à ce que Kings entreprend qui se retrouve dans une seule série.
Ça lui a sûrement coûté cher, de par ce qu’elle exige du spectateur ; nul doute qu’en la voyant, la baisse des audiences s’explique. Kings aurait, comme d’autres, été plus à son aise sur le câble, avec une pression différente au moins.
Mais elle offre tout de même 13 fabuleux épisodes que je ne peux que vous recommander le plus chaudement du monde.