Il m’arrive parfois de vous parler de ces séries que j’ai toujours espéré voir, mais qui se sont faites attendre. De vous dire que, oh mon Dieu, ça y est ! Parfois aussi de vous dire que l’attente avait, peut-être, conduit à une surestimation de ce que je voulais voir. Fort heureusement, aujourd’hui se présente le cas inverse : quand je suis encore plus comblée que je ne m’y attendais.
The LAB faisait partie, avec quelques autres (dont Andries Plak et Hopeville), des séries sud-africaines que j’avais absolument envie de découvrir ; Wabona, le service de VOD africaine qui en propose les épisodes depuis son ouverture l’an dernier, n’a rendu The LAB disponible dans la zone européenne que récemment, et j’ai donc sauté sur l’occasion !
Des présentations s’imposent, naturellement.
The LAB est à mille lieues du cliché de la série africaine, à plus forte raison si vous ne connaissez celle-ci qu’au travers d’extraits moqueurs diffusés dans certains « best of de la télévision du monde », comme j’ai pu en voir moi-même par le passé, et que je ne souhaite à aucun téléphage curieux tant ces montages sont stéréotypés à l’extrême. Au contraire, The LAB irait plutôt s’inscrire dans la famille (très réduite, reconnaissons-le) de The Good Wife, qu’elle précède d’environ trois ans.
Car le LAB n’est pas du tout un laboratoire médical ou pharmaceutique, mais un cabinet spécialisé dans l’investissement ; le nom du cabinet correspond à Lusipho, Atkins & Benghu, les trois associés fondateurs. A mi-chemin entre banque d’investissements et cabinet d’avocats d’affaires, la firme a pour mission essentielle de faire de l’argent sans rien produire de concret, mais plutôt en intervenant comme négociateur dans des fusions, des acquisitions, ou encore en misant sur des projets de développement.
Le premier épisode utilise une technique narrative assez courante, celle du nouveau personnage qui arrive dans l’entreprise et auquel il faut présenter les parties en présence, ainsi que les dynamiques. Mais The LAB pervertit un peu cet outil en nous proposant un personnage atypique ; contrairement à des séries qui préfèrent introduire un personnage un peu naïf et innocent, si possible jeune et inexpérimenté, pour faciliter les choses au spectateur tout en lui permettant de se lier à un premier personnage, alors qu’ils sont l’un comme l’autre bombardés d’informations nouvelles, la série pose d’emblée un personnage un peu antipathique, en tous cas résolument froid, comme son cheval de Troie. Pire encore, son arrivée est à la fois accueillie avec bienveillance et nervosité.
C’est que, Charles Khati, dit « Mingus », n’est pas un employé comme un autre. Ce Sud-africain revient d’années d’études puis de travail aux USA et au Royaume-Uni ; il est envoyé de la part de Lancaster International, une grande firme britannique qui souhaite confier une somme indécente au LAB pour des investissements. Il est donc là en reconnaissance, pour vérifier si cela vaut le coup pour la société d’ouvrir son porte-monnaie, à la suite de quoi il sera chargé de veiller aux intérêts de la compagnie au sein du LAB. Mingus est un psychorigide de la pire espèce, du genre à aligner ses stylos sur son bureau au millimètre près ; de quoi augmenter les réactions ambivalentes autour de lui, forcément.
Mingus est donc là plus ou moins pour auditer les méthodes de ses nouveaux collègues, lesquels n’espèrent rien tant que récupérer l’argent de la firme britannique qui deviendrait leur plus gros client. Mais si le nouvel arrivant est un peu désarmant pour le spectateur, ce dernier va vite découvrir que le LAB est peuplé de protagonistes autrement plus chaleureux et intéressants.
Ainsi, Mingus est pris en charge immédiatement par Vuvu Sibiya, responsable de la communication (interne et externe) de l’entreprise, une femme joviale et directe qui l’aide à s’installer. On s’aperçoit bien vite que Vuvu est la personnification du mot « humaine » ; elle a beaucoup d’humour, elle n’a pas sa langue dans sa poche, et elle n’hésite pas, non plus, à aborder des choses plus personnelles, quand le moment est approprié bien entendu. C’est elle qui va rapidement se positionner comme une alliée de choix dans la boîte, bien que n’ayant pas un rôle décisionnaire.
Ce rôle est évidemment partagé par Pearl Lusipho, la présidente du conseil d’administration, une véritable career woman très impressionnante et intelligente ; Monty Atkins, le PDG, l’un des rares blancs de la boîte, et un type s’embarrassant assez peu de heurter les autres pourvu qu’il s’agisse de faire de l’argent ; et Simon Bhengu, surnommé « Jaws », en charge des fonds d’investissement, extrêmement sympathique, sans doute un peu impulsif, mais dont l’excellent sens du contact est un atout vital lors de négociations tendues.
Et dans ce premier épisode, les négociations vont être tendues en effet. Le LAB accueille Mingus un jour plus tôt que prévu, ce dont les partenaires se seraient bien passé, car cela tombe au moment-même d’une discussion serrée entre une multinationale européenne spécialisée dans le pétrole, et un syndicat sud-africain. Pire encore, Monty et Jaws pensaient avoir totalement bouclé leur dossier, se sentant prêts à finaliser la négociation au nom du syndicat, et finalement ce dernier décide d’être représenté au dernier moment par Judith, une femme extrêmement agressive qui entreprend de défaire tout ce qui avait été précédemment discuté ! Tout ça sous les yeux de Mingus qui s’est imposé dans la salle de réunion…
Si The LAB m’a rappelé (certes anti-chronologiquement, mais bon) The Good Wife, ce n’est pas simplement parce que les bureaux modernes et brillants du LAB donnent presque envie d’aimer l’open space. On retrouve un talent similaire pour présenter à la fois une affaire qui sera bouclée pendant l’épisode (avec ses problématiques spécifiques et son suspense propre), mais aussi des intrigues personnelles, et enfin, de quoi poser un regard sur certaines réalités du monde des affaires, et de la société dans son ensemble. Les différents axes gravitent les uns autour des autres, non sans subtilement déposer des indices les uns sur les autres. Et surtout, sans jamais perdre de vue que la série a un propos, une vraie thèse, qu’elle souhaite défendre.
Les discussions entre les représentants de la multinationale et la syndicaliste Judith, par exemple, vont souligner combien les investissements étrangers, a plus forte raison venant d’Europe, sont encore perçus par beaucoup de Sud-africains, a fortiori noirs, comme une forme de colonisation, ou au moins d’oppression économique.
Dans une diatribe violente, Judith va s’en prendre au représentant de la multinationale ; celui-ci ayant refusé de donner 4% des bénéfices générés en Afrique du Sud aux employés, puis ayant refusé qu’un quota de fournisseurs soit réservé à des entreprises tenues par des noirs (90%, rien de moins ! alors que de son propre aveu il n’existe pas assez de sociétés remplissant ces conditions… mais qu’il suffit de créer un centre de formation !), elle l’accuse frontalement de s’inscrire dans la ligne de ceux qui « exploitent, violent et spolient ce pays ». Oui, on peut dire que les dons de négociations de Judith ont besoin d’une petite révision… mais sur le fond, difficile de ne pas trouver que sa position est fondée.
Pas d’épouse trompée placée devant des cameras ici, mais un effet de commentaire similaire, amené aussi par une autre intrigue : celle de Pearl qui est interviewée par une journaliste un peu étrange. Celle-ci, au lieu de lui poser trois questions comme initialement convenu, entreprend de faire son portrait et se fait embarquer dans le quotidien de la présidente, la suivant dans ses déplacements et rendez-vous tout en la bombardant de questions. Ces séquences d’interview, généralement assez brèves, ne sont pas tant là pour nous présenter le personnage de Pearl Lusipho (bien qu’on apprenne de petites choses, comme le fait par exemple qu’elle a une fille), mais plutôt pour nous présenter la philosophie de l’entreprise, et à travers elle, de la série.
Ouvertement, elle va ainsi expliquer que le LAB a été créé à la fin de l’apartheid, afin que noirs et blancs travaillent ensemble. Une part minimum de chaque investissement du LAB est ainsi toujours tournée vers des entreprises ou des commerces noirs, afin de sortir du système précédent qui ne privilégiait que les entrepreneurs blancs. Plus tard, lors d’une conversation pendant laquelle la journaliste va réellement la mettre sur le grill, Pearl explique qu’il y a désormais une classe moyenne noire en Afrique du Sud, qui n’existait pas avant ; qu’il faut plus de 10 ans pour défaire les conséquences économiques de l’apartheid ; et que même si elle est consciente qu’une majorité des noirs (qui eux-mêmes représentent une large majorité des habitants du pays) vivent encore dans la pauvreté, investir dans l’économie, progressivement, permettra de sortir le pays de cette situation.
C’est là que The LAB va être la plus brillante. Dans sa façon de nous parler d’économie, d’histoire économique, même, à travers des affaires modernes et en apparence glamour, où les sommes se chiffrent en millions (au minimum !), et où toutes les intrigues se passent dans des salles de réunion propres et lumineuses. The LAB, avec sa formule de legal drama/corporate drama intéressante, se propose de porter un regard lucide sur les réalités économiques de l’Afrique du Sud.
A côté de cela, les désaccords sur les méthodes de travail, les amours au sein du LAB (car il y en a !), les intrigues familiales de chacun (Mingus, en particulier, nous offrira une scène poignante), et les luttes d’influence, achèvent de compléter un pilote très fourni, très dense, mais jamais brouillon. Permettez que je me répète : c’est vraiment une version sud-africaine de The Good Wife… mais avec la prise de position d’une série légale de Kelley !
The LAB, qui d’ailleurs est produite par la même société qu’Intersexions (chose que je ne vous précise pas sans un sourire de satisfaction car cette série est vraiment à voir) mais aussi Hopeville, est un drama moderne, intelligent, percutant, mais pas froid et inhumain. L’humour y est d’ailleurs omniprésent, et la bonne humeur y est permanente car on sent que les partenaires du LAB sont très liés, entre eux comme à leur entreprise. Ce pilote n’a que des qualités, et il ne lui manque pas grand’chose non plus pour rivaliser, esthétiquement, avec des séries occidentales. En tous cas, ce n’est qu’une question de budget, et certainement pas d’ambition ni de compétence, et l’écriture est clairement au rendez-vous.
Je confesse cependant qu’en raison des accents (la série est majoritairement en anglais, et sous-titrée lorsqu’elle ne l’est pas, mais les accents sont parfois un peu difficiles d’accès), le second visionnage n’a pas été de trop ; mais c’est pas grave, ça coûtait rien de revisionner l’épisode sur Wabona. Je commence donc cette semaine africaine avec la plus chaleureuse des recommandations : The LAB, foncez.