Et la tendresse ? Bill !

21 novembre 2013 à 18:52

Il y a un an, presque jour pour jour, je me lançais dans une intégrale impromptue de Scrubs dont j’ignorais encore combien elle allait ravir mon cœur.
Ce genre d’émotions, ça crée des liens. Et bien que je m’abstienne soigneusement de regarder Cougar Town dont mes expériences passées m’ont appris qu’il valait mieux que je m’en éloigne autant que possible, j’ai fini par éprouver beaucoup de tendresse pour Bill Lawrence.

Cela se produit souvent. Le téléphage a besoin, après l’arrêt d’une série, de croire qu’il y a derrière la série qui a fait battre son cœur une personne, plus encore : une âme, qui continue d’exister et qui peut faire se reproduire cette magie ailleurs, si possible dans une autre série. N’est-ce pas ce genre de tendresse qui en pousse certains à guetter, le cœur battant, une série dont le générique affiche le nom de Joss Whedon, par exemple ? L’espoir que quelque chose a subsisté, que le charme peut opérer une fois de plus. La plupart de ceux qui suivent presque religieusement la carrière d’un showrunner ou parfois simple scénariste le font non pas pour chercher un univers : ils sont conscient que beaucoup de showrunners changent de registre avec aisance. En revanche, tous ceux qui sont prêts à signer des chèques téléphagiques en blanc à quiconque les a émerveillés une fois sont poussés par un même désir : revivre leurs émotions fortes passées. Et bizarrement, si l’envoûtement ne marche pas, sans rancune, nous laissons à ces scénaristes autant de chances qu’ils le souhaitent de nous électriser la fois suivante.
Nous sommes des accros qui ne redoutent même plus les bad trips, pendus que nous sommes aux écrits de nos dealers préférés. Aucune envie de se désintoxiquer, notez bien.
Le bad trip se produit, pourtant. Plus souvent qu’à son tour. En fait, nos attentes démesurées augmentent ses chances de se produire (mais nous restons sourds à toute logique en la matière).

GroundFloor-650

Voilà comment les choses bien souvent se passent : les yeux brillants, vous, c’est-à-dire le téléphage éperdu d’amour et d’espoir (mais quand même surtout d’espoir), lancez le pilote. En cet instant vous oubliez tout ce que vous avez lu, tout ce que vous avez entendu, les avertissements de vos camarades qui sont passés par là avant vous et qui vous ont pourtant prévenu : « c’est pas génial ». Intellectuellement, on a beau savoir qu’une comédie de TBS est rarement un chef d’œuvre de télévision (euphémisme), on se dit qu’il y a une petite chance de retrouver, vous savez, la « patte », ce petit détail qui va nous chavirer malgré tout. D’ailleurs les autres ne comprennent pas vraiment, ils n’ont pas ressenti ce que vous avez ressenti précédemment. VOUS, vous saurez apprécier.

Et puis les minutes s’égrènent et il faut bien reconnaître que ce n’est pas la panacée, que vous n’appréciez pas, et qu’on ne reconnaît pas l’ombre d’une patte. Vous aimeriez tracer des parallèles, peut-être réussir à décrocher le détail qui va vous réconcilier. Avec l’énergie du désespoir, vous vous réjouissez de la présence d’un acteur que vous appréciez (justement à cause de votre expérience précédente avec le showrunner), et tentez laborieusement d’ignorer avec toute la malhonnêteté intellectuelle dont vous êtes capable.
Difficile d’expliquer cet impératif que vous ressentez à trouver quelque chose à sauver -au moins aussi difficile que de trouver quelque chose à sauver !- mais vous luttez de toutes vos forces parce que sinon, il vous faudra admettre que vous êtes déçu par quelqu’un en qui vous aviez confiance. C’est ça le problème, vous avez oublié d’être objectif, ou même méfiant.

Alors vous évitez de trop réfléchir aux problèmes que pose cet épisode poussif et rempli de gags pas drôles. Vous essayez de ne pas vous dire que tel passage vous rappelle une autre série, puis une autre, plus une troisième ; s’en souvenir serait un début d’aveu que vous pourriez mettre votre temps à bien meilleur profit si vous étiez en train de regarder l’une de ces trois séries plutôt que ce pilote-ci.
Arrivé en fin de parcours, alors qu’à sept reprises déjà vous avez la main qui a glissé sur votre souris et qu’au dernier moment vous avez évité de fermer l’épisode en cours de lecture, vous vous sentez fatigué, les épaules lourdes et les yeux qui piquent : « chais pas ce que c’est, je dois couver un truc ». Mais la seule chose que vous êtes en train de couvrir, c’est l’échec que vous ressentez, parce qu’au bout de plusieurs années à regarder des séries, vous devriez avoir un entraînement de pointe face à un pilote décevant. Au lieu d’être dans la légion étrangère téléphagique, vous êtes soudain redevenu un bleu dans sa première opération sur le terrain ; vous faites même mine de sourire à une blague revue par faiblesse. Ca devient embarrassant non seulement pour les acteurs incriminés, le créateur de la série, mais aussi pour quiconque assiste au spectacle de votre visage qui se décompose progressivement devant l’écran.

Quand enfin l’épisode est fini, les joues en feu, vous fermez tout. Vous êtes en colère. D’abord contre le scénariste qui n’a pas su faire ce que vous le croyez capable de faire : c’est certainement une insulte personnelle qui vous êtes adressée. Mais dans le fond, vous êtes aussi un peu fâché contre vous-même d’avoir cru bêtement qu’une expérience télévisuelle, quelle qu’elle soit, pouvait être reproduite.

Vous faites le compte des pertes : ce n’était pas drôle, mais ça à la limite, admettons. Mais surtout, ce n’était pas tendre. Et ça, c’est vraiment la Bérézina.
Parce que vous n’avez commencé cette série qu’à cause d’une personne pour laquelle vous éprouvez vous-même une grande tendresse. Quelqu’un dont vous savez qu’il a bercé en son laptop une série elle-même d’une profonde tendresse se laisse aller à la facilité, mais dont vous réalisez qu’il se repose sur le jeu d’une actrice pour apporter une vague chaleur à son épisode (et c’est vrai qu’elle n’est pas détestable, cette actrice, elle a un petit quelque chose de likeable, mais ça n’est pas pour ça que vous êtes venu, vous étiez là pour l’écriture), qu’il sous-emploie totalement un acteur qu’il autorise seulement à recycler des blagues passées, et qui a finit par simplement empocher son cachet et ignorer totalement vos besoins. Comment ce scénariste se regarde-t-il dans son miroir le matin alors qu’il vous refuse ce que vous le croyez capable de vous donner ?

Que fait-on de toute cette tendresse quand elle a été déçue par un pilote médiocre ? On espère pouvoir la donner à une autre série. Mais cet automne, aux USA, la tendresse…

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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