Pathologie universelle

10 novembre 2013 à 0:12

FocussurlesSeriesIsraeliennes-650

A l’occasion du cycle « Focus sur les séries israéliennes » organisé par le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme ce weekend, je vous propose une série de reviews de pilotes venus d’Israël dans mes prochains articles.

Et quelle meilleure façon de commencer pourrait-il y avoir que de démarrer avec le pilote de BeTipul ? Rappelons qu’il s’agit d’une série qui a été adaptée aux quatre coins de la planète, et qui est, osons le dire, une pionnière ! J’ai eu la chance de voir plusieurs pilotes de ses versions internationales, comme j’ai eu l’occasion de vous le raconter à plusieurs reprises, mais jusque là, la série originale manquait à ma collection ; l’erreur est réparée, puisque le premier épisode de la série servait d’ouverture à ce weekend téléphagique.

Bien évidemment, il est toujours difficile de regarder une série originale après en avoir vu plusieurs adaptations ; les audiences d’arte pour Hatufim vous le confirmeront.
L’exercice est complexe déjà parce que, à la base, regarder le même pilote adapté dans différents pays a tendance à braquer le téléphage, aussi ouvert d’esprit soit-il : le problème de la répétitivité donne l’impression (certes erronée, mais le cerveau ne s’en souvient pas toujours) qu’on assiste à une fiction qui n’est pas originale. Ce qui est un comble !
A cela s’ajoute un autre symptôme assez courant en téléphagie, celui du « c’est le premier qui a parlé qui raison » : on a tendance à préférer ce que l’on a découvert en premier, quand bien même il s’agit du 10e remake d’une série qui au départ, proposait un concept révolutionnaire. En l’occurrence, se pose la question : la curiosité du téléphage, qui le conduit à regarder des séries de la planète entière, n’est-elle pas parfois une arme à double-tranchant ? Si je n’avais pas vu ce pilote 712 fois dans 712 langues différentes, mon ressenti serait-il le même ? Évidemment que non.
D’autant que peu de séries sont adaptées avec la même persistance que BeTipul ; j’ai eu l’occasion de vous l’expliquer en détails il y a quelques mois, chaque adaptation suit un cahier des charges rigoureux, au plan près ! Cela ne facilite évidemment pas l’immersion quand on a réellement vu l’épisode par le passé.

Alors dans le fond, est-il difficile d’apprécier BeTipul dans ces conditions ? Forcément un peu, je ne vous le cache pas. Pourtant, regarder la série qui est à l’origine de tant d’autres que j’ai testées par le passé revêt tout de même un caractère particulier, relève d’une expérience passionnante. Il ne s’agit pas de jouer au jeu des sept erreurs, au contraire c’est un piège à éviter. Mais il s’agit de comprendre quelles spécificités de la série ont, dés le départ, semblé suffisamment universelles pour être si facilement adaptées dans tant de cultures différentes.
Il s’agit d’essayer de faire abstraction de tout ce que l’on a vu, tout ce que l’on a lu, tout ce que l’on sait, et d’essayer d’être ce spectateur qui pour la première fois, pose les yeux sur un concept totalement inédit, une narration étouffante jamais tentée, et des personnages dans une nudité surprenante.

BeTipul-650

Le défi vaut la peine d’être relevé. Car le pilote de BeTipul… est moins beau que celui de la plupart de ses adaptations. Par moins beau, je veux dire qu’il semble moins abouti esthétiquement. Au lieu d’être un défaut, cela devient une qualité : le concept devient alors une œuvre plus intimiste que jamais (si c’était possible), où la recherche du plan parfait est délaissée au profit du plan qui va mettre le plus le personnage et les spectateurs en difficulté.
Un détail qui m’est apparu comme particulièrement parlant est celui du premier épisode, lorsque la patiente (incarnée par Ayelet Zurer dans la version originale, et Melissa George dans la version US) tente de se reprendre, dans la salle de bains de son psy, après avoir vomi. A ma grande surprise, et contrairement à la plupart des adaptations, la patiente israélienne ne se remaquille pas. C’est à l’image de la série BeTipul : une série sans maquillage où tout apparait tel qu’il est. Parce que tous apparaissent tels qu’ils sont.

C’est ce qui explique aussi que dés le premier épisode, dés le départ, le personnage du psy apparaisse comme plus atteint par ce qui se déroule lors des séances. J’ai trouvé Assi Dayan plus accablé, plus colérique aussi, dans ses réactions, quelque chose qui met du temps à se déclencher chez Byrne par exemple, qui porte très souvent un masque qui, bien qu’il se fissure, est plus difficile à cerner pour le spectateur. Là où Byrne intériorise, là où en fait, beaucoup des psys des différentes versions intériorisent, laissant à notre interprétation le ressenti du psy sur le moment pour ne finalement le décortiquer que lors de l’épisode hebdomadaire de SA thérapie, l’original fait moins de mystères.
Hagai Levi, créateur de la série, l’expliquera indirectement lors des échanges avec le public en expliquant qu’il s’intéressait à la méthode psychothérapeutique de l’analyse intersubjective, qui, loin de l’analyse freudienne ou lacanienne que nous pratiquons plus souvent en France, repose sur l’implication émotionnelle non seulement du patient, mais aussi du soignant. Quand un psy pratiquant la thérapie intersubjective ressent une émotion forte pendant une séance, il ne la garde pas pour lui, au contraire : l’exprimer participer de la thérapie. C’est véritablement criant dans ce que j’ai pu voir de BeTipul ce soir ; certains échanges sont même carrément brutaux, à un degré que dans le In Treatment américain (seule version que j’ai suivie au-delà du pilote, d’où ma comparaison plus appuyée) n’atteint pas ou très rarement.

Lors de la rencontre avec sa thérapeute, notre psy israélien déplorera que dans sa profession, « on manque de public », qu’il n’y a personne vers qui se tourner et dire « tu as vu comment j’ai mené la séance ? ». Je n’avais jamais ressenti, devant les autres versions, ce jeu de miroirs à ce point ; il faudrait que je ressorte mon DVD de la version américaine pour voir si cette phrase a été reprise (le contraire serait surprenant vu la façon dont la série est adaptée à la virgule près), mais si c’est le cas elle ne m’avait pas frappée.
On est vraiment mis en position non pas d’assister simplement aux séances, mais de juger le travail du thérapeute, malgré le fait que le public ne soit souvent pas de la profession. On ne le juge pourtant pas en tant qu’humain, mais bien en tant que professionnel : sa réaction est-elle justifiée, excessive, insuffisante ? C’est une réaction, d’après mon expérience, courante en tant que patient : on se demande quelle réaction tel ou tel propos va provoquer (et on est parfois déçu de ne pas obtenir celle qu’on attendait ; ce sera d’ailleurs le cas de la première patiente dés le pilote). Mais c’est le miroir que nous renvoie le psy qui est alors en cause, pas sa pratique. BeTipul met formidablement bien les choses en perspectives afin que nous questionnions la pratique-même du psy, que nous interrogions ses réactions et donc, à travers elles, sa méthode.

J’aurais donc découvert de nouvelles dimensions à une histoire que je pensais pourtant connaître par coeur. Ah, les joies de la téléphagie ne connaissent donc pas de limite !

Du coup c’est le cœur d’autant plus léger que je me prépare à me rendre, dans quelques heures, aux projections suivantes prévues par le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, avec notamment le revisionnage de deux pilotes que j’avais eu l’occasion de découvrir en VOSTM : Pilpelim Zehubim et Nevelot… Rendez-vous pour ces review également, pour la suite de ce weekend spécial Focus sur les séries israéliennes !

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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