Tout le monde cherche la bonne formule. Tout le monde veut trouver la recette du succès. Beaucoup cherchent à la décrocher sans passer par les chemins cent fois empruntés déjà. Certains osent l’innovation, s’aventurent en terre totalement inconnue.
Je connais mal Shonda Rhimes ; je n’ai pas regardé Grey’s Anatomy longtemps, vu uniquement le pilote de Private Practice, et très franchement… ça m’allait très bien. Quand Scandal a commencé, je n’ai d’ailleurs pas caché ce que je pensais de l’univers de la scénariste (le mot « abdication » a éventuellement pu être prononcé), et même si on n’était pas dans un registre totalement similaire aux deux séries l’ayant précédée, il faut quand même bien admettre que Scandal n’avait pas grand’chose pour me conquérir.
Deux revisionnages du pilote ont suivi. L’un au printemps ; je vous avais demandé si ça valait le coup que je tente l’affaire, vous avez été très prudents dans vos recommandations, et vous avez eu raison : j’ai tenu environ 10 minutes devant le tourbillon de moulin à paroles qu’est ce pilote. Mais devant l’obstinée admiration d’une grande partie de ma timeline, sur Twitter, devant les épisodes de Scandal (et parce qu’en ce moment je fonctionne essentiellement par marathons), j’ai finalement résolu d’entamer un deuxième revisionnage du pilote.
Un mot sur celui-ci, étant donné que je ne lui avais pas consacré de véritable review jusqu’alors.
Scandal commence sur une accumulation pénible de clichés narratifs. C’est d’autant plus épouvantablement insupportable qu’on peut voir tous les personnages parler plus vite que dans un concours de slam entre Aaron Sorkin et Amy Sherman-Palladino, mais on en est là, à les regarder se postillonner dessus d’un air très sérieux, absorbés dans la contemplation des vitres sales de leur briefing room, ou plus vraisemblablement dans la vague apparition de leur reflet, alors que concrètement tout est du déjà vu.
Olivia Pope, en particulier, est désagréable au possible. Elle n’a rien qu’on puisse trouver appréciable, et rien n’est fait non plus pour nous expliquer pourquoi elle est si brillante, si ce n’est qu’elle a Rhimes de son côté pour la porter aux nues et, au besoin, lui arranger le coup quand rien ne va. Confondant plus d’une fois l’intelligence avec l’esbroufe, Scandal va ainsi se commettre dans des échanges pompeux prononcés de façon à franchir le mur du son, mais n’accomplissant pas grand’chose de concret dans une intrigue ne dépassant pas le ras des pâquerettes. A cela faut-il encore ajouter la réalisation qui s’est trouvé quelques gimmicks des plus irritants et s’y accroche solidement comme si c’était la trouvaille de l’année, tels que le passage de la camera derrière des éléments de décor imaginaires obstruant au minimum 50% de l’écran, ou l’accumulation inutile de clichés photographiques moches avec un effet flash propre à donner des crises d’épilepsie. Il ne semble rien y avoir que Scandal parvienne à faire de façon sincère dans cette accumulation d’effets de manche ; tout est dans l’intention.
Mais c’est justement cette intention qui fascine, finalement, à bien y réfléchir. Même s’il est clair vite, très vite, que Scandal sonne en grande partie creux, l’idée est de créer un rendez-vous donnant l’illusion d’un drama haut de gamme, tout en évitant de faire des trucs intelligents et complexes qui pourraient, drame parmi les drames, semer les spectateurs qui roupillent à moitié devant leur écran le dimanche soir, gardant un oeil ouvert uniquement grâce aux images qui bougent et aux gens qui meublent l’espace sonore. Grosso-modo, Scandal, c’est tout ce qui fait The Good Wife, sans les qualités intrinsèques, compensées par des gadgets ostensiblement agités pour ne pas perdre le spectateur qui se tient en haute estime mais ne souffrira aucun effort.
A sa façon, Rhimes a trouvé le parfait équilibre entre les codes des procedurals, avec leur efficacité idéale pour s’adresser au plus petit dénominateur commun, et la volonté de construire une fiction feuilletonnante, qu’on dit être une espèce en voie de disparition.
Car c’est là que se loge la plus grande prouesse de Scandal, mais cela bien-sûr, je ne le savais pas avant de regarder la suite de la saison 1…
Très vite, il va apparaitre que les « affaires » acceptées par Pope & Associates, semaine après semaine, vont devenir secondaires, voire même parfois totalement anecdotiques. Tant mieux : elles sont généralement mal écrites de toute façon. Leur déroulement répond à deux impératifs, soit alternés, soit simultanés : d’une part permettre de ne pas se focaliser sur l’intrigue en fil rouge de la série tournant autour d’Olivia Pope, donc de faire diversion, et d’autre part d’explorer le background de certains personnages. Tous n’auront pas les mêmes honneurs ; de toute évidence, les épisodes consacrés à Abby et Huck sont les plus réussis, parce qu’ils parviennent, en dépit de leur volonté de ne laisser aucune pierre qui n’ait été retournée dix fois sous le nez du spectateur, à instaurer un peu d’émotion, à rendre ces personnages réellement aimables et touchants.
Vu ce que Scandal accomplit dans cette première saison avec Olivia Pope, ce n’est pas une petite performance. Car en dépit de son culte de la personnalité, brandi à tous bouts de champ au sujet de son héroïne, Scandal se fait un devoir de la traiter comme le personnage le plus anti-charismatique, antipathique et inconstant possible. On nous dira qu’Olivia Pope ne croit pas aux larmes, pour la voir ensuite faire sa plus belle imitation de la puppy-eyed-Sydney-Bristow-face d’ALIAS jusqu’au season finale ; ce sera la seule véritable constante du personnage qui passe son temps à refouler les larmes, quand ce n’est pas… pour carrément pleurer. Devant son personnel auquel elle a visiblement fait la morale, comme ça c’est fait.
Et pourquoi est-elle constamment au bord de la crise de nerfs ? Un travail stressant peut-être ? Pas toujours facile, peut-on imaginer, de traiter avec les plus puissants de la planète, qu’il s’agisse de femmes d’affaires à la petite entreprise d’escort ne connaissant pas la crise… à un dictateur sud-américain. Et pourtant non, Olivia Pope ne s’inquiète pas pour ses clients, pas pour ses affaires ; tout le monde est tellement convaincue qu’elle est brillante, de toute façon, qu’il lui suffit de se pointer sous le nez d’un procureur ou justement d’un dictateur pour insuffler une peur panique chez son interlocuteur, qui se soumet alors immédiatement à ses injonctions. « Je vous préviens Monsieur le Dictateur avec toute une armée, je vais m’arranger pour que votre épouse fasse des speeches pour TED ! », et pouf, le dictateur bat en retraite. Merci Shonda et les scénaristes, vraiment sympa pour le coup de pouce. Alors du coup, de quoi on s’inquiète ?
Eh bien du fait qu’on a le petit coeur qui bat pour le gentil POTUS. Enfin, le méchant POTUS. Non en fait le gentil POTUS (ouf !). Mais avec une méchante First Lady. Et un méchant bras droit. Et une horrrrrrrible machination politique.
Le fil de cette intrigue, qui guide toute la première saison, est d’une pâleur à faire peur (mais c’est assorti à la couleur du chapeau dont on nous rebat les oreilles, et aux tenues de notre héroïne). Il n’en ressortira strictement rien, et certainement pas de l’émotion. L’air de chien battu d’Olivia Pope donne au contraire envie d’atomiser toute sa relation au napalm. Certes, les tentatives faites pour donner de la profondeur à la fois à l’histoire d’amour qu’elle vit avec le Président (l’épisode flashback est à ce titre un peu moins non-réussi que le reste de la storyline) et de la pseudo-complexité à l’intrigue politique (le fameux scandale d’Etat) sont louables, et encore une fois il y a clairement une intention de concilier à la fois la romance propre à l’univers de Rhimes, et la tentative d’apporter un niveau de lecture supérieur aux fictions ayant précédé Scandal dans le portfolio de la scénariste, mais rien à faire, il n’en sort rien. Et d’ailleurs, la saison se conclura sur un parfait retour à la case départ, avec un seul personnage ayant réellement changé sa position dans la dynamique, ce qui… ne change absolument pas les interdits qui étaient présents dés le départ. Qui plus est, il ne nous sera jamais vraiment expliqué pourquoi Olivia s’est laissée séduire alors qu’elle est si brillante et qu’elle savait qu’elle allait courir au désastre, mais bon, on n’en est pas à réfléchir de toute façon.
Au final, Scandal réussit sur un plan, et un seul : certains de ses personnages secondaires sont intéressants (bien que l’illusion ne soit parfaite que pour deux d’entre eux, qui sont d’ailleurs les seuls à exprimer des opinions et des ressentis pendant toute la longueur de la saison, là où les autres sont traités à titre purement accessoire). Sur tout le reste, la série échoue lamentablement à tous les tests de qualité, par volonté de trop en faire.
Mais vous savez quoi ? Ce n’est pas grave. D’abord parce qu’il était peut-être un peu injuste de ma part de lancer un marathon Scandal après un binge watch de deux saisons et cinq épisodes de The Good Wife. Ensuite, et surtout, parce que toutes les séries n’ont pas à être The Good Wife, à partir du moment où je suis consciente qu’elles ne sont pas faites pour moi.
Scandal, qui n’est pas une nullité abyssale mais simplement un primetime soap vaguement politique très grand public, a ses raisons d’être. Ce qu’elle fait, dans sa catégorie, elle le fait bien, et avec plus d’ambition que Grey’s Anatomy par exemple, c’est-à-dire emporter des spectateurs dans des romances et quelques intrigues, tout en ne les prenant pas pour des imbéciles, mais sans jamais perdre de vue que ça reste une forte possibilité.
Peut-être que comme souvent, on va me dire que la deuxième, sinon la troisième saison ont réussi à parfaire l’équilibre entre efficacité et intelligence, mais je n’en crois pas la série capable à un niveau qui me conviendrait. Mais puisque la télévision n’est pas supposée m’être toute entière destinée, je suis parfaitement satisfaite de laisser Scandal à d’autres qui savent l’apprécier et à qui elle correspond, dont elle rencontre certaines attentes, au moins une fois par semaine ; c’est tant mieux, et si c’est du temps que ces téléphages et télambdas ne passent pas devant des séries bien pires, alors c’est parfait.
Simplement après ce visionnage-test de la série que j’estime désormais éclairé, j’ai beaucoup de mal à comprendre qu’on la qualifie d’intelligente ou brillante. Elle l’est sur l’intention, la démarche, la vision réaliste économiquement de ce qu’est l’ambition actuellement sur des networks frileux, mais j’ai encore beaucoup de mal à la qualifier de série de qualité.