Notre voyage au pays de la gifle touche à sa fin avec ce 8e et dernier épisode.
La pertinence de ce dernier, comme du chapitre, peut poser question au spectateur : depuis la fin de l’audience, cette gifle elle-même occupe désormais le second rôle, et encore. Désormais il s’agit plus de constater les conséquences de la fragmentation d’une petite communauté autour de cette incident, plutôt que les conséquences de la gifle elle-même, si ça a le moindre sens. Après qu’Aisha ait conforté Rosie dans sa vision de Harry comme d’un homme violent, était-il vraiment besoin d’en dire plus ? Et dans ce cas : quoi ?
Pourtant, je mets au défi quiconque ayant vu cet ultime épisode de The Slap de ne pas en sortir ému, voire bouleversé.
Le chapitre de Richie n’apporte pas tout-à-fait de conclusion à l’intrigue, mais plutôt à l’intrigue secondaire qui avait été lancée quand Connie a confessé à son meilleur ami, le timide Richie, avoir été violée par Hector. Une confession qui est fausse, nous le savons depuis le début. Le problème c’est que… Connie est une mauvaise menteuse : elle invente une tragédie énorme, et oublie ensuite d’y penser, mettant totalement de côté que la bombe qu’elle a lâchée va ronger son confident.
Comme il est triste de songer que pendant que tous les épisodes ont défilé, depuis lors, Richie, qu’il apparaisse ou non à l’écran (et c’était plutôt non), a continué de ruminer cette sordide affaire. Pendant que nous suivions Rosie au tribunal, Manolis à l’enterrement de son ami, et Aisha à Bali (ou pas), Richie tournait comme un lion en cage en pensant à ce que cet homme a fait a sa meilleure amie. Imaginez un peu !
Ce qui rend le chemin de croix de Richie plus tortueux encore, c’est qu’il fantasmait secrètement sur Hector, et qu’il est donc pris entre sa loyauté pour Connie et son désir pour Hector. Un cocktail explosif qui va le conduire à l’obsession, prenant frénétiquement l’homme en photo dans son quotidien (et sa tenue d’Adam, même, à la piscine !), le suivant dés que possible, pensant à lui en permanence. Et tout ça en se détestant chaque fois un peu plus, à la fois d’être attiré par un homme, et d’être attiré par cet homme qui a causé tant de mal, croit-il. Richie se bat énormément avec lui-même et c’est « magnifique » à voir (aussi atroce cela soit-il à dire). Parce que peu de séries ont l’occasion de si bien mettre en avant les conflits internes d’un personnages, entre ce qu’il désire et ce qu’il croit juste, ce qu’il pense être normal et ce qu’ils ressent…
La formule quasi-anthologique de The Slap est un terrain propice à cela, comme peu d’autres séries peuvent se le permettre. Et The Slap peut, qui plus est, se le permettre, précisément parce que la formule, instaurée dans les épisodes précédents, n’est plus sollicitée par l’intrigue de la gifle elle-même. Une mécanique parfaitement huilée qui permet d’aboutir à un épisode au timing parfait, donc.
J’avoue que, pour une raison en partie externe à la série (j’ai vu Cloudstreet), mon plus grand regret est que Matthew Saville n’ait pas réalisé ce dernier épisode. C’est une petite fixation que je reconnais bien volontiers avoir depuis bientôt deux ans : je pense que l’épisode aurait gagné en émotion. Non qu’il en soit dépourvu. Simplement, Saville lui aurait donné plus de grâce, c’est certain. Et l’expérience du festival aurait été toute autre en tous cas. Mais peu importe.
La suite des évènements est, elle, plus ou moins comme je me l’imaginais. Richie, le jeune garçon si sage et si serviable, celui qui écoute et ne proteste jamais, craque, et il m’a été impossible de garder les joues sèches (et ce pendant mes deux visionnages, à deux ans d’intervalle). C’est difficile de parler de perfection tant ce qui se déroule est tragique, mais c’est au moins autant difficile de ne pas trouver l’enchaînement impeccable, dans sa façon de dépeindre à la fois les évènements, et leur charge émotionnelle.
Richie, pauvre Richie qui est finalement celui qui assume les plus lourdes conséquences après les actes des autres. Son drame personnel s’imbrique dans La Grande Affaire de la Gifle qui a secoué tout son entourage, exacerbant les réactions à sa révélation que Hector est un violeur, accentuant la façon dont il n’est pas pris au sérieux, donnant de la substance à toutes ses craintes. Ce que ne peut pas voir Richie, c’est que la raison pour laquelle la réaction à sa révélation (elle-même suivie par les dénégations de Connie) est si épidermique, ce n’est pas que c’est sa faute, ou qu’il est un monstre pervers ; c’est que tout le monde a un peu merdé et se sent mal. D’ailleurs, quand Richie, à la fin de l’épisode, retrouve plusieurs des acteurs de ce drame, ils expriment tous une forme de culpabilité. Tous savent bien que Richie a trinqué pour eux. Personne ne peut lui en vouloir.
Tout finira cependant au mieux pour Richie, l’horizon s’éclaircira. C’est un message qui peut sembler niais, mais il fait du bien à entendre vu les circonstances. Tout va s’arranger. Richie n’a pas à payer indéfiniment pour les psychodrames des autres.
Et c’est sur cette dernière note positive que s’achève The Slap.
Quelle était la morale de l’histoire ? Il n’y a pas de morale à cette histoire. Ou plutôt il y a toutes les morales que vous voulez.
Car en fait, la plupart des personnages sortent de ces quelques mois de chaos confortés dans leurs opinions et leur style de vie. En dépit des conflits internes à chaque cellule familiale, on ne dénombre aucun divorce, par exemple. Les personnages qui ne se parlent, de toute façon, dérivaient lentement les uns loin des autres, comme Aisha et Harry, dont l’incompatibilité s’est exprimée en fait il y a une décennie, ou Aisha et Rosie, qui n’avaient plus rien en commun depuis bien longtemps. La gifle a précipité l’inévitable.
The Slap n’était pas une invitation à prendre partie, ou à juger objectivement d’un fait ; si une chose est absente du procédé de The Slap, c’est bien l’objectivité ! C’était une invitation à envoyer une onde de choc et observer ses répercussions. C’était une expérience en laboratoire, démontrant que la société ne change pas à cause d’un évènement, aussi retentissant soit-il, mais au contraire, ses membres trouvent, chacun, une légitimation de leur vision du monde. On peut y voir une critique des sociétés cosmopolites, prouvant que des cultures différentes sont profondément incompatibles ; c’est un façon de voir, mais les différences culturelles n’exacerbent pas les différences entre les gens, elles en sont juste une manifestation (il suffit de voir comment, au sein de la même culture grecque, Manolis, Hector et Harry sont si différents). De la même façon, les différences si nombreuses et fondamentales entre Aisha et Hector, Aisha et Anouk, ou Sandi et Harry, sont clairement surmontées… par choix. On peut faire le choix de vivre ensemble, dans le fond, c’est juste une question de balance entre les compromis qu’on accepte de faire et les autres.
Le monde est compliqué, les gens sont compliqués, et les différences rendent tout cela plus compliqué encore. Mais The Slap nous dit aussi qu’on peut naviguer dans cette complexité tout de même, à condition de ne pas chercher à se trahir soi-même. Simplement, peut-être ne faut-il pas attendre de se prendre une claque pour faire le tri entre entre les proches qu’on tolère et ceux qu’on accepte pleinement.