Et comme beaucoup de ces personnes, et une grande partie des spectateurs de Canal+ ce soir, je n’ai pas non plus vu le House of Cards britannique. Comme ça c’est assorti.
Vous souvient-il des années 2000 ? Une époque où c’était A la Maison Blanche qui dominait les quelques séries politiques américaines. Sorkin tentait d’y décrire comment une équipe d’idéalistes, menée par un Président éduqué et droit comme un « i », se confrontait aux réalités de la vie politique à Washington… tout en triomphant, le plus souvent, de l’adversité. Qui croirait que l’une des séries les plus optimistes du genre politique date des années Bush, hein ? On l’avait pas vue venir celle-là.
Aujourd’hui les choses sont différentes. Comme l’a par exemple montré Boss, ce que nous cherchons aujourd’hui dans nos séries, c’est la preuve que nos élus sont corrompus et cyniques. Ere de l’anti-héros oblige, nous voulons à la fois nous identifier à lui et à ses imperfections ; mais en même temps, nous voulons aussi nous conforter dans l’idée que « tous pourris ». Ils sont hypocrites, menteurs, désabusés ; ce sont des arrivistes qui ne pensent qu’à leur statut, leur pouvoir personnel et leur progression dans la pyramide alimentaire. Ils ne sont qu’ego. Comme beaucoup de séries dramatiques de toutes sortes actuellement, les fictions politiques du moment nous confortent dans notre vision noire du monde et de ses dynamiques ; à vrai dire, même les comédies peignent ce portrait, comme Veep (ou ce qu’on a pu voir d’Alpha House, commandée par Amazon).
Le temps des idéalistes est révolu ; il a disparu quand le Président providentiel s’est avéré être un Président comme les autres, imparfaits. Notre seule façon de gérer la déception est de tous les mépriser.
House of Cards s’inscrit parfaitement dans cette optique, et c’est tangible dés le pilote. En montrant un Président qui ne prendra pas la parole devant les spectateurs, dans des scènes qui sont réservées à leurs seuls yeux, mais uniquement dans un discours vidé de toute substance, l’épisode dépossède l’homme qui est au sommet de l’Etat du moindre pouvoir. Ce qu’il veut importe peu, puisque c’est quelqu’un d’autre qui s’exprime à sa place, en l’occurrence la Cheffe de cabinet Vasquez.
Et de toute façon, ce ne sont pas les gens au pouvoir les héros de House of Cards, mais Frank Underwood, un élu de la Chambre des Représentants qui fait figure, dans le contexte particulier de la politique au niveau fédéral, d’un outsider. Car en dépit de son ambition dévorante et de son intelligence aigue, de sa connaissance parfaite du fonctionnement officiel comme officieux des institutions, Frank ne va pas être promu Secrétaire d’Etat comme il l’espérait. D’ailleurs il ne l’espérait pas : c’était pour lui acquis, et la nouvelle, dans ce premier épisode, que le poste lui a échappé (pour atterrir entre les mains de Kevin Kilner – c’est l’instant fangirl pour la spectatrice d’Invasion Planète Terre) va avoir pour conséquence d’enclencher les rouages de sa vengeance. Un processus qui sera long, nous en sommes conscients dés ce premier épisode, parce qu’il implique de détruire un par un ceux qui l’ont floué.
Le paradoxe de House of Cards est là : dans le fait que des intriguants de toutes sortes sont sur le point, à n’en pas douter, d’être exposés (face aux spectateurs au moins) pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des gens corrompus de diverses façons par le pouvoir… par un homme qui lui-même est tout aussi corrompu qu’eux. Nous le célébrons parce qu’au moins, il va leur donner ce qu’ils méritent. Si pour cela il faut qu’il accède à d’encore plus hautes responsabilités, eh bien, c’est un dommage collatéral qu’en tant que spectateurs, nous acceptons d’assumer.
D’ailleurs, quand il aura le pouvoir, Frank Underwood, qu’en fera-t-il ? Quelle importance, répond le pilote de House of Cards : l’essentiel est qu’il obtienne sa vengeance par tous les moyens possibles. C’est à ça que tient la politique aujourd’hui.
Ecoutez, c’est pas moi qui vais contredire : des pourris en politique, ce n’est pas ça qui manque. Même pas forcément besoin d’aller au plus haut pour en trouver, il en grouille plein dans les couloirs des cabinets. Mais là où parfois A la Maison Blanche péchait par excès de candeur sur le monde politique, des séries comme House of Cards donnent dans l’excès inverse. Il manque encore un peu de nuance à la plupart des séries du genre, plus encore actuellement. Elles montrent soit les « gentils » qui font ce qu’ils peuvent contre vents et marées, pour essayer au moins un peu de faire progresser les choses ; soit des méchants qui font ce qu’ils peuvent pour avoir le champ libre pour atteindre le sommet (ou au mieux, des idiots pas forcément impressionnants qui continueront de faire ce qu’ils peuvent pour rester à peu près dans le jeu, quand bien même ils n’en ont pas la carrure). La politique est plus complexe et nuancée que cela, et on s’attendrait à ce que l’art de la nuance, la télévision, prenne le temps d’en tester les nuances de bleu-blanc-rouge ; ce n’est pas avec House of Cards qu’on verra cette expérience se produire sous nos yeux.
Frank Underwood est, c’est entendu, un carnivore de la pire espèce, qui n’est finalement là que pour le jeu politique et sa place sur l’échéquier. Le problème c’est qu’à ses côtés, beaucoup de personnages de ce premier épisode manquent d’épaisseur.
On l’a dit et répété dans 102% des articles publiés aujourd’hui sur le sujet : oui, c’est Netflix qui a originellement « diffusé » la série, et il était plus qu’encouragé de regarder les épisodes à la suite, en enfilade. De ce fait, les personnages n’ont pas l’obligation de se présenter à nous de façon claire et ordonnée, de s’exposer d’entrée de jeu pour que nous sachions d’emblée qui est qui. Cela peut très bien se produire plus tard, ou même pas du tout, dans le fond ; pour ma part, j’écris toujours mes reviews de pilote sans avoir vu la suite, donc à ce stade, vous n’en saurez rien…!
Le strict minimum est opéré dans ce premier épisode, mais je ne suis pas totalement convaincue que ce soit entièrement dû à la diffusion sur la plateforme. Claire Underwood, Zoe Barnes et les autres restent assez unidimensionnels face à un Frank Underwood habile et malsain dont la duplicité s’affiche rapidement, et cela peut aussi être dû, tout simplement, au parti-pris de la série.
Le binge watching fortement suggéré par la politique de « diffusion » de Netflix semble, au passage, plus difficile à faire dans le cas d’une série comme House of Cards que pour Orange is the new black, au ton largement plus versatile, et qui ne donne pas l’impression d’assomer le spectateur avec la brutalité sombre de son univers comme c’est le cas pour la série de Fincher. Personnellement j’ai essayé mais pas trouvé la force d’enfiler les épisodes à la suite. Se résoudre à ne pas tout regarder d’un coup, quelle qu’en soit la raison (choix, manque de temps, etc.), c’est accepter d’avoir, à la fin de chaque épisode, une vision un peu plus morcellaire que prévu, peut-être ; ce qui inclut de trouver les personnages secondaires simplistes dans ce premier épisode. Cependant, on n’aura pas attendu Netflix pour que soient écrites d’un seul tenant des séries ou des mini-séries, et cela ne nous a pas pour autant poussés à nous infliger un univers étouffant pendant 13h d’affilées si on ne le sentait pas. Juste parce que l’on peut, ne signifie pas que l’on doit (ni que l’on a).
Pour en revenir aux personnages secondaires, contrairement à Boss (encore), House of Cards ne semble pas très décidée sur la façon dont elle veut employer les personnages de son axe journalistique. Dans Boss, c’était le reporter Sam Miller qui faisait figure d’idéaliste, poursuivant la « vérité » avec autant d’acharnement qu’il soupçonnait assez vite que des vies étaient en jeu ; ici, on ne sait pas trop si c’est du lard où du cochon. Certes, Zoe Barnes est elle aussi une ambitieuse, assombrissant encore plus le portrait fait du microcosme de Washington, mais c’est aussi une débutante profondément anxieuse et à la précipitation de mauvaise augure. On comprend mal le rôle qu’elle joue dans le discours de la série, en particulier au sujet des médias et de la collusion avec le pouvoir.
Mais ma plus grande déception concerne Claire Underwood ; si en apparence elle rappelle énormément Meredith Kane, de Boss, y compris dans son incarnation à la fois élégante et terrifiante de sang-froid par Robin Wright, elle semble dans ce premier épisode manquer de répondant. J’ai apprécié en revanche la déclaration d’amour incroyable que Frank nous a faite suite à leur altercation.
Et de ces déclarations, parlons-en. Je m’étonne que tout le monde semble unanimement chanter les louanges de House of Cards, quand sa façon de faire tomber le quatrième mur est la même que House of Lies, dont le procédé avait pourtant été largement décrié. J’ai même trouvé le procédé assez grossier dans sa première manifestation (« comment pourrais-je commencer ma série par un monologue puissant sans avoir l’air grandiloquent ? …Ah, je sais ! On va casser le quatrième mur ! »), quand bien même son utilisation, à force, finit par devenir relativement naturelle. Mais peut-être que, d’une série livrée en un seul bloc, on a aussi tendance à attendre la perfection dés le premier épisode, et ce n’est pas très juste.
House of Cards n’est peut-être pas LA plus grande série de tous les temps ; elle pâtit de certaines comparaisons (notamment avec Boss, à laquelle elle doit beaucoup mais qui, de pilote à pilote au moins, lui dame sévèrement le pion) et peut-être aussi de l’aura naissante des séries Netflix. Mais dans un panorama où les limites de nos exigences sont sans cesse repoussées par l’arrivée de nouveaux acteurs, de la chaîne câblée AMC aux pure players comme Netflix, clairement, on est devenus difficiles et pointilleux ! House of Cards se situe, c’est sûr, dans le haut du panier des séries américaines du moment (il faut dire qu’elle fait tout pour), et même si elle souffre de petits défauts, il faut garder à l’esprit que des séries de cette trempe, il n’en sort tout de même pas tous les jours : en téléphagie, il faut rester ouvert.