Délaissant les murs de la prison fédérale de Litchfield, je vous embarque ce soir dans un voyage en Irlande, histoire de se dégourdir un peu les jambes téléphagiquement. J’ai en effet réalisé hier, à la faveur d’un concours de circonstances (on m’a demandé hier de recommander des séries entre autres irlandaises), que j’ai plein de pilotes de séries irish que je n’ai soit pas regardé, soit pas reviewés dans ces colonnes.
J’ai tiré au sort, et résultat, c’est Scúp qui est sorti. Parfois, c’est aussi simple que ça. Et puis on est lundi, hein : on ne va pas faire dans la complication aujourd’hui, surtout après le gros dossier de vendredi. En route !
Scúp, qui comme vous l’aurez compris, signifie « scoop » (voilà, vous parlez irlandais, félicitations), est une petite dramédie en irlandais, diffusée plus tôt cette année à la fois par BBC Northern Ireland et la chaîne locale TG4. On la doit à Colin Bateman, également créateur de Murphy’s Law avec James Nesbitt, et elle a été conçue pour durer 8 épisodes.
Les présentations étant faites, voilà de quoi nous parle Scúp : tout commence à la rédaction d’un journal de Belfast alors que son rédacteur en chef, que je serais bien incapable de vous dépeindre et vous allez vite voir pourquoi, meurt sur son fauteuil en s’étouffant avec une barre au chocolat, au moment-même où l’une de ses journalistes fait irruption dans son bureau pour exiger d’être payée.
Inutile de dire que l’ambiance n’est pas à la fête… pour de multiples raisons ! Les obsèques se tiennent à l’Irlandaise, c’est-à-dire dans un pub (ceux qui ont vu Love/Hate savent de quoi je parle), où la petite équipe de la rédaction se mêle aux quelques proches du leur ancien rédac’chef. Diarmuid, le propriétaire du journal, tombe alors par inadvertance sur Rob Cullan, un ancien collaborateur du défunt venu rendre ses derniers hommages une mousse à la main. Rob se présente comme travaillant au Guardian, et attention, pas n’importe quel Guardian : celui de Londres, excusez du peu ! Il n’en faut pas plus pour convaincre Diarmuid d’essayer d’embaucher Rob, ne serait-ce que pour une journée, afin d’évaluer ce qu’il peut faire du journal. Celui-ci est en effet un énorme trou dans ses finances, ce qui n’était pas tellement un problème quand les autres activités de Diarmuid se portaient bien, mais ce qui est devenu une véritable galère à présent. Ce qui explique qu’il ne paie même plus ses journalistes ! Rob finit par accepter un chèque gros et gras pour UNE journée au sein du journal, et essayer de voir ce qui peut être sauvé.
Ce journal, c’est le « An Nuacht », entièrement rédigé en irlandais, et où l’équipe est pour le moins resserrée : il y a Cormac, le plus vieux rédacteur du papier qui n’a plus rien à prouver ; Janine, qui gère les annonceurs ; Alix, la jeune passionnée qui fonce toujours tête baissée, et Michael, un jeune stagiaire qui fait ses premières armes à la rédaction avant d’entamer ses études de journalisme.
Craignant au départ de perdre leur job pourtant assez peu rémunérateur, l’équipe va pourtant vite se rendre à l’évidence : Rob n’a aucune intention de virer qui que ce soit.
Car Scúp raconte non seulement les histoires de ses personnages, mais aussi les évènements qui font la une du journal. Et en effet, au début de l’épisode (oui, bon, je vous ai menti sur la façon dont commence en fait le pilote, n’en faisons pas toute une affaire), un braquage a lieu chez un petit marchand de journaux. En soi, rien d’impressionnant : il s’agit d’un petit casse minable dont les deux coupables ne tirent qu’un peu de monnaie, que de surcroît ils font tomber sur le trottoir au moment de s’enfuir. Mais dans la panique, l’un des deux braqueurs a retiré son masque suffisamment longtemps pour être pris en photo par Sean, un jeune ado qui passait par là.
Voilà donc Sean qui vient frapper à la porte du An Nuacht pour vendre sa photo à un bon prix ; pas de chance, il ignore que les comptes sont dans le rouge et qu’il n’obtiendra pas un sou. A la place de ça, il tombe sur Rob, qui tente de le convaincre de lui laisser sa photo… pour rien ! Au nom de son devoir de citoyen envers les habitants de la ville. Et c’est alors qu’à la surprise tant du spectateur que d’Alix qui assiste à la scène, on découvre que Rob est en fait un grand idéaliste !
…Ce qu’on découvre ensuite sur Rob va également surprendre, et surtout, l’inciter à ne pas retourner à Londres trop vite. Je vous donne juste trois mots en guise d’indices : Guardian, écoutes, et téléphoniques. Notre Rob va donc décider de rester à Belfast et aider Diarmuid à remettre sur pied l’un des rares journaux en irlandais de la ville, même si on ne peut pas dire que ce soit particulièrement lucratif. Mais il a la passion, et une équipe certes pas forcément très épatante, mais fidèle à son journal. On ne doute pas vraiment que les choses vont à la fois mal et bien se passer.
Si je me suis permis de vous raconter 90% du pilote, c’est que, soyons honnêtes, il y a assez peu de chances pour que vous fassiez l’effort de regarder Scúp, et voici pourquoi : la dramédie est l’inverse d’une découverte palpitante. Oh, je ne dis pas : on s’attache un peu aux personnages, gentillement disons ; et puis l’épisode se laisse suivre. Certes.
Simplement il y a deux handicaps majeurs.
D’abord, ses personnages sont introduits très sommairement ; la révélation très tardive sur Rob Cullan tombe comme un cheveu sur la soupe parce que, sincèrement, aucun personnage n’est fouillé pendant 20 de minutes (sur un épisode qui en dure 25). Il ne nous est pas vraiment utile, arrivés vers la fin de l’épisode, de connaître le background du journaliste pour comprendre qu’il va rester (son discours passionné à Sean a largement suffit pour l’impliquer dans la vie de Belfast et de sa gazette).
Ensuite, parce que si je n’avais pas su que Scúp datait de 2013, j’aurais juré qu’elle datait d’il y a au moins 10 ans. Le rythme est assez mou, le montage et les dialogues n’ont pas plus d’énergie, et très franchement, c’est aussi gris qu’un épisode de Derrick un après-midi pluvieux.
Pour autant qu’on s’intéresse aux questionnements des journalistes du An Nuacht dans le pilote, qu’il s’agisse de leur angoisse quant au sort du journal, ou du dilemme posé par la photo que leur propose Sean (…le coupable pris en photo est en effet le fils de l’un des hommes les plus puissants et les moins aimables de Belfast), il est assez difficile de tenir les yeux ouverts et de vraiment s’investir dans ce visionnage.
Pourtant, vous l’avez sûrement remarqué, Scúp s’intéresse finalement à plein de sujets qui vaudraient le coup d’oeil en temps normal, en tous cas de la part du téléphage curieux : outre l’évocation du scandale du Guardian, qui est une plutôt bonne démonstration de l’habileté d’une série à s’inscrire dans l’actualité sans pour autant en tirer toute son intrigue, l’épisode pose des questions intéressantes sur la survie d’un journal dans une langue régionale (les personnages insistent de façon répétée sur le fait que le journal est l’un des rares en irlandais), la survie de n’importe quel journal dans un contexte de crise, ou encore, sur l’indépendance d’un journal vis-à-vis des puissants, même à un échelon local. Mais dans la façon de faire, ce premier épisode n’est pas très électrisant dans le ton qu’il emploie pour aborder tout cela.
D’ailleurs, l’une des fautes de goût de Scúp est de vouloir prendre pour héros Rob Cullan, alors que celui-ci est interprété de façon à être parfaitement anodin. Rob est un homme sans trait particulier, si ce n’est que de temps à autres, il s’anime par passion pour son métier ; si on le sentait passionné à longueur d’épisode, les choses seraient peut-être différentes, mais ce n’est pas le cas. Et ce héros tellement ordinaire, presque anonyme par sa façon de traverser la plupart des scènes quasiment sans qu’on l’y remarque, n’incite pas à se lancer dans une série, quand bien même elle devait ne durer que 8 épisodes.
Reste que ceux qui, parmi vous, tenteront Scúp, n’auront pas totalement perdu leur temps : il est assez rare de tomber sur une série irlandaise en irlandais, et assez rare, de surcroît, de tomber sur une dramédie sur le journalisme ne tombant pas dans des excès à la Dirt.
Mais il manque clairement une étincelle de vie à ce premier épisode, et c’est finalement le pire des torts.
Note : une dernière anecdote pour la route. Scúp a été écrite par Colin Bateman en anglais, puis traduite en irlandais pour TG4, chaîne publique dont les programmes sont toujours dans cette langue. Le texte original anglais de Bateman a été utilisé pour les sous-titres. Ce qui signifie, si on y pense, que les spectateurs ont entendu les textes adaptés, quand les lecteurs des sous-titres ont eu la version originale ! Quelle drôle d’idée, quand même, plutôt que de prendre un scénariste capable d’écrire directement en irlandais…