Autant le dire tout de suite : le buzz, pour ce que j’en vois dans ce pilote, est justifié. Bien qu’employant de nombreux ressorts de la boîte à outil women in prison, faisant par moments regretter qu’on passe toujours par certains poncifs, Orange is the new black parvient à se montrer intéressant et même plutôt original, toutes proportions gardées.
Parlons d’abord des choses qui fâchent : le personnage central. Cela m’a agacé qu’il soit en quelque sorte « repentant ». Ecoute, jeune fille, à partir du moment où tu as volontairement transporté une valise remplie à ras bord de l’argent de la drogue pour ta petite amie lesbienne, non, je suis désolée, tu n’as pas le droit de te poser en victime. Admettre devant l’officier chargé de son dossier « je l’ai fait… une seule fois… ya dix ans » n’est pas vraiment endosser la responsabilité de la chose. Je comprends qu’il y a différents problèmes derrière cette posture : il faut permettre au spectateur de rentrer en prison avec un personnage auquel il s’identifie le plus possible (et quelqu’un de naïf et innocent, au moins moralement si ce n’est légalement, est la meilleure option que puisse proposer une série carcérale), il faut lui donner des circonstances atténuantes. Les anti-héros, dans une série carcérale, n’ont jamais le rôle introductif dans un ensemble show : ça crée beaucoup trop d’inconfort. Mais puisque, pour une fois, l’héroïne a vraiment fait quelque chose de mal : ce n’est pas de la légitime défense, par exemple. J’aurais aimé qu’on aille jusqu’au bout de la logique.
Au lieu de ça la voilà d’une part à se constituer prisonnière et admettre partiellement qu’elle a fait quelque chose de mal, et d’autre part à se mettre en posture de victime, dont le spectateur finira par se dire qu’elle n’est pas à sa place. On ne va pas en plus trouver dommage qu’elle ait échappé à la Justice pendant 10 ans, au lieu de 12 ce qui l’aurait mis à l’abri du fait de la prescription ! C’est finalement encore plus perturbant que dans le cas de la légitime défense parce qu’ici le crime a vraiment été commis sans autre motif que « je suis jeune et amoureuse ». Pas franchement une légitimation à laquelle je peux adhérer spontanément.
Voilà donc Chapman qu’il nous faut en quelque sorte prendre en pitié malgré les circonstances, juste parce qu’elle est blonde et angoissée par ce qui lui arrive. Juste une fois j’aimerais bien qu’on montre qu’il n’y a pas que les filles bien qui ont du mal avec la perspective d’aller en prison. La prison, ce n’est un plaisir pour personne.
Mais admettons. Car grâce à elle, nous allons avoir la possibilité de rencontrer des personnages épatants ! J’avais lu cette interview de Jenji Kohan (oui parfois je fais les choses à l’envers, je lis les interviews avant de regarder les pilotes !) expliquant que sans héroïne blanche, impossible d’aborder tous ces personnages plus « marginaux » dans une série d’ordinaire. Je le crois volontiers, et je crois également que ces personnages sont bien mieux écrits que le « cheval de Troie » de Kohan. Ils apportent une réelle bouffée d’air frais à la série, ils en sont la richesse essentielle. D’abord parce qu’aucun de ces personnages de détenues n’est là où on pense qu’il va être, apportant de la surprise tout au long de l’épisode en plus d’une légère touche d’humour pince sans rire. Et surtout, parce que très vite se dessine une galerie de portraits qu’on devine immédiatement comme pleine de surprises.
Par exemple, ce qui est accompli en à peine une minute sur le personnage de Diaz, giflée par sa mère est absolument génial ; ce qui se suggère en quelques secondes par cette claque, puis par les deux répliques de la jeune femme dans la chambre, est absolument énorme. On devine énormément de choses, et on veut en même temps en savoir plus. Autant l’interprétation que l’écriture laissent entrevoir un immense potentiel de ce côté-là. Au point de préférer que Chapman passe au second plan rapidement, si possible.
Je m’aperçois en fait que c’est de plus en plus fréquent pour moi de préférer au personnage principal les secondaires voire les tertiaires, mais avec des séries comme celle-là, comment voulez-vous faire autrement ?
Mais au sujet de l’écriture, le meilleur tour de force est l’utilisation des flashbacks. On n’a vu que ça, des flashbacks, depuis environ 10 ans ; on avait l’impression d’en avoir fait le tour et d’avoir tout vu cent fois. Et pourtant, Orange is the new black parvient à trouver une façon très élégante de l’intégrer dans la narration, en les utilisant à la fois pour expliquer le background de son héroïne, mais aussi pour servir de métaphore, ou encore servir de transition entre deux séquences plus classiques de l’arrivée en prison de Chapman. On a l’impression non seulement que ces flashbacks sont là pour nous expliquer des choses, mais aussi, voire surtout, pour comprendre ce qui traverse la tête de son héroïne (dont la tête est « encore à l’extérieur », ainsi que le dira un gardien) pendant les passages les plus clichés des séries carcérales comme par exemple la fouille.
Cette façon de nous prendre pour des spectateurs intelligents est franchement une rareté en matière de flashbacks. Certaines scènes de ce type se permettent ainsi de déjà orienter l’épisode vers quelque chose de dramatique, permettant au pilote d’Orange is the new black de ne pas se limiter à une simple exposition. C’est un vrai plaisir d’assister à une telle finesse. La valeur de la rareté, sûrement.
Même si je regrette certains ingrédients de ce pilote (sa dernière minute est légèrement trop hystérique pour moi), il est clairement solide et je comprends l’enthousiasme que peut générer la série ; je n’ai qu’une envie, me dépêcher d’en voir la suite. Mes craintes d’assister à une redite des séries carcérales déjà regardées pendant la saison écoulée, comme Unité 9 qui a clairement été l’un de mes coups de coeur, sont totalement apaisées ; c’est rare qu’un premier épisode remporte pareil défi haut la main !
Il y a des séries comme ça, qui semblent rencontrer l’unanimité ; au moment de s’y attaquer, on a toujours des appréhensions, craignant d’être déçu et que le buzz ait gonflé artificiellement nos attentes… mais il faut simplement se rendre à l’évidence : il y a toujours d’excellentes séries qui nous tombent dessus, quand bien même on persiste à entendre des « ya rien de bien cette saison » cycliquement.
Soit ça, soit je suis entourée de personnes de très bon goût.
Juste un mot pour te rassurer sur la question de la victimisation du personnage principal. La série a justement le bon goût de lui faire ouvrir partiellement les yeux lors d’une scène marquante.
Mais je n’en dis pas plus.
Bon visionnage