En tant que téléphage, il y a certaines choses qui m’énervent (oui ça va être un post Point Unpleasant, annonçons tout de suite la couleur).
En tant que téléphage curieuse de la télévision de tous les pays, il y en a quelques unes qui me font littéralement hulkenrager en particulier ; on pourrait citer mon mépris le plus profond pour les titres de séries traduits, ajoutons-y, parce que ce sera mon sujet du jour, la façon dont certains stéréotypes sont perpétués de façon systématique lorsqu’il s’agit de la fiction de certains pays.
La télévision du monde arabe est, je le concède bien volontiers, difficile d’accès pour l’observateur occidental, je m’en suis déjà fait l’écho par le passé.
Il faut dire que l’occidental en question n’est pas du tout dans la cible de la télévision du monde arabe, qui se fiche éperdument de savoir si elle est comprise par-delà sa zone d’existence. Très peu de chaînes arabes proposant des fictions (vous l’aurez compris, j’exclus par cette phrase Al-Jazeera) ont une version anglaise, ou même une version anglaise de leur site. Les infos sur la télévision du monde arabe sont difficiles d’accès, ou alors par bribes, à quiconque ne parle pas l’arabe. Et puis, bien-sûr, il y a le fait que la télévision du monde arabe ne compte absolument pas sur des exports en-dehors du monde arabe… ou alors dans le monde musulman (les Indonésiens vous passent le bonjour).
La télévision du monde arabe, pardon d’insister, se contrefiche totalement de son image à l’extérieur de son marché.
Ça ne m’empêchera pas de vous proposer d’y jeter un oeil à l’occasion du Ramadan, stay tuned.
Est-ce une raison pour la réduire aux mêmes poncifs, encore et toujours ? La tentation est grande mais elle devrait être évitable. De temps à autres, j’aimerais qu’une série égyptienne, une série syrienne, une série marocaine fassent les titres (même pas les gros, juste des titres) dans la presse occidentale pour d’autres raisons que pour pointer du doigt les extrêmismes.
Où sont, par exemple, les articles sur Lahazat Harega (en photo ci-dessus), la série médicale égyptienne inspirée d’Urgences, le premier drama médical du pays, et première série égyptienne, aussi, à être filmée en HD ; où sont les articles sur la façon dont elle est tournée, sur sa production tourmentée par le climat politique, ou simplement sur son renouvellement pour une saison 4 ? Là, il n’y a personne. Mais si vous parlez l’Espagnol, l’Italien, le Chinois, le Turc, le Kazak ou l’Ouzbek, vous pouvez voir le pilote en version doublée, elle est pas belle la vie ?
Par contre, pour raconter, encore et toujours, les mêmes anecdotes sur les télévisions arabes, ressasser les mêmes clichés, revenir inlassablement sur les mêmes preuves de l’existence d’un islamisme radical, là, pas de problème, on trouve des articles en masse, en nombre, et en quantité. Et encore je vous mets pas tous les liens. Ouaip, pour nous parler de Café Show/Coffee Shop (rien à voir avec une romcom coréenne), par exemple, là il y a du monde.
Qu’est-ce que Café Show/Coffee Shop ? Bon, bougez pas, je vous explique l’histoire.
Café Show/Coffee Shop est une comédie qui sera lancée le mois prochain (rappelons pour la forme qu’environ 80% des séries arabes sont diffusées pendant cette période faste… pour les chaînes de télévision) sur la chaîne égyptienne Al-Hafez. La série, qui comptera 15 épisodes, se déroule intégralement dans un café de la ville du Caire, mais ça vous l’auriez deviné. Et, comme au Café du Commerce en France, c’est l’endroit où l’on se retrouve pour parler de tout, de rien, de l’économie, de la politique, des valeurs qu’on partage…
Assez inoffensif en apparence. Alors qu’est-ce qui fait que Café Show/Coffee Shop nous parvient ? Au point d’ailleurs de se trouver, fait rare pour une série arabe, des titres anglicisés dans la presse anglophone. Note : à vrai dire, le site d’Al-Hafez ne semble pas encore en faire mention, donc on n’a QUE des titres anglicisés ; je fais donc, faute de mieux, une entorse à ma règle des titres non-traduits, mais dés que j’ai mon info, je reviens corriger ce post. J’ai perdu une bataille, mais pas la guerre !
Eh bien, il n’y aura pas une seule femme dans la série, PAS UNE. Le cast de Café Show/Coffee Shop est exclusivement masculin, du rôle le plus majeur au plus insignifiant.
‘Voyez, s’il s’était agit d’une romcom coréenne, on aurait un peu plus ri, pour une fois…
Si vous me lisez depuis quelques temps (ou qu’au minimum vous avez jeté un oeil à mon article du 8 mars dernier sur la télévision polonaise), vous n’êtes pas sans savoir que ce genre d’idées n’est pas pour me plaire : je nourris de nombreuses convictions féministes. Pour autant, même si loin de moi l’idée de trouver que cette « trouvaille » de la chaîne Al-Hafez est une bonne chose, devant la levée de bouclier de la presse en ligne depuis quelques jours qu’a été découverte l’existence de Café Show/Coffee Shop, je suis un peu obligée de protester.
D’abord sur le principe : une série n’est pas obligée d’avoir des personnages des deux sexes. Il y a des séries occentales qui s’en passent très bien ; celles qui n’ont pas de personnage féminin ne peuvent simplement pas prétendre être féministes, par exemple, voilà tout. De même qu’une série sans mixité raciale aura du mal à faire croire qu’elle est inclusive. Mais ce n’est pas une impossibilité en soi – et une nouveauté non plus, de nombreuses séries américaines jusque dans les années 60 mettaient en scène presqu’exclusivement des hommes. Bon, j’exagère : dans les westerns, il y avait quand même des femmes attachées sur les rails de temps en temps pour se motiver ; un coup d’oeil au générique de Bonanza rappelle cette réalité : les femmes dans les séries, ça n’a pas toujours été une évidence.
Ensuite, parce qu’une série qui se déroule dans un café égyptien… a autant de chances d’être fréquenté par les femmes que le Ponderosa. La série Café Show/Coffee Shop a précisément choisi un lieu qui est, de façon culturelle, exclusivement masculin. Alors, on peut contester la démarche, c’est sûr, mais on ne peut pas contester la réalité du lieu choisi. Les femmes ne sont pas exclues de la série ; elles le sont d’abord du lieu. Est-ce la mission d’une série de remettre en question la fréquentation du café, a fortiori si elle est un mosalsal (une diffusée pendant le Ramadan), période peu propice aux révolutions contre les traditions ? A l’impossible nul n’est tenu.
Et enfin, parce que parlons de la chaîne Al-Hafez. La chaîne salafiste Al-Hafez est une chaîne du satellite qui compte en tout et pour tout un studio d’enregistrement (et ça se voit quand on mate les émissions de la chaîne sur Youtube), et qui a vu le jour suite aux manifestations du 25 janvier 2011 ; pas franchement une institution, donc. Al-Hafez a vu le jour pour soutenir les Frères Musulmans, et diffuse dans son unique studio des cours de lecture du Coran, ou, pendant ses émissions, donne l’antenne à des chroniqueurs (on aura du mal à les appeler journalistes) qui traitent de divers noms d’oiseaux les « infidèles » qui ne seraient pas assez respectueux des textes religieux ; des propos injurieux qui sont régulièrement pointés du doigt dans les autres médias, et qui ont aussi déjà été condamnés par la Justice égyptienne. Que la chaîne Al-Hafez, dont la vocation première, voire unique, ait pour vocation de répéter à longueur de programmes des propos conservateurs, pour ne pas dire réactionnaires, et d’appeler à l’application stricte de la Charia, n’est donc pas vraiment une grande surprise quand on a le contexte. Et quand l’un des dirigeants de la chaîne explique : « tout est une question d’offre et de demande, et actuellement il y a de la demande pour cette forme plus propre d’art dans notre société. […] La politique de notre chaîne est que nous ne montrons aucune femme du tout, de façon à les honorer, comme le dicte l’Islam », peut-on vraiment dire qu’on est surpris ? S’attend-on à autre chose de sa part ? Chais pas, vous pensez qu’on va voir un True Blood sur FOX News à la saison prochaine ?
Une série comme Café Show/Coffee Shop n’est pas exactement le fer de lance de la télévision moderne en Egypte, ou le monde arabe en général. Mais ce constat s’impose, je pense, à tous ; à plus forte raison depuis qu’un membre des Frères Musulmans est devenu Président l’été dernier.
Ce qui me révulse en revanche, c’est que ce soit le seul type de programmes venu d’Egypte qui nous parvienne. J’aimerais énormément que les téléphages parlant l’arabe partagent leur passion pour la télévision en Anglais (ou soyons fous, en Français). Ils sont chaque année, pour le Ramadan, des millions et des millions à s’enthousiasmer pour ces séries : c’est bien qu’il s’en trouve pour les aimer. Alors… SHARE THE LOVE ! Ca nous changera.
Et je persiste à croire que c’est pour la bonne cause.
Dans l’intervalle, il faudra sûrement lire encore pas mal d’articles sur les séries égyptiennes, les séries syriennes, les séries marocaines qui nous confortent dans notre conviction d’avoir une télévision plus ouverte, plus tolérante, plus progressive. Allez, ça fait du bien au moral, je suppose.
D’un autre côté, je me dis ça pour la troisième année consécutive, chaque année, à partir du mois de mai quand je commence à préparer mon article sur les séries du Ramadan. Hashtag #opportunistefatiguée.