Parfois on a l’impression de pouvoir deviner ce qui s’est dit dans les bureaux des exécutifs d’un network. C’est tellement évident.
Par exemple, chez Seven Network, en Australie, on a regardé les ventes des droits de Downton Abbey, les récompenses ramassées un peu partout, bref, on a regardé le phénomène Downton Abbey, et on s’est dit : « hey, pourquoi yen a toujours que pour les Britanniques ? Nous aussi on pourrait faire ce genre de série ! ». Un petit coup de fil à Bevan Lee, créateur des succès Packed to the Rafters et Winners & Losers, et voilà, l’affaire était entendue. Par un curieux hasard, car ce ne peut être qu’un hasard, la série a été lancée dans la case précédemment occupée par… Downton Abbey.
Cela ne signifie pas que le résultat, A Place to Call Home, soit une vulgaire copie. De la même façon que de nombreuses séries japonaises savent s’inspirer du meilleur de la télévision étrangère sans pour autant perdre de vue leur identité ou leur tradition télévisuelle, A Place to Call Home s’inspire profondément des recettes de Downton Abbey, mais ne la copie pas ; en piochant quelques idées ailleurs (un côté « médecine de proximité » vu dans Call the Midwife, par exemple), mais surtout en trouvant un contexte et un esprit ancrés dans l’identité australienne, A Place to Call Home trouve un parfait juste milieu. La seule chose qui semble lui manquer, vous l’aurez compris, est le goût du risque, mais la prise de risque est loin d’être un prérequis pour une série.
Mais au fait, de quoi parle cette série ? D’une infirmière, Sarah Adams, qui revient en Australie après 20 ans d’absence. Ces deux décennies sont assez brumeuses pour le spectateur au début du pilote (le voile est levé progressivement sur le passé de Sarah, mais de façon, reconnaissons-le, un peu brouillonne et confuse, cherchant à créer du mystère de façon peut-être un peu trop visible), mais visiblement, le personnage est blessé, et il devient rapidement clair que Sarah se dédie toute entière à sa profession dans l’espoir de penser le moins possible à son passé. Sarah fait la connaissance, dans le bateau de croisière qui l’amène chez elle, et où elle officie comme infirmière (étant entendu qu’elle ne pourrait s’offrir la croisière par ses propres moyens), de la famille Bligh, plus qu’aisée, qui rejoint sa cossue demeure en Nouvelles Galles du Sud.
Elizabeth, la matriarche de la famille Bligh ayant la santé un peu fragile, et le caractère robuste de façon inversement proportionnelle, Sarah a l’occasion de se distinguer par sa capacité à tenir tête à la têtue vieille femme, ce qui rend Sarah immédiatement sympathique aux yeux de George Bligh, son fils aîné. Lorsqu’à son retour à Sydney, auprès de sa mère, Sarah ne rencontre pas le succès escompté, elle contacte George qui lui offre donc de venir travailler dans l’hôpital que sa famille a fait construire, et qui est gérée par le docteur Duncan. Voilà donc Sarah plongée dans la vie des Bligh, espérant pouvoir commencer la sienne et ainsi tourner une nouvelle page.
Ce qui donne énormément d’intérêt à A Place to Call Home, c’est l’apparente légèreté de beaucoup de scènes, pas seulement au niveau du ton mais aussi de la narration, offrant un rude contraste avec la densité des personnages. Au stade du pilote, on ne connaît que rarement les vraies raisons de leurs tourments, mais ces personnages sont tous rongés par quelque chose, leur complexité est palpable en dépit des dialogues badins. Cela donne immédiatement l’impression non pas vraiment qu’ils cachent de lourds secrets, mais qu’il s’offrent tous, plutôt, un visage plaisant, gardant leurs souffrances pour eux-mêmes. C’est une façon intéressante et fine d’écrire les personnages d’une série qui, sans ce genre de nuances, virerait au primetime soap raté à la Deception.
Sarah, par exemple, se présente d’abord comme une infirmière, puis une nonne, puis une ex-nonne. On apprend au cours du pilote qu’elle a abandonné la religion catholique toute entière pour se convertir au judaïsme (une problématique intéressante, et à ma connaissance inédite dans une série dramatique ; contredisez-moi en commentaires). Il manque plusieurs années de sa vie sur son CV, également. Pour autant, elle ne semble pas avoir quelque chose à cacher, elle le cache plus à elle-même qu’aux autres ; la nuance est de taille. D’autres personnages, tel l’autre fils d’Elizabeth, le torturé James, vivent une situation similaire, par exemple. Ils veulent aller de l’avant mais ne le peuvent pas, parce que ce qui encombre leur âme les retient ; pour une série qui se suit de façon plutôt légère, A Place to Call Home fait donc un brillant travail pour ne pas vider ses héros de leur substance.
Le pilote de A Place to Call Home, à mesure qu’il progresse, tire de plus en plus partie des grands espaces, sortant de l’asphyxie claustrophobe qui est parfois celle de Downton Abbey pour nous montrer une Australie à la fois domptée et encore un peu sauvage, parfaite métaphore des transitions que vivent les personnages. La comparaison peut sembler redondante, mais il est visible (et c’est ce qui participe à l’identité propre de la série) qu’un effort a été fait non seulement pour jouer sur le côté historique, les toilettes, les beaux décors, mais aussi un côté plus naturel, plus libérateur. A Place to Call Home montre des personnages qui se libèrent, lentement, parfois malgré eux, de l’étau des conventions, et avoir choisi pour cela les années 50 est absolument parfait. J’ajoute que musicalement, ça fait aussi énormément de bien !
Bref, sans se consummer d’ambition, A Place to Call Home offre un spectacle peu osé, mais certain d’avoir à offrir plus, bien plus, qu’une pâle copie d’un succès international, avec de l’émotion peut-être rare, car dissimulée sous des échanges polis et des conversations parfois peu profondes, mais authentique.
C’est pour ça que le #pilotmarathon existe, voyez-vous. Pour rattraper mon retard sur des perles que j’ai laissé échapper ces derniers mois.
Tu résumes tout à fait mes impressions sur la série : un period drama efficace et agréable à suivre, même s’il est sans surprise !