Inéluctable

26 avril 2013 à 14:48

L’avantage d’un festival comme Séries Mania, c’est d’une part, voir des séries qu’on n’aurait jamais vues autrement (les séries israéliennes, par exemple, sont dans ce cas), mais aussi de se mettre devant des séries qu’on prévoyait de regarder à un moment, dont on savait qu’elles étaient sur notre planning, mais que, dans la masse, on n’avait pas traitées de façon prioritaires. A Young Doctor’s Notebook est de celles-là, et la projection de l’intégrale des 4 épisodes, hier, a carrément résolu mon problème d’emploi du temps téléphagique.
Derrière le casting, qui pour un certain public est sûrement alléchant (en ce qui me concerne, je ne regarde pas Mad Men et j’ai dû me forcer pour voir un film Harry Potter en entier), ce qui m’intéressait, c’était ce que les organisateurs ont résumé par cette phrase, « Jon Hamm et Daniel Radcliffe ont adoré travailler ensemble » : je savais déjà qu’ils jouaient le même personnage, mais qu’ils aient des scènes ensemble, ça c’était un concept intéressant.

Je confirme qu’ils en ont plus que quelques unes : les deux versions du docteur Bomgar (qu’ils interprètent tous deux) passent l’essentiel de leur temps ensemble. Au début, cela peut même sembler idéal : imaginez avoir quelqu’un qui, en permanence, est capable de vous donner les informations dont vous avez besoin, alors que vous êtes dans une situation stressante, sauf que cette personne vous donne toujours les conseils qui vont conviennent, pas des conseils que dans le fond vous savez n’êtes pas tout-à-fait pour vous. C’est du sur-mesure ! Sauf que derrière l’utopie d’être guidé par son moi futur, se cache un problème quand le moi futur en questions n’est pas forcément sage et avisé, mais doit aussi gérer ses propres problèmes. Et ces problèmes, le titre du roman est assez explicite à leur sujet…

Le soucis majeur de A Young Doctor’s Notebook, c’est que cette structure, si elle est intéressante du point de vue de la narration et des dialogues, et malgré le fait qu’elle donne à tout cela des airs de tragédie classique, empêche toute forme de suspens. Nous allons juste voir un jeune homme aller lentement vers sa destruction, il n’y a rien d’autre à faire. Alors qu’il expérimente la morphine pour la première fois, son moi âgé lui murmurera : « it will never be this good again »… ce n’est pas vrai que pour la morphine : à mesure que notre jeune premier s’améliore en médecine avec l’aide de son moi mentor, sa vie empire ; c’est sa propre existence qui ne sera jamais aussi bonne. A mesure que la saison progresse, il apparait de façon claire qu’on sait déjà comment tout cela va se finir. Il n’y a aucune façon d’y échapper, le doute est totalement absent. D’ailleurs à aucun moment le moi âgé n’a même essayé de changer vraiment les choses, encourageant presque son moi passé à reproduire inlassablement les mêmes actions. C’est le bémol majeur de ces 4 épisodes.

Pour autant, A Young Doctor’s Notebook est globalement réussie, d’abord par son côté dramatique, car le face à face, s’il ne réserve aucune surprise, est efficace ; et surtout, par son côté humoristique.
La façon dont A Young Doctor’s Notebook met côte à côte ses deux personnages pour montrer comment, de façon inéluctable, cette conclusion va se produire, ne manque pas de charme ; le personnage du docteur plus âgé, qui n’est visible que pour son moi jeune (comme une conscience ; mais une conscience matérialisée, qui fume la dernière clope ou avec qui on peut se battre), ne cesse de sortir toutes sortes de répliques cinglantes qui fonctionnent à merveille, soulignant sa connaissance parfaite de son propre passé. Cela donne des dialogues souvent délicieux ! Il faut ajouter que les seconds rôles ne déméritent pas pour ce qui est de souligner le ton décalé (très russe, finalement ; ça m’a rappelé les nouvelles de Gogol que je lisais au lycée) des scènes médicales.
Et justement… Grâce à son humour décalé, la série s’autorise aussi un aspect très gore. On nous avait prévenus avant la séance, mais je doute que qui que ce soit dans la salle n’ait pris la menace au sérieux à ce point. Heureusement, le public, hilare, réagit beaucoup mieux à cet étalage parfois répugnant de sang, et pendant certaines scènes alliant le grotesque ou l’absurde au trash, le public avait au moins la possibilité de se réfugier dans le rire pour être un peu moins écoeuré.
Procédé salvateur, mais pas forcément très enrichissant au final, qui n’apporte pas grand’chose au-delà du bénéfice immédiat de rire pour oublier qu’on en vomirait presque. Avec ce jeune personnage qui, dans un contexte répugnant, et de par son isolement, est en train aussi de suivre une formation accélérée en cynisme et en désespoir, étrangement, on ne ressent pas vraiment d’émotions.

Sur un plan formel, enfin, A Young Doctor’s Notebook est aussi très réussie de par son cadre ; la série se déroule presque intégralement dans l’hôpital où est muté le jeune docteur, et cette atmosphère confinée est incroyablement bien rendue. Certaines scènes (notamment la scène-clé finale) sont d’une réalisation fine et originale. Il y a aussi l’aspect musical, qui est très inspiré par la culture musicale russe (il y a du Pierre et le Loup dans certains passages), tout en dépassant le pur cliché. Bref l’univers de la série est propice à une belle immersion, ce qui rend de toute évidence service au sujet étrange que celle-ci s’est choisie.

Alors au final, A Young Doctor’s Notebook n’est pas mauvaise ; mais il est difficile de s’enthousiasmer pour une fiction qui, presque dés le début, dévoile ce que sera sa fin, sans offrir aucune forme de surprise ni d’émotion entre les deux. Heureusement, il reste les amputations !
Pendant la soirée, la pensée qui m’est revenue le plus souvent est : je me demande ce qu’en di(rai)t Martin Winckler.

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