Les séries sont-elles toujours aussi créatives ?

23 avril 2013 à 12:00


Hier, les festivités de la 4e édition de Séries Mania débutaient avec une table ronde au sujet légèrement polémique : « les séries américaines sont-elles toujours créatives ? ». Anne-Sophie Dobetzky (réalisatrice de documentaires), Pierre Langlais (Le Mag Séries), Alexandre Letren (Season One), Dominique Montay (Daily Mars) et Léo Soesanto (Les Inrocks) étaient réunis autour de Thomas Destouches (Allociné) pour répondre à cette épineuse question, et quelques autres.
Voici l’essentiel à retenir sur cette discussion d’un peu plus d’une heure trente.
Note : survolez les illustrations de cet article pour plus de détails sur les exemples évoqués par les intervenants.

– Introduction : c’est quoi la créativité ?

Pour Anne-Sophie Dobetzky, « on ne peut pas toujours révolutionner le genre », mais elle estime qu’il existe des fictions bien produites, donc créatives. Léo Soesanto objecte que la télévision est le genre-même du déjà vu : « on a besoin de choses familières à la TV » ; pour lui, aujourd’hui, la créativité se loge dans la déconstruction et les limites qu’on peut repousser, par exemple dans la représentation du sexe ou de la violence. Cependant, « il ne faut pas confrondre la créativité à tout prix et la qualité », c’est l’originalité et l’intelligence du ton qui font la différence. Alexandre Letren approuve et précise que la créativité ne se loge pas nécessairement dans l’inédit : « ce n’est pas ce qui a été déjà fait, mais comment on le fait ». Dominique Montay et Pierre Langlais s’accordent à souligner que la qualité n’est pas forcément synonyme de créativité : « ne pas confondre créativité, originalité à tout prix et qualité de ce qu’on nous propose ! ». Au contraire, « Plus les concepts de séries sont précis, tel que le high concept, plus il est difficile d’être créatif à l’intérieur de celui-ci ».

– Etat des lieux de la créativité américaine – les networks

Tout le monde autour de la table ronde s’accorde à dire que les cinq grandes chaînes américaines (ABC, CBS, Fox, NBC et The CW) ne sont pas dans une recherche active de l’innovation. Pour Dominique Montay, « les networks se rassurent », comme le font les grands studios de cinéma, en déclinant des recettes dont ils pensent tirer un succès facile et immédiat. Léo Soesanto précise que les networks sont dans le suivisme, et suivent des modes nées sur le câble. C’est le marche-ou-crève qui règne selon Alexandre Letren : « on cherche des formules efficaces tout de suite ». Pierre Langlais avance qu’un peu plus de latitude est peut-être accordée aux comédies. Un sondage lancé par Allociné a demandé quelles étaient les séries les plus créatives ; sont mentionnées Community, Fringe, Lost, Last Resort ou encore Chuck : des séries qui, en grande majorité, n’ont justement pas trouvé leur audience, ou ont échappé plusieurs fois à l’annulation.

   
– Etat des lieux de la créativité américaine – le câble

Tout le monde s’accorde sur une chose : le câble va plus loin. Mais pour Dominique Montay, même le câble américain ne prend pas de risque dans ce qu’il montre, il s’adapte. Pierre Langlais précise que le câble a la quasi-exclusivité du feuilletonnant, délaissé par les séries de network, le format feuilletonnant étant un rempart ; Alexandre Letren acquiesce : « si le feuilletonnant n’est pas le seul critère de la créativité, c’est la raison d’être des séries », et ajoute que le câble s’empare de sujets complexes. Pierre Langlais poursuit : c’est aussi là qu’on trouve non pas seulement de la violence ou du sexe, mais aussi simplement des concepts dérangeants, comme le font plus volontiers les séries britanniques. Anne-Sophie Dobetzky objecte que le câble ne doit pas non plus se lancer dans une course au « trash », il faut raconter, pas simplement choquer. « Le câble US est devenu le refuge des genres dédaignés au cinéma, du musical au péplum en passant par le gore », explique Léo Soesanto, mentionnant plusieurs séries de genre qui y ont trouvé le succès, comme Game of Thrones.

   
– Le « syndrome de la photocopie » est-il incompatible avec l’ambition ?

Le « syndrome de la photocopie » (un terme de Thomas Destouches) regroupe toutes sortes de cas dans lesquels les séries ne sont pas basées sur une idée originale. Il en existe plusieurs types, chacun ayant ses spécificités…

…Le remake

Ce sont souvent des séries nées à l’étranger, et reprises aux USA, car leur version d’origine n’y sera jamais diffusée. Pierre Langlais précise que tout l’intérêt est justement de voir comment une histoire sera repris et modifiée. Anne-Sophie Dobetzky évoque le procédé adopté pour reprendre au contraire une vieille série et la remettre au goût du jour : la communication joue notamment un grand rôle, notamment via le transmédia, qui permet aux spectateurs de se réapproprier une série au succès passé. Léo Soesanto précise que ce n’est pas toujours possible : certaines séries appartiennent à une époque et ne peuvent pas en sortir ; beaucoup s’y sont essayées, peu ont réussi à trouver leur public. Mais il faut faire la différence entre une adaptation et un remake, insiste Pierre Langlais ; cependant, dans les deux cas, il est possible de faire quelque chose de réussi.

   
…Le spin-off

Il naît bien souvent d’un personnage qui apparait dans une série, et qui devient le héros de sa propre fiction. Mais cela pose le problème de la qualité : le spin-off peut-il être meilleur que la série qui lui a donné naissance ? Pour les intervenants, cela se juge essentiellement au coup par coup. Léo Soesanto précise que tout dépend du personnage sur lequel repose la série.

   
…Le prequel

Le prequel revient sur la genèse d’une série, et en raconte les origines ; Thomas Destouches précise que les limites sont que, bien-sûr, le spectateur en connaît le dénouement. Mais c’est le cheminement qui a de la valeur, indique Léo Soesanto : « c’est une relecture intéressante, un moyen de revisiter un personnage culte » ; quant à Alexandre Letren, il estime qu’on fait confiance au spectateur pour s’amuser avec la série des références employées.

   
…Le « formatage »

Il s’agit ici de reprendre une recette qui a fait ses preuves, et de la décliner en une nouvelle série. La formule peut même être particulièrement rigide, aussi bien dans la structure de l’épisode lui-même que dans les codes visuels et musicaux, à l’instar de la franchise Law & Order.

   
…L’adaptation

Lorsqu’il existe un matériau d’origine (roman, comic book, etc.), le défi de l’adaptation est à la fois d’utiliser le support initial tout en développant un univers compatible avec les attentes des spectateurs.

   
Le « syndrome de la photocopie » et le monde

…La domination des Etats-Unis

Pourquoi les séries américaines semblent-elles dominer ? Dominique Montay insiste sur les moyens et la présence historique du marché américain dans le panorama ; la quantité de séries permet l’équilibre, ainsi, précise-t’il, parce que les chaînes sont elles aussi nombreuses, et n’hésitent pas à s’adresser à une niche. Pour Anne-Sophie Dobetzky, il faut aussi prendre ne compte les budgets conséquents ; elle mentionne aussi le modèle de fabrication lui-même, notamment le « pool d’auteurs », repris par d’autres pays. Sur une note moins technique, Alexandre Letren s’exclame : « les séries, ils aiment les faire, tout simplement ! », et compare avec la France, où l’on estime que la télévision est un art mineur. La situation américaine tend un miroir aux télévisions européennes : Pierre Langlais précise que le nombre d’épisodes inférieur des britanniques, par exemple, ne tente pas les chaînes françaises, ce qui explique que les séries d’outre-Manche investissent moins les écrans français. Alexandre Letren conclut que les Etats-Unis ont su donner au monde l’illusion d’une universalité dans leurs séries.

Sur Allociné, un sondage a montré que 63% des internautes estimait que les séries américaines étaient toujours créatives : un bon chiffre ! Encore heureux, explique Pierre Langlais : si on ne le pense pas, il vaut mieux éteindre la télévision. Lorsque Thomas Destouches qui demande si la télévision américaine vit un âge d’or, les intervenants ont du mal à s’entendre. Certes, explique Léo Soesanto, il y a eu de grandes séries récentes comme Lost ou 24 heures chrono, mais elles n’ont pas trouvé leur successeur, sauf à considérer Revolution ou Once Upon a Time qui en reprennent les codes. Pour Dominique Montay, au contraire, tout n’est qu’évolution ; après tout il faut remonter dans les années 80 pour comprendre comment la télévision américaine est parvenue à un âge d’or.

« Ce n’est plus l’âge d’or, c’est l’âge des pépites », tranche Pierre Langlais qui explique que les records absolus d’audiences ne seront plus réitérés, et que désormais, c’est la façon de découvrir les séries qui a changé. A l’origine, « la télévision est la communion d’un public », objecte Léo Soesanto : quand pour un film, on partage l’expérience pendant 1h30 avec une salle, pour une série, on la partage avec des millions de personnes pendant des semaines. Mais désormais, « les contenus innovent moins, mais les contenants évoluent », ajoute-t’il.

 
…Internet renouvelle-t’il la créativité ?

Les webséries sont-elles l’avenir de l’innovation « télévisuelle » ? Léo Soesanto observe que pour le moment, l’innovation n’est pas vraiment au rendez-vous dans les synergies, entre les séries diffusées à la télévision et leur webisodes sur internet. D’un autre côté, l’avantage d’internet, pour Pierre Langlais, est que la websérie permet à des gens qui n’ont pas de moyens ou de réseau d’exposer leur travail.

…La créativité en France

Dans l’Hexagone, les intervenants sont plutôt d’accord : ce sont Canal+ et arte qui proposent des séries les plus créatives ; Léo Soesanto précise que Canal+ a calqué son modèle sur celui des chaînes du câble US, et que le budget est plus conséquent que sur les autres chaînes françaises. Alexandre Letren souligne qu’OCS est une chaîne à surveiller, mentionnant des séries telles que Lazy Company ou QI, et quelques projets à venir intéressants ; il ne faut pas oublier non plus France 3 avec Un Village français. Il souligne aussi que la mission du service public ne devrait pas être, contrairement à ce qui peut être dit, de contenter tout le monde ; l’exemple de la BBC au Royaume-Uni le démontre bien. Pierre Langlais déplore que TF1, qui en aurait pourtant les moyens comme l’impact auprès du public, n’affiche ni ambition, ni ligne éditoriale claire dans le domaine des séries.

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…Et ailleurs ? L’exemple de la Scandinavie

L’innovation à la scandinave ? Dominique Montay relativise : le sujet de ces séries n’est pas toujours original, c’est en revanche tout le traitement qui fait la différence. Ces séries reprennent des codes qui ne sont pas révolutionnaires, complète Pierre Langlais, en revanche, les auteurs y ont une grande liberté de ton. On s’y appuie sur un savoir-faire issu du cinéma, explique Léo Soesanto, et on exploite les spécificités locales. Pierre Langlais conclut que ces séries sont excitantes pour le spectateur français, elles ont une forme d’exotisme, nous font voir des choses différentes… et on regarde bien les séries pour ça !
Et la prochaine vague de séries étrangères ? Pourquoi pas en Espagne, par exemple, suggère Léo Soesanto.

…Evidemment, il s’est dit bien d’autres choses ! Mais vous avez là l’essentiel des discussions. Sachez que, si vous avez manqué cette table-ronde, ou si vous souhaitez simplement la revoir, Allociné mettra en ligne sur son site une version montée de sa captation ce vendredi 26 avril.

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4 commentaires

  1. Eclair dit :

    Un grand merci pour ce récapitulatif des débats qui a du te prendre du temps !

    On est davantage dans la présentation des types de séries, d’ailleurs que dans une critique, mais ça reste intéressant à lire.

    Il n’y avait pas possibilité de poser des questions ?

  2. ladyteruki dit :

    Non, malheureusement. On m’a dit qu’apparemment ça s’était fait un peu plus lors de débats précédents, mais c’était le premier auquel j’assistais, donc je ne saurais pas vraiment dire dans quelle mesure.

    Merci d’avoir tout lu ! Je craignais d’être longue et ennuyeuse. Je crois que présenter des séries créatives est une façon plus facile à appréhender d’aborder la question de la créativité, qui est très abstraite.

  3. Eclair dit :

    Je me demande tout de même si le festival ne cherche pas à faire le grand écart entre le tout public et les spécialistes… D’un côté on fait de la pub pour des formations ou on aborde des choses de manière généraliste, de l’autre on donne un sacré panorama des séries en proposant des séances de visionnage… Et finalement on laisse peu de place aux questions.

    Cela dit, ce ne sont que des impressions via ce que je lis sur twitter ou ici. Ah, pouvoir voyager…
    Encore merci pour tes articles. Non, c’est jamais trop long

  4. julian sloane dit :

    La série télé: de la mondialisation à une création mondiale

    Les séries américaines n’ont pas perdu de leur mordant à mon humble avis et les séries qui marchent le mieux sont encore celles d’adaptation: « Dexter », « True Blood », « Game of thrones », « The walking dead » tout en s’écartant pour certaines des livres au fil des saisons, « Dexter » en est la plus parfaite illustration. Ce qui m’énerve, c’est que les Américains sont tellement arrogants qu’ils ne peuvent pas envisager un instant de diffuser les séries originales des autres pays. Non il préfère les faire à leur sauce. Les séries anglaises ont bouleversé le paysage télévisuel depuis déjà un petit moment et font de l’ombre aux Américains avec une grande liberté de ton (« Secret diary of a call girl », « Misfits », « Skins ». Mais maintenant, la déferlante vient de partout: Israël, Scandinavie, France … Les Américains doivent accepter de partager, ce qu’ils ont du mal à faire. Pourtant, de la qualité américaine, il y en a à revendre avec HBO, Showtime et AMC en premières loges. Ce qui me déroute, c’est pourquoi les grands networks qui ont relancé tout l’attrait pour la série au milieu des années 2000 avec « Desperate housewives » et « Lost » ont effectué un retour en arrière avec des séries stand alone aux méthodes éculées. Je remercie HBO, chaîne au palmarès incroyable (« Sex and the city », « Game of thrones », « Big love », Boardwalk empire »…) capable de tourner le dos aux audiences en conservant des séries que le public boude mais que la presse encense afin de se targuer d’une crédibilité artistique: sur d’autres châines, « The wire » et « Treme » n’auraient pas fait long feu. La série télé tire de partout aujourd’hui et s’amuse à piquer les parcelles d’un soft power américain à la dérive.

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