Comme d’habitude, sitôt la review de mon camarade mise en ligne, je vous proposerai un lien au bas de ce post, mais en attendant, voici ma version des faits…
Il y a des acteurs et actrices pour lesquels on a une petite tendresse, venant du fait qu’on les croise de façon constante depuis des années. Dans le cas de Kristin Lehman, ça fait bientôt 20 ans que c’est le cas ; dans les années 90, il me semblait qu’elle faisait partie de ces acteurs qui tournaient dans le circuit en apparence fermé du fantastique et de la SF (il faut dire que le Canada, son pays d’origine, s’est amplement placé sur ce terrain). Impossible de ne pas connaître Lehman, quand bien même on ne formait pas nécessairement une haute opinion de son talent.
Mais pour ces mêmes raisons, pendant longtemps, elle n’a joué que les guests, les seconds couteaux et les faire-valoir féminins. Il lui a fallu près de 20 ans avant de pouvoir être l’héroïne principale d’une série !
C’est désormais chose faite avec Motive, le nouveau procedural de CTV qui a commencé dimanche soir au Canada, dans lequel elle endosse le rôle d’Angie Flynn. Avant que vous ne leviez les yeux au ciel, voici le concept de Motive : il ne s’agit pas de trouver l’identité de criminels comme tant d’autres séries similaires, mais plutôt de comprendre (comme le titre de la série l’indique) leur motif. La série se qualifie donc de « whydunit » (en référence au « whodunit »). Qu’est-ce qu’ils ont tous à se créer des genres ?!
Et en effet, dés le début de ce premier épisode, Motive nous dévoile l’identité de son criminel et celle de sa victime ; il ne s’agit cependant pas ici, comme dans un grande nombre de procedurals, de montrer soit le crime lui-même soit la découverte du corps, mais de montrer ces deux personnages dans leur vie de tous les jours. Naturellement, ces deux présentations ne suffisent pas à expliquer pourquoi le tueur deviendra tueur et pourquoi la victime devient victime, mais l’intention est en tous cas clairement posée de se tourner vers le contexte avant tout.
Même pendant l’inévitable séquence consistant à saisir les premiers éléments de l’enquête sur les lieux du meurtre, Motive va assez peu s’intéresser aux indices à proprement parler (la présence du coroner est plutôt prétexte à présenter une équipe haute en couleurs qu’à se baser sur les traces laissées), et va plutôt placer une partie de son suspense sur ce qu’il advient du tueur pendant qu’Angie et son équipe sont sur place, ou sur les réactions de la veuve de la victime. L’épisode est, très régulièrement, ponctué de divers flashbacks qui continuent d’apporter du contexte au meurtre, aussi bien côté tueur que côté victime.
Sans parler nécessairement de révolution, Motive se donne aussi du mal, à intervalles réguliers, pour nous surprendre par petites touches et ne pas tomber dans le cliché, qu’il s’agisse de la façon dont Angie se présente à nous, dans ses rapports avec ses collègues, ou dans la façon dont les faits antérieurs au crime vont se présenter ; apportant sans cesse des petites nuances, le pilote n’ambitionne pas de nous préparer à de grands retournements de situation (et ne le peut pas de toute façon, puisque nous avons été assurés dés le départ de l’identité des deux parties impliquées) mais plutôt de nous donner une vue d’ensemble des personnages impliqués, avec tout ce qu’ils peuvent avoir de complexe, et qui va peut-être parfois conduire la police sur une fausse piste ou au moins une mauvaise intuition.
Comme on est à la recherche d’un « pourquoi », il n’est pas gênant que le spectateur soit au courant avant la police de l’identité du meurtrier, ou de son sort une fois le corps découvert pendant que la police progresse lentement dans son enquête, puisqu’on est aussi, voire avant tout, là pour comprendre les personnages impliqués.
Motive, c’est aussi un exercice de style. Je vous le disais, l’épisode est truffé de flashbacks plutôt bien vus narrativement, mais surtout, c’est sur sa forme que la série s’essaye au maximum à paraitre moderne et esthétiquement poussée ; on retrouve notamment dans les scènes de nuit l’utilisation de filtres, de lumières dans tous les sens, de musique un peu électrisante, d’effets sonores divers, et ainsi de suite. La préoccupation de Motive est clairement de proposer un produit esthétiquement léché, même si à plusieurs reprises, la production semblera en faire un peu trop, et manquera, paradoxalement, d’une identité propre.
Reste que l’effort est bel et bien là et que ce premier épisode pose une ambition claire : essayer de rafraîchir un peu la narration, et le faire avec du style. On apprenait voilà quelques jours qu’ABC diffuserait la série aux USA cet été ; je ne suis pas surprise, j’aurais même tendance à dire que c’est dans cet objectif d’exportation que tant d’efforts ont été faits.
Alors, et Kristin Lehman dans tout ça ? Eh bien, avec son personnage à la fois professionnel et cool, sa façon d’entretenir des rapports détendus et d’échanger des plaisanteries avec tout le monde (et notamment son coéquipier Oscar Vega, un peu sarcastique mais également débonnaire), dans son rapport à son fils presque adulte, également, elle m’a rappelé l’héroïne de la série danoise Rita (dont, vous le savez, une version américaine est en projet pour Bravo avec Anna Gunn dans le rôle principal). Sans prendre les choses à la légère, sa décontraction permet de ne pas prendre les développements de l’épisode trop au sérieux, et cette attitude est d’autant plus nécessaire que l’épisode, avec son rythme rapide, ses flashbacks, et ses ruptures de ton régulières, on ne peut s’apesantir trop sur un personnage trop sombre. L’équilibre est trouvé, je dirais, surtout étant donné la structure de l’épisode.
Au final, Motive n’évite pourtant pas un certain nombre de passages obligés de la série procédurale, mais elle se donne du mal pour essayer d’apporter quelque chose d’un tout petit peu nouveau à un genre qui a été surexploité ces dernières années, et c’est quelque chose que j’ai envie de reconnaître et de souligner, tant c’est si rare. La résolution de l’enquête, et donc l’explication au meurtre, restent, paradoxalement, le gros défaut de ce premier épisode ; à défaut d’une révélation fracassante, un peu d’émotion n’aurait pas été de trop. C’est encore quelque chose que la plupart des procedurals sont incapables d’apporter, quand bien même ils placent l’humain au centre de leur intrigue, et c’est d’autant plus à regretter dans le cas de Motive, dont la méthodologie semblait être d’explorer les personnages plutôt que les preuves physiques.
Du coup, Motive reste assez consensuelle dans l’effet qu’elle provoque sur le spectateur, alors qu’elle avait tous les éléments en main pour l’atteindre et lui proposer une expérience réellement différente. Dommage, ça s’est joué à pas grand chose.