The trouble with Girls

1 février 2013 à 19:20

Il n’y a pas si longtemps, j’évoquais brièvement la « malédiction de la saison 2« , qui fait que j’abandonne souvent une série au début de sa saison 2. Le processus est loin d’être conscient, d’ailleurs, et j’ai mis pas mal de temps à m’en apercevoir (alors que ça s’est produit pour Nurse Jackie, par exemple, donc il y a bientôt trois ans). Je n’ai pas encore réussi à analyser ce qui fait que c’est à ce moment-là que je bloque et que j’élimine certaines séries de mon planning ; à la limite ça semblerait plutôt logique, si je tombe en désamour à l’issue de la saison 1, que je ne reprenne jamais la série, plutôt que je la reprenne et qu’au plus fort de son début de saison, je baisse les bras. Bon, en tous cas les faits sont là, ça m’arrive très souvent, et pas de façon consciente.
L’abandon, quand j’en prends vaguement connaissance, se fait d’ailleurs en général avec une mauvaise foi caractérisée : je m’auto-convaincs que je reprendrai la série plus tard. Ainsi, je n’ai vu que trois épisodes de la saison 2 de Game of Thrones, mais je me soutiens mordicus que je finirai par voir la suite.

Cependant, pour la première fois, je suis sur le point d’abandonner une série au début de saison 2, très consciemment, et bien décidée à ne plus jamais y toucher. Cette série, c’est Girls, et si vous êtes sûrs que les spoilers ne vous font pas peur, et que vous êtes à jour sur le visionnage de la série, je vous explique pourquoi juste après l’image.

Plus les épisodes passent, plus j’ai du mal avec la réputation d’authenticité de Girls.
C’était, et c’est encore, l’argument majeur de nombreuses éloges à l’égard de la série (dont l’immensément touchante review de la saison 1 sur DNES), et c’est également, à peu près chaque semaine, ce que je lis dans des critiques d’épisodes (pour vous donner un exemple, cette review hebomdaire de Girls dit de l’épisode de dimanche que « it was reminiscent of every creative New Yorker’s early 20s », « it’s incredibly believable », « as realistic as it is », « which is totally something that happens »… pour un seul « unrealistic ! »). Ayant fraîchement passé la barre des 30 ans, je m’attendrais naïvement à être capable de reconnaître deux ou trois choses de véridiques dans Girls, si ce n’est à travers mon vécu, au moins dans celui de quelques uns de mes proches, mais rien à faire. La racine du mal tient sûrement dans le fait que je ne suis pas une New-Yorkaise, mais d’un autre côté, Lullaby non plus, alors, bon, je reste perplexe.

En quoi Girls reflète-t-il quelque chose de réaliste ? J’ai beau lire et relire les personnes qui le pensent, je ne parviens pas à comprendre leur point de vue (sans même aller jusqu’à le partager). Je suis sûrement une vieille conne, mais à quel point est-il universel de s’organiser un mariage surprise, de prendre de la drogue pour le boulot, etc., franchement, on ne vit pas dans le même monde Lena et moi, et le plus dérangeant pour moi est d’avoir l’impression que tout le monde voit cette authenticité sauf moi. C’est une expérience téléphagique propre à remettre les fondements de votre vie en question, pour un peu ; je sais que je suis pas exactement une hispter qui fréquente les book parties et les clubs au quotidien, mais à ce point ! Girls a plein de qualités, mais l’authenticité n’en fait résolument pas partie à mes yeux, et la persistance du reste de l’univers à le prétendre me met dans une situation très inconfortable quand je regarde les épisodes.

Et puis, il faut quand même dire que plus les épisodes passent, plus cette réputation relève du paradoxe. On pouvait encore croire à la sincérité du propos en saison 1, quand Lena Dunham écrivait sur ce qu’elle connaissait ; mais un an plus tard, alors que le succès s’est invité dans sa vie, on peut se demander comment Girls est supposé conserver cet ancrage soi-disant réaliste. Cette saison 2 en fait d’ailleurs encore moins démonstration que la première, comme pour confirmer que désormais, Lena Dunham écrit sur ce qui est pour elle-même de la science-fiction.

Le soucis qui s’ajoute à celui-ci est que j’ai de plus en plus l’impression que Lena Dunham fait de l’écriture automatique ; et je reste à convaincre que l’écriture automatique fonctionne pour une série (peut-être un film, je n’en sais rien). Ca semble un peu antithétique.
C’était souvent en saison 1 qu’il semblait n’y avoir pas de but, pas d’arc, pas de fil conducteur. Mais là c’est patent que Dunham s’assied, son ordinateur sur les genoux, et se dit « tiens et si dans cet épisode, un personnage se faisait arrêter ? Et si là un personnage se mariait ? Et si là Hannah essayait d’obtenir un dédommagement pour harcèlement sexuel ? ». Et on n’en entend plus jamais parler ensuite ; rien n’a jamais de conséquence dans Girls, ni sur les personnages eux-mêmes (mais cela pourrait s’expliquer par le fait qu’ils vivent dans un monde très largement immature où il n’y a pas besoin de gérer la moindre conséquence) ni même sur ce qui leur arrive. Tout n’est qu’accumulation d’anecdotes bizarres sans aucun lien les unes entre les autres ; si bien que Girls pourrait aussi bien être une anthologie et chaque épisode pourrait sans grand mal être regardé de façon totalement indépendante.
Clairement, le mariage de Jessa n’a conduit à rien (l’actrice a quelque chose comment douze secondes d’antenne dans chaque épisode de cette saison, même si c’est pour sortir la seule phrase qui m’a fait applaudir Girls), pas plus que le dépucelage de Shoshanna, par exemple, comme si Dunham s’était lassée des personnages impliqués sitôt qu’ils ont franchi ce « cap » ; elles ne sont désormais là que pour servir de vague panneau indicateur dans la trajectoire de Hannah et Marnie.

Alors d’un côté, oui, Girls est loin des recettes rigides suivies narrativement par la plupart des séries, et sous cet angle, la série est créative et peut-être même révolutionnaire. C’est tant mieux. Il faut savoir apprécier une série qui se libère des carcans narratifs des autres, c’est si rare. Mais pardonnez mon esprit formaté, j’aime quand même regarder une série pour qu’elle me raconte quelque chose.
Or, on en est à une saison et trois épisodes, et je ne sais toujours pas, en définitive, de quoi parle Girls. Je n’ai aucune idée ni de l’histoire qu’elle raconte (il n’y a pas d’histoire en réalité, juste une accumulation d’expériences sans queue ni tête), et je n’ai aucune idée de vers quoi elle tend, pour ses personnages ou, allez soyons fous, son message général.

Beaucoup semblent dire qu’elle prétend à une certaine authenticité, mais rien ne me semble authentique dans, par exemple, l’expérience de Marnie chez l’artiste Booth Jonathan cette semaine, à la fois dans la situation elle-même, et dans les réactions de la jeune femme.

Je ne comprends tout simplement pas ces personnages. Je ne comprends pas comment Hannah et Marnie peuvent d’un côté passer leur temps à s’auto-analyser en permanence, et en même temps, à être si peu en phase avec ce qui leur arrive, à juste laisser les choses leur arriver pour ensuite s’en plaindre pendant des lustres. Cette auto-victimisation constante, déjà présente en saison 1, de personnages qui assistent à leur propre vie depuis le fauteuil du passager, pour pouvoir mieux critiquer la conduite, commence à franchement me plaire ; surtout que les personnages, et Girls ne s’en cache pas, sont d’une certaine hypocrisie avec eux-mêmes sur ce même point (on l’avait vu dans la fameuse tirade du « no one could ever hate me as much as I hate myself, okay. So any mean thing someone’s gonna think of to say about me, I’ve already said to me, about me, probably in the last half hour », déchirante de mauvaise foi, et dans à vrai dire toute la dispute entre Hannah et Marnie).
Girls montre en somme, semaine après semaine, des personnages qui restent passifs et qui vivent au jour le jour… pour pouvoir ensuite se plaindre de tout ce qui ne se passe pas comme ils le souhaiteraient. Il n’est pas indispensable qu’une série mette en scène uniquement des héros qui obtiennent l’approbation du public, il devient par contre nécessaire, à plus forte raison alors que plus d’une saison s’est écoulée, que cette dynamique ait des conséquences pour eux. Quelles que soient ces conséquences. Pitié, des conséquences, n’importe lesquelles.

Peut-être que, parce que je ne sais pas m’identifier à une série (si, récemment, j’ai eu l’impression de m’identifier à Scrubs, comprenne qui pourra… d’ailleurs était-ce vraiment de l’identification dans le fond, comment le saurais-je puisque le sentiment m’est étranger), que je persiste à regarder Girls alors que je ne suis pas en mesure de recevoir la série.
Peut-être que, mon vécu étant ce qu’il est, je ne suis pas équipée pour trouver dans Girls quelque chose qui semble apparaitre comme évident au commun des mortels. Des séries comme Girls impliquent quelque chose chez les spectateurs qui n’est pas nécessaire dans un grand nombre d’autres séries ; son ambition (présumée ? est-ce vraiment l’intention de Dunham dans le fond ?) d’être sincère et authentique sous-entend une expérience commune avec les spectateurs, et ceux qui n’ont pas cette expérience commune, comme moi, devraient peut-être se résoudre à ne pas regarder Girls.
Peut-être que le sentiment d’inconfort que je ressens devant Girls, depuis plus d’une saison à présent, est en fait le signe que cette série n’est pas faite pour moi, quel que soit le buzz qui a lieu autour.

Pourtant, je trouve de bons côtés chez Girls. J’aime particulièrement les interactions entre les personnages, la façon dont leur nombrilisme s’exprime souvent à travers la façon dont ils se confrontent les uns aux autres, je trouve, pour le coup, qu’il y a quelque chose de très juste dans la façon dont les oppositions entre Hannah d’une part, et, à vrai dire, le reste de la planète de l’autre, marquent une incompréhension mutuelle totale. Hannah et Marnie, et dans une moindre mesure Elijah, Adam et les autres, sont profondément incapables d’empathie (même s’ils sont sûrement convaincus du contraire). Ils ont désespérément besoin de l’approbation des autres et sont proprement dépourvus de toute capacité à approuver qui que ce soit, et c’est quelque chose de très rare à observer à la télévision.
La plupart des héros de Girls sont dans l’auto-fiction permanente, se racontent des histoires sur eux-mêmes… dont les autres ne sont pas dupes, et cela conduit à des choses fantastiques, ponctuellement.

Tout conflit est foncièrement fascinant à observer dans Girls ; mais là encore, ce que j’aime dans un conflit entre deux personnages de fiction, c’est quand il influe ensuite sur eux. Or dans Girls, uand un personnage dit ses quatre vérités à l’autre, ce dernier ne les absorbe jamais. Par exemple, j’ai absolument adoré la conversation entre Elijah et Marnie, avant et après qu’ils « couchent ensemble » (même si entre nous soit dit, il a tout juste trempé un orteil… ça ne compte même pas), la conversation avait quelque chose de brut qui faisait plaisir. Mais en-dehors des conséquences pour Hannah, cette rencontre pourtant si atypique pour l’un et l’autre n’a semblé porter aucune conséquence profonde, aucune remise en question, même. Marnie tente-t-elle de se faire passer pour la personne qu’elle n’est pas ? Et dans ce cas, qui est-elle ? Le sait-elle seulement ? Aveugles à eux-mêmes, ils continuent de tracer leur route… et de coucher avec des artistes contemporains imbus d’eux-mêmes, dans le cas de Marnie.
Comment s’étonner qu’il soit si facile de marcher sur les pieds de Hannah ou Marnie quand elles-mêmes refusent de prendre le contrôle de leur propre existence ?

Il est possible que je ne sois pas supposée regarder Girls, que rien ne m’y destine, mais il y a toujours, comme en saison 1, des instants, éphémères mais bel et bien là, pendant lesquels je trouve Girls vraiment bonne, vraiment incisive. Mais ces instants sont noyés dans des épisodes qui me mettent mal à l’aise non pas de par le recours à la nudité, au sexe, à la crudité, aux substances variées, et ainsi de suite, mais parce que les personnages eux-mêmes vivent dans un état perpétuel de flottement éthéré et de détachement de soi qui m’empêche de vraiment réussir à leur trouver quoi que ce soit de terrestre, et moins encore d’authentique.

Je ne demande pas que les personnages de Girls deviennent « likeable », j’espère juste qu’un jour, je comprendrai en quoi ils sont « relatable ». C’est en prenant conscience de cette recherche, de cette course qui est la mienne depuis la saison 1, que j’ai compris qu’il faudrait peut-être, à un moment, jeter l’éponge.
Et ainsi admettre que non seulement je ne suis pas dans la cible de la série, mais que Girls, ce n’est pas pour moi.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

3 commentaires

  1. Gibet dit :

    Authenticité ?

    S’il y a de l’authenticité dans Girls, c’est certainement pas, comme tu le dis, dans les situations. Mais je trouve que dans le traitement, il y a souvent quelque chose de très très juste. Exemple tout simple : les disputes. Dunham a un sens de la dispute assez puissant ; quand deux persos s’engueulent, ça monte pas progressivement en tension d’un point A à un point B, ça tourne en rond, ça stagne, on parle sans s’écouter, ça ne va nulle part, jusqu’à ce qu’un des persos décide que c’est fini.

  2. Mystical dit :

    Comme je le disais sur twitter récemment, j’apprécie la serie mais je suis incapable d’expliquer pourquoi. Ni même de raconter de quoi ça parle. En plus je ne me retrouve ni dans les persos, ni dans les situations, ni même dans l’environnement, et puis ces héroïnes ne font pas rêver, c’est peut être la où est située l’authenticité dont les gens parlent. Mais comme toi, je ne la ressent pas, probablement parce que je n’ai aucun point commun avec cette série.

    Je continue cependant, je ne m’ennuie pas devant mon écran, en plus c’est un format court facile à caser dans mon emploi du temps

  3. watcher dit :

    Enfin je suis à jour et peux venir commenter ! Bon c’est long…

    Je pense qu’il y a un malentendu autour de ce qui est « réaliste/authentique » : je pense sincèrement que l’authenticité et le réalisme d’une série n’est pas coller à une vision du monde telle que vécue par chacun, ni encore moins prétendre à l’universalité (du moins par la référence, c’est-à-dire par un décor dans lequel chacun se reconnaît, avec des personnages dans lesquels chacun peut se reconnaître, avec des situations dans lesquelles chacun peut se retrouver, etc). J’ai toujours trouvé cette lecture très restrictive, à la limite du « je peux pas aimer une série si je m’identifie pas au personnage > j’ai besoin qu’il me ressemble, si je me projette, j’ai pas non plus envie qu’il soit lourd ou antipathique, etc » (parce que bon, on en voit passer des critiques qui trouvent Girls nulle parce que les perso sont antipathiques, égocentrés, etc.
    Il me semble, et cela marche pour Girls, que le réalisme, l’authenticité, reviennent plutôt à « faire croire » à la réaction, au comportement du personnage dans son univers. Tu évoques le mariage surprise, évidemment, on ne se projette pas là-dedans, mais, est-ce qu’on ne croit pas Jessa tout à fait capable de le faire ? C’est là que je vois l’authenticité, en tout cas sa réussite, qui dépend certainement d’une écriture des personnages subtile (cette balance réussie entre le personnage un tantinet poseur et sa part plus sincère, cf la conversation avec la mère des enfants qu’elle gardait en saison 1, moment de simplicité, sincérité), d’un certain art du dialogue qui « sonne vrai » (là, ça dépend aussi de l’acteur évidemment), etc.
    Je suis moins dure aussi vis-à-vis de l’absence de répercussions, elles me semblent être là, pas forcément évidentes, mais bien là, principalement dans l’évolution des relations sentimentales et amicales (les remises en question étaient bien là en fin de saison 1, je suis pas d’accord niveau conséquences du coup) (mais il est vrai que les anecdotes pro semblent plus faire aparté sans conséquences). Après c’est un peu ce qu’on peut lui trouver de charmant, ce côté tranche-de-vie, son absence de « vers quoi on tend », qui n’est pourtant pas vide de sens, après tout, c’est là aussi la part d’authenticité dans l’écriture des personnages, comme pris dans un moment de vie justement sans horizon évident, et dieu sait qu’une fiction n’a pas à transmettre de message (enfin c’est mon avis ^^). Puis le pathétique des personnages, s’il est sans complaisance, me semble être un parti pris intéressant et propre à faire jouer cette ambiance un peu awkward-sad qu’on ne rencontre presque jamais dans des séries de 30min.

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