Enfin, ce n’est que mon point de vue : celui de mon camarade (dont vous pourrez juger en cliquant sur la bannière au bas de ce post) peut très bien être radicalement différent…
La série britannique Jekyll a-t-elle jamais été diffusée aux Etats-Unis ? Je n’en ai pas trouvé de trace, en tous cas. Cela expliquerait pourquoi un remake officieux prendrait forme sur les écrans américains en ce mois de janvier, profitant de l’ignorance du grand public d’outre-Atlantique (qui, il est vrai, n’a commencé à se passionner pour les séries britanniques que très récemment via Doctor Who et Downton Abbey, et encore, sur des chaînes du câble) même si très franchement, si c’était pour faire ça, ce n’était pas la peine d’attendre 5 ans.
Oui, Do No Harm a quelques points forts, le principal étant visiblement le budget (on se prend à rêver à ce que des créatifs européens feraient avec le budget de certaines séries de networks américains) et peut-être, non, bon, essentiellement le budget. Enfin… je dis ça, mais il doit y avoir quelques bons côtés à cet épisode, parce que je ne me suis pas non plus trop ennuyée pendant le pilote, que j’ai regardé jusqu’au bout et sans me faire les ongles, ce qui tend à indiquer que je n’ai pas passé les pires 40 minutes de mon existence, ni même de ce mois de janvier.
Le problème, c’est que Do No Harm est très consensuelle ; à plus forte raison si on a vu Jekyll, donc.
Il aurait pu être intéressant de savoir comment le docteur Jason Cole avait découvert l’existence d’un « double » appelé Ian, avec qui il partage son enveloppe corporelle ; au lieu de cela, le pilote va totalement faire l’impasse dessus, et tient le fait pour acquis à un tel point que plusieurs personnages qui passeront dans l’épisode sont déjà au parfum, tandis que le spectateur ne l’est pas trop (il aurait pu être un brin pédagogique, malgré le cliché narratif que cela représente, de faire en sorte que quelqu’un découvre cette étrange colocation dans le premier épisode, histoire de nous donner une chance d’accéder à la backstory… eh oui, les clichés narratifs ont parfois une raison d’être !). Mais pas du tout.
Le spectateur est, à la place, immergé dans un monde où le fragile équilibre trouvé par Jason pour tenir Ian à distance va se trouver rompu ; là encore, le soucis c’est qu’on connait mal cet équilibre. L’épisode nous montre d’entrée de jeu un médecin stressé, surveillant sa montre en permanence, qui en est encore à venir chaque jour récupérer une dose d’un puissant anesthésiant (ou quelque chose du genre) auprès d’un collègue qui le fournit illégalement. Mais le système est déjà fragile et bien précaire, si bien qu’au lieu d’introduire une rupture (« Ian devient incontrôlable »), l’épisode renvoie une impression brouillonne.
Quand Ian rompt effectivement la trêve, comme c’était prévisible, c’est là encore grâce à quelque chose qui apparait plutôt comme un coup de tête scénaristique, plutôt que parce que quelque chose couvait : il a développé une résistance au fameux anesthésiant. Mais comme en réalité on n’a jamais vu fonctionner le médicament en question, il n’y a aucun effet avant/après. Voilà donc Ian qui s’invite dans la vie de Jason pour, évidemment, la lui pourrir, sans créer la moindre émotion de notre côté de l’écran. Et certainement pas de la surprise.
Ce sera tout l’enjeu de Do No Harm : montrer comment les deux hommes vont jouer une partie d’échecs avec le corps qu’ils se partagent, et donc la vie qui est la leur, aux yeux des observateurs extérieurs.
La partie en question aurait de l’intérêt si Do No Harm ne tentait pas, avec l’énergie du désespoir, de faire passer l’un des deux hommes pour le « gentil » et l’autre pour le « méchant » de façon très manichéenne ; il y a d’un côté la victime, celui qui en plus est médecin et gentil et prévenant et inquiet, et de l’autre côté, le sadique, le bourreau, la bête, le jouisseur qui ne pense qu’à sa pomme. On aurait pu espérer qu’à défaut d’être d’une folle originalité sur la forme, Do No Harm aurait trouvé un moyen moins moralisant d’employer le fameux thème de Jekyll et Hyde (un peu comme Awake, finalement, a pu le faire de façon détournée), mais ce ne sera pas pour cette fois. Jason a le jour, le bien, le coeur brisé ; Ian a la nuit, le mal, l’égoïsme. Pourquoi Jason n’a-t-il pas de travail (même s’il aurait pu être malhonnête ou dégradant, à la rigueur), d’amis (je ne m’attendrais pas à ce qu’il entretienne des relations amoureuses, mais au moins un pote, quelque chose), etc ? D’accord, ça fait 5 ans qu’Ian est systématiquement dans le coaltar, mais avant ça ? Cette façon si caricaturale d’envisager l’identité de chacun empêche de vraiment donner un enjeu à la série : moi aussi, si on me droguait depuis plusieurs années, j’aurais des pulsions de vengeance en me réveillant.
Qui plus est, les scénaristes emploient la « mauvaiseté » d’Ian de façon totalement opportune vers la fin de l’épisode, afin qu’Ian se trouve tout de même au service de Jason et donc du bien. Quel est l’intérêt d’une confrontation qui tourne de cette façon dés le pilote, sans que le bras de fer n’ait été très long ou difficile ?
Car oui, en plus de sa vie compliquée (et ce n’est pas rien que d’avoir seulement 12h d’existence chaque jour), Jason est un tellement bon gars qu’il joue les assistantes sociales auprès des cas qu’il rencontre à l’hôpital, souffrant du syndrome si télévisuel du workaholisme. Genre le mec, il s’emmerde en fait ! Do No Harm insiste absolument pour passer énormément de temps dans la partie médicale de son contexte, alors que rien d’original n’en sort, et que ça n’ajoute rien à notre affaire.
Alors Do No Harm n’est pas mauvaise, non. Le rythme est bon, le cast se défend à peu près, et globalement, il s’agit d’une production décente. Mais le manque de courage de la série sur son thème, ses personnages, et même la façon dont elle veut nous présenter le déroulement de son histoire, ne donne vraiment pas envie de lui donner une chance et de développer un quelconque aspect, qu’il soit dramatique ou mythologique.
C’est un pilote « propre ». Ca n’enflamme pas les téléphages, les pilotes propres, ni dans un sens ni dans un autre. Je ne me vois pas lapider la série plus que je ne m’imagine en dire du bien. Reste à voir si le grand public accrochera ; parfois ça se joue sur un coup de bol. On verra bien mais, quel que soit le sort de Do No Harm, ce sera sans moi.