Avec un petit effort de mémoire (ou d’imagination, selon votre âge), vous pouvez peut-être vous souvenir ce que c’était que de ne pas être complètement innondé de séries policières. Je vous l’accorde, ça exige une petite gymnastique intellectuelle de nos jours, mais je suis sûre que vous pouvez le faire. C’était une époque pendant laquelle on n’avait pas encore atteint le stade où on a l’impression d’avoir tout vu ; mais avec l’année 2000, ça allait changer.
La première semaine d’octobre 2000 a vu apparaitre sur les écrans américains la série Les Experts ; une équipe dédiée à une seule tâche, trouver LA preuve qui permettra de confondre les criminels chaque semaine, tout cela sous une profusion de filtres colorés. Eh bien figurez-vous que, la première semaine d’octobre 2000 a également vu apparaitre, cette fois sur les écrans danois, une série répondant étrangement à la même description : Rejseholdet. C’est de cette dernière dont nous allons parler ce soir, puisque je viens d’en regarder le pilote.
Les ressemblances entre les deux séries ne s’arrêtent pas à la description succincte que je viens d’en faire. Comme Les Experts, Rejseholdet emploie un procédé un peu tordu pour à la fois présenter son contexte et y apporter presqu’immédiatement un élément perturbateur, à savoir la mort d’un membre de l’équipe ; sauf qu’ici, c’est le chef de l’unité, Torben Rønne, qui va être retrouvé mort.
Promue par le concours de circonstances à sa place, Ingrid Dahl, une inspectrice jusque là en charge des affaires internes, va prendre la tête des opérations afin de comprendre ce qui s’est passé et trouver le responsable. Elle doit naturellement faire face aux réactions de l’équipe de Torben, lesquels n’accueillent pas tous son arrivée de la même façon, et ce avec d’autant plus de difficultés qu’ils doivent aussi faire le deuil de leur patron ; mais Dahl va aussi découvrir qu’elle va devoir composer avec son supérieur Ulf Thomsen, qui très sincèrement ne la voyait pas pour ce poste et auquel la directrice de la police a légèrement forcé la main.
L’enquête va suivre son cours de façon assez « classique » (ce n’était peut-être pas forcément aussi classique il y a douze ans, mais le téléphage d’aujourd’hui aura du mal à en être tout-à-fait convaincu…), avec la structure habituelle : il y a une piste/c’est une fausse piste/une nouvelle piste/confession. Emballez, c’est pesé.
Pourtant, derrière les apparences peu originales de Rejseholdet, se cache un pilote qui a beaucoup à dire… mais pas sur son intrigue policière. Une grande partie de l’épisode sera en effet consacrée à suivre les relations d’Ingrid Dahl avec ses collègues et sa hiérarchie. Mais on n’est pas dans la figure classique du flic-contre-tous, par exemple. Rejseholdet s’est choisi un thème bien spécifique pour son épisode inaugural.
Au début de l’épisode, Torben et son équipe reviennent d’un déplacement, et s’apprêtent à célébrer une énième enquête couronnée de succès. On découvre d’entrée de jeu combien l’atmosphère y est à la fois joviale (ils sont contents d’avoir résolu leur affaire, normal) et extrêmement violente et sexiste. Torben et Ulf échangent des blagues pas franchement fines en sa tapant l’épaule, on ironise sur la vie conjugale des uns, et ainsi de suite. L’atmosphère est visiblement très joviale, mais aussi plutôt virile, en dépit de la présence au sein de l’unité d’une jeune femme blonde qui, dés qu’elle ouvre la bouche, est renvoyée dans ses cordes comme par habitude (« tu devrais pas être en train de te faire les ongles ? »). Tout cela sous le regard d’Ingrid, qui a croisé tout le monde dans le parking, et qui jette sur cette dynamique un regard navré.
La façon qu’a cette scène d’exprimer un sexisme très ordinaire, sous les yeux d’une femme qui n’est ni blasée ni vraiment révoltée par ce qu’elle entend (ce qui m’a d’ailleurs un peu rappelé, même si c’est en fait anti-chronologique, Koushounin), est en réalité à la racine des meilleures scènes de l’épisode.
Le pilote de Rejseholdet va en effet se faire fort de répéter régulièrement ces ingrédients tout au long de son intrigue ; par exemple, Ingrid décrochera le poste parce que la directrice de la police a suggéré son nom à Ulf. Discrimination positive ? C’est ce que suspecte Ulf, lequel proteste qu’il ne voit pas son équipe travailler sous les ordres d’une femme ; la directrice ne confirmera ni n’infirmera son intention, mais notera qu’il est grand temps qu’une femme ait cette responsabilité ; clairement, le fait qu’Ingrid soit une femme n’est anodin pour personne, dans un sens comme dans l’autre. Le fait qu’elle ait eu la promotion au lieu du second de Torben devrait être un facteur aggravant, au moment de son arrivée dans l’équipe, mais l’épisode va au contraire se défausser rapidement de cette piste pour explorer plutôt la question des genres.
Au cours de l’épisode, Ingrid explicitera toute la problématique qui se cache derrière son accession au poste : « je veux être promue pour mes qualifications, non mon genre ». Le soucis c’est que son genre est aussi précisément ce qui empêchait Ulf de la considérer sérieusement pour ce poste, en dépit de ses qualifications… Rejseholdet semble bien décidée à explorer cette question, et s’en tirera plutôt bien dans un pilote qui a aussi pour vocation de mener une enquête de bout en bout, plus, bien évidemment, l’exposition de ses personnages (même si certains seront mieux servis que d’autres à ce stade).
Toute la question est de savoir si cet axe sera également exploité par les épisodes suivants ; j’avoue qu’à ce stade, j’ai l’impression qu’une telle énergie a été consacrée à ce thème dans le pilote, qu’il semble difficile de nier que Rejseholdet a l’intention de questionner divers problématiques féministes (on aura aussi, plus brièvement, droit à un questionnement sur la façon dont Ingrid peut concilier sa vie professionnelle et sa vie de mère), mais je vois mal, d’un autre côté, comment il peut être possible d’aborder le sujet sans tomber dans la redite de ce qui a été dit dans le pilote. Ca m’intrigue vraiment.
Mais heureusement que cet aspect des choses m’intéresse, parce que pour le reste, Rejseholdet n’est pour l’instant pas d’une folle originalité sur un plan strictement policier.
Il faut aussi ajouter que, si j’ai dressé une comparaison avec Les Experts, elle n’a absolument pas lieu d’être étendue à la question budgétaire : clairement, la série danoise est sur un budget serré. On peut d’ailleurs la comparer à des séries danoises (ou scandinaves en général) plus récentes, et voir le chemin parcouru en une dizaine d’années en termes de production value ! C’est édifiant… Malgré quelques efforts de camera, on sent quand même que Rejseholdet n’est pas exactement un bijou de réalisation, et certaines performances d’acteurs sont d’ailleurs à l’avenant.
Mais qu’importe. J’apprécie que la série ait eu envie de dire quelque chose, de ne pas simplement se consacrer à ses enquêtes policières, d’avoir un sujet. Le fait que ce sujet soit le féminisme (ou semble l’être) ne gâche évidemment rien à mes yeux, mais Rejseholdet pose plus de questions qu’elle ne semble y répondre sur ce sujet de toute façon.
Vu mon aversion envers les séries policières en général, et à plus forte raison si elles sont procédurales, je ne vais sans doute pas finir en quelques jours mon coffret de Rejseholdet nouvellement reçu. Mais je suis contente d’y découvrir un angle dramatique qui la rendra plus facile à regarder. N’hésitez pas à y jeter un oeil… à ce stade de mon visionnage, je trouve que Rejseholdet a l’air bien partie pour mériter ses deux International Emmy Awards !