Contrairement à ce que semblent penser les Américains, les séries israéliennes ne valent pas que pour leur ambiance de thriller. On compte aussi de solides dramas et dramédies, avec un talent rare pour capturer des émotions vraies.
Par le passé, sur ce blog, quelques unes de ces séries ont été évoquées, parmi lesquelles Srugim, par exemple (un petit bijou que je vous recommande une nouvelle fois, en passant), ou d’autre beaux morceaux de bravoure comme Kathmandu, ou Nevelot. J’ai aussi eu l’occasion de jeter un oeil à un bout de pilote de Shvita (les plaisirs du streaming m’empêchant d’en voir le bout), et vraiment, on passe à côté d’une somme de séries incroyables de par le manque actuel de sous-titres (heureusement, vous pouvez consulter les posts évoquant ces séries en allant faire un tour parmi les tags). Un jour, peut-être…
…Peut-être pas si lointain pour certaines de ces séries, d’ailleurs.
Mais pour aujourd’hui, il faudra se contenter de VOSTM, mes amis. Pour autant, je crois la série du jour capable de parler de choses suffisamment universelles pour que la barrière de la langue ne pose problème que dans une infime minorité de scènes de son pilote, et je compte bien sur vous pour ne pas vous laisser rebuter pour si peu.
Oforia, puisque c’est son nom, a démarré le 30 novembre dernier sur la chaîne câblée HOT3, et il s’agit d’une série sur l’adolescence, mais dont on n’est pas bien sûr en la voyant qu’elle s’adresse tout-à-fait aux adolescents…
Oh, il ne fait nul doute, lorsqu’on aborde Oforia, que son créateur Ron Leshem (journaliste et écrivain de son état) a vu Skins. C’est une évidence tant Skins a transformé la façon dont on aborde les séries sur les adolescents à la télévision, tentant de dépeindre de leur intimité comme leurs excès, si ce n’est même d’employer les seconds pour approcher la première. Et c’est aussi une évidence sur la forme, même si on doit plutôt celle-ci à la réalistrice Dafna Levin.
Mais comme beaucoup de grandes séries inspirées, Oforia nait des vagabondages de l’esprit de son créateur, à partir de ce que Skins a éveillé en lui ; il n’est pas question de simplement adapter officieusement ses méthodes ou son esprit : les problématiques abordées par Oforia dépassent la simple chronique. Oforia veut aller plus loin. Comme ses personnages, d’ailleurs.
Il faudra juste me pardonner si je n’ai pas retenu leurs noms, parce que, euh, en VOSTM et avec uniquement des sources en hébreu, j’atteins mes limites, je le confesse.
Ils ont une moyenne d’âge de 17 ans. Ils ne sont pas tous amis, loin de là. Certains ne se connaissent pas.
Ce qui les caractérise tous ? Le détachement. Les personnages d’Oforia vivent dans l’un de ces curieux mondes dans lesquels les adultes n’existent pas, au point qu’on serait en droit de se demander s’il n’y a pas un scénario à la Jeremiah là-dessous. Ce n’est pas un défaut, cependant ; l’absence absolument totale d’adultes ne se vit pas comme un travers de la série, mais simplement comme une partie de son propos. Livrés à eux-mêmes, les protagonistes n’ont donc rien qui les retient de plonger dans les excès.
Et c’est justement cet extrême détachement et la facilité des excès qui fait de ces personnages ce qu’ils sont.
Deux d’entre eux vivent ensemble ; l’un est un ancien enfant obèse devenu beau gosse avec l’âge, qui a décroché un rôle dans une telenovela adolescente et en tire un immense orgueil. Malheureusement pour lui, son orgueil est aussi profondément atteint par son manque de maturité sexuelle (il se soupçonne à vrai dire d’être impuissant, alors que ce n’est pas le désir qui manque) ; il vit avec son frère aîné de quelques années, un véritable jouisseur qui accumule les coups d’un soir et se préoccupe de l’éducation de son frangin comme des chemises qu’il ne prend pas le temps d’enfiler entre deux conquêtes.
Avec eux vit également l’un de leurs amis ; lui aussi a 17 ans, il est maigrichon et a un physique légèrement ingrat, mais il est aussi le petit chimiste de la bande, et prépare de nombreuses drogues dans un laboratoire qu’il a entièrement constitué dans la cuisine de la maison, en s’inspirant de videos trouvées sur internet ; une scène épique le mettra face à un gamin qui ne doit pas avoir plus de 12 ans, qui lui sert de revendeur, et auquel il dévoile sa panoplie : poppers, amphétamines, héroïne… les tiroirs débordent de substances non seulement prohibées, mais surtout, rarement propres à garder les pieds sur terre. Sauf que lui, la drogue, il la fabrique à la maison, mais il n’en consomme pas ; au contraire, il est plutôt raisonnable comme garçon, il ne boit même pas de bière et baisse les yeux lorsqu’il voit une fille impudique.
Il y a aussi cette fille. Elle est grosse, n’ayons pas peur des mots. Elle le sait. Tout le monde le sait. Elle va sur Chatroulette et personne ne prend même le temps de lui dire bonjour. Alors avoir une vie sexuelle, vous pensez. Sauf qu’elle a craqué sur un type, un inconnu (on va comprendre que c’est le fameux jouisseur), et qu’elle s’est mis en tête de coucher avec ce beau gosse ; sauf que voilà, elle n’a aucune expérience, et il le sait. Fort heureusement, elle a un meilleur ami gay qui vient d’emménager avec un couple de mecs trentenaires, et se tourne vers lui en dernier recours…
L’autre fille de la série est jolie, il n’y a aucun doute. Mais elle plane totalement. Son regard ne se fixe plus sur grand’chose, ou quand il le fait, c’est de façon blasée. Elle passe ses journées dans la petite piscine hors-sol sur le toit de son immeuble, aborbée dans la contemplation du ciel. Les garçons la rencontrent alors qu’ils viennent lui vendre de la drogue toute chaude sortie du four. Et pendant qu’ils trempent de longues heures dans la piscine, ils découvrent progressivement les marques à son poignet. Et elle s’en fiche, vraiment. Elle les aime, ces lignes sur son bras gauche, dans le fond ; ils racontent son histoire.
Et puis il y a ces deux garçons. Deux frères, sûrement. Ils sont partis pour l’Amérique du Sud. Ils cherchent quelqu’un. Une femme. Ils connaissent quelques mots d’Espagnol, mais clairement ils sont perdus. On n’est pas sûrs qu’ils puissent trouver.
A vrai dire, qu’ils n’aient pas de nom à ce stade pour moi est presque mieux que si j’étais capable de les nommer parfaitement. Ils sont ces personnages, et ils ne sont personne en particulier. Ils sont tout le monde.
En effet, pour la première fois depuis longtemps, et alors que je n’ai mais alors, aucun point commun avec ses personnages, j’ai regardé Oforia en ayant des bouffées de souvenirs remontant brutalement. Des bruissements, de vagues impressions, sont revenues par vagues, et pour moi dont les souvenirs sont essentiellement photographiques, retrouver l’espace d’une seconde une sensation, un sentiment, un état d’esprit, était à mon sens la preuve d’une vraie réussite de la part de l’épisode.
Mais je vous l’ai dit, Oforia n’est pas qu’une simple chronique à la manière de Skins (d’ailleurs, les souvenirs que j’ai gardés du pilote de Skins sont ceux d’un épisode qui s’offrait aussi des moments de beauté et de poésie, et bien malin ou pervers celui qui en dénichera dans le premier épisode d’Oforia).
Oforia est l’histoire d’une pendule arrêtée. Pour ces quelques adolescents, on le comprend par une rapide scène à la fin du pilote, quelque chose s’est passé. Et ce quelque chose les a poussés dans une fuite. Dans Oforia, tout le monde cherche à s’échapper : de sa virginité, de son mal-être, mais surtout de soi-même. La série ne veut pas juste raconter les troubles d’adolescents parmi tant d’autres, elle veut expliquer pourquoi cela sont cassés, par quelque chose qu’ils tentent par tous les moyens d’occulter. Et si ce n’était pour cette scène… ils y parviendraient presque.
Le sentiment diffus et perturbant que tout cela distille n’est pas de l’ordre du thriller, pas du tout. Mais offre quelque chose d’infiniment plus feuilletonnant que le simple déroulé de la vie de ces personnages que quelque chose a figé et pourtant projetés ailleurs. Il s’agit d’explorer les manifestations de cette échappée, de comprendre les divers symptômes, sans vraiment saisir la cause. Quel est le mal qui ronge ces héros ? Pourquoi cette séquence de quelques secondes suffit-elle à rendre l’ensemble si étouffant ?
Pour le savoir (et, je l’admets, mise sur le trailer des épisodes suivants, diffusé à la fin du pilote), une fois n’est pas coutume quand je rédige un post sur le pilote, j’ai regardé le deuxième épisode, diffusée vendredi dernier. Il y a encore l’une de ces scènes, fugace, elle aussi. Mais juste un peu moins. Et suffisamment pour nous faire comprendre qu’Oforia ne prétend pas faire le portrait de jeunes, mais de ces jeunes.
Oforia, en dépit de sa capacité à parler de quelque chose dans lequel, je pense, on parviendra tous à reconnaître au moins un petit quelque chose, n’est pas une voix d’une génération ; c’est un drama intense qui a décidé de prendre les choses à rebours. De ne pas nous dire : « attention, là il y a eu un évènement terrible, et on va essayer de comprendre son incidence sur les personnages » mais qui au contraire nous donne à observer le fil de la vie de ces protagonistes, et de nous laisser l’occasion de deviner qu’il y a eu cassure. On en saura plus, les trailers de fin d’épisodes sont formels, sur ce qui s’est passé.
Quelques recherches sous Google permettent même d’en savoir un peu plus grâce à une bande-annonce sous-titrée en anglais, mais l’oeuvre d’Oforia n’est pas d’en faire le centre de son intrigue. C’est à un point tel qu’on dirait qu’elle refuse de se transformer en thriller, quand bien même elle en aurait tous les ingrédients.
Le plus fort, c’est qu’Oforia parvient à montrer toutes sortes de comportements ayant largement dépassé le stade de « borderline », sans jamais les juger. Du chimiste introverti à la petite grosse qui se rêve en fille facile, de l’accidentée de la vie au bogoss du quartier, la série nous apprend à les embrasser. On sait qu’ils sont cassés, irréparables sans doute, comme de jolis jouets neufs qu’on a maltraités dés le matin de Noël ; on les aime quand même. On souhaiterait juste comprendre (et pas simplement découvrir) pourquoi.
L’émotion permanente, mais pas exagérée, d’Oforia, son ton à la fois quasi-documentaire et profondément élégant, son choix trivial de montrer ses personnages dans toute leur nudité et leurs besoins naturels, et pourtant de les sublimer, sa façon de panacher les thèmes difficiles en parvenant à ne pas verser dans un pathos inutile, ses personnages pléthoriques et l’ombre qui planne, angoissante et pourtant diffuse, sur le background commun de ces héros, font d’elle un véritable coup de poing.
En fait, ça fait deux-trois heures que je tourne autour du pot, et que je me dis que, puisque j’ai réussi à trouver une bonne source pour dégoter les épisodes (pour cela, je vais vous donner l’astuce, il suffit d’un combo SuperDown + Download Helper, et je suis une téléphage comblée), je suis à ça de suivre une série israélienne sans sous-titres pendant l’intégralité de sa diffusion. Ce qui dans mon cas serait une première. Je ne suis pas obligée de prendre une décision ce soir, évidemment, je suis sans doute encore trop sonnée par la claque, mais… wow ! Oforia. Voilà une série qui n’a pas volé son nom.
Zut, je t’ai déjà dit à quel point la VOSTM me semblait inaccessible, c’est moche ce que tu fais !
Ça donne tellement envie que je vais peut-être tenter pour la première fois, mais je ne sais vraiment pas si je vais réussir à dépasser cet obstacle. Je suis incapable de lâcher prise et de me laisser porter par les images. Il faut que je comprenne tout, tout le temps… C’est une véritable malédiction dans ces cas-là…
Merci pour la découverte en tout cas. Avec Puberty Blues, j’ai retrouvé une certaine curiosité pour les séries d’ado et ton billet tombe vraiment à pic. A suivre, donc…