Doctor Whoverdose

28 décembre 2012 à 22:13

En téléphagie, il y a toutes sortes de marronniers négatifs et généralistes. La rentrée : « c’est pourri, ya aucune bonne nouveauté ». Les Emmy Awards : « de toute façon toutes les récompenses sont faussées ». Les premières annulations : « normal, la rentrée était pourrie ». Et ainsi de suite. Tous. Les. Ans.
Et puis, il y a les marronniers qui ne portent que sur une série, et qui ressortent immanquablement alors que la diffusion reprend après un hiatus. Rules of Engagement : « je savais même pas qu’elle existait encore, cette série ». How I met your mother : « nan mais, cette saison, c’est la dernière, obligé ». Doctor Who : « ce ne sera jamais plus pareil ». Tous. Les. Ans. Voire même un peu plus souvent.

Le pire, c’est que Doctor Who semble être l’une des rares séries que de plus en plus de monde regarde, mais en sachant de moins en moins pourquoi. Quand on lit la plupart des réactions à chaud sur Twitter, par exemple, on peut sentir combien sont nombreux ceux qui ont de plus en plus de mal, ou qui décident de regarder le bon côté des choses volontairement pour ne pas lâcher une série qu’ils suivent depuis de longues années.
C’est vrai même pour quelqu’un qui n’a démarré la série que sur le tard, comme votre serviteur ; ça fait un bout de temps maintenant que je sens bien que je continue en tirant la langue et en me forçant. Ce qui est étrange, parce que je n’ai pas coutume de me forcer à regarder une série ; au contraire, mon fonctionnement est tout l’opposé, et je fonctionne uniquement à l’envie, n’hésitant pas à arrêter une série dés qu’elle me déplaît ou simplement me lasse. Curieusement, Doctor Who est l’exception.
Je ne sais pas trop pourquoi je continue d’attendre que quelque chose se passe, que l’étincelle revienne, parce que clairement, attendre une telle chose pendant deux saisons, ce n’est pas réaliste. Quand une série a un coup de mou, ça ne dure pas deux saisons. Deux saisons, ce n’est pas un petit problème passager qui va s’améliorer la semaine prochaine ; deux saisons, c’est une raison nette et objective d’abandonner. Et pourtant non.

Une bonne partie du temps que je passe devant Doctor Who, je le passe partagée entre l’espoir et l’imagination. Et c’est peut-être bien la raison pour laquelle je continue de la suivre, parce que peu de séries provoquent ce genre d’expérience, même si ce résultat n’est obtenu que via des insuffisances.

Ainsi, chaque développement de Doctor Who me fait espérer que les choses vont s’arranger, qu’il y a quelque chose de grand après le prochain virage, que la révélation qui ne manquera pas d’arriver ultérieurement sera celle qui donnera du sens à des mois et des mois de visionnages laborieux. Ca a été vrai en saison 6, mais plus encore pendant la première partie de la saison 7 ; j’attendais que les éléments en place se combinent en une espèce de Transformers narratif qui prend vie une fois les pièces emboitées dans le bon ordre, et chaque fois que je croyais deceler un indice menant vers une conclusion palpitante, je trouvais une raison de persister. Bon, d’accord, cet épisode-là était décevant. Mais à la fin de la saison, ça va être immense. Comment Moffat procède-t-il pour nous laisser croire qu’il a quelque chose dans sa manche ? Par quel tour de passe-passe est-il parvenu à donner l’illusion d’avoir un plan sur le long terme ? On devrait pourtant savoir que ce n’est pas le cas, mais l’illusion est parfaite.

Mais surtout, et je crois bien que Doctor Who est la seule série actuellement en mesure de m’offrir cela, mon imagination est incroyablement stimulée à chaque épisode. Anticiper une hypothétique conclusion d’un (souvent tout aussi hypothétique) arc narratif à long terme me donne envie de me lancer dans des conjectures et des suppositions folles, et comme je vais en évoquer quelques uns, je recommande à ceux qui ne sont pas à jour de leur visionnage d’éviter le prochain paragraphe, pour cause de potentiels spoilers.
Je me rappelle encore quand je me délectais de l’idée, ou plutôt devrais-je dire la conviction, que Rory et Amy allaient partir en claquant la porte, en se retournant contre le Docteur. J’ai passé une bonne moitié de la saison 6, et, sans mentir, toute la saison 7 à ce jour, à y croire dur comme fer. Quand tout un épisode de ladite saison 7 a tourné autour des différences devenues impossibles à concilier entre le mode de vie des Pond et celui du Docteur, je me suis dit : le divorce est consommé. Il y a un moment où ils vont trouver qu’il va trop loin, ou qu’il fait n’importe quoi, ou tout simplement qu’ils ont passé l’âge, et un jour, le TARDIS va se planter dans leur salon et ils refuseront d’y monter. Et ça va être déchirant parce que ça ne voudra pas dire qu’ils n’aiment plus le Docteur, mais Amy/Wendy aura grandi sans plus attendre les visites de Peter Pan. Bon sang, vraiment j’étais sûre de mon coup ! Toutes les fois où le Docteur en avait fait des tonnes sans se soucier des conséquences, toutes les fois où Amy, Rory et même River l’avait rappelé à l’ordre, toutes les fois où il était à fond dans son délire sans prendre garde aux sentiments de ses propres amis… vraiment j’y croyais à fond. D’ailleurs, cette façon de rappeler que Rory est infirmier, un soigneur, quand le Docteur a perverti son propre nom et donc son titre, ça ne pouvait qu’avoir du sens ! Et puis, la fin du premier volet de la saison 7 est venue, avec son enfilade de scènes exagérément dramatiques, mais pas émouvantes, et cette façon complètement pauvre et surtout soudaine de se débarrasser fort opportunément de Rory et surtout Amy… je ne comprenais pas. Est-il possible d’être le showrunner d’une série à la mythologie riche, de l’étoffer régulièrement dans des épisodes, et de pourtant décider de ne se servir d’aucun des éléments plantés antérieurement lors de ce qui devrait être le plus important épisode de la saison, et l’un des plus importants de la série ? Ce n’est pas simplement l’histoire de cet épisode qui m’a déçue, mais carrément l’impression que je ne regardais pas la même série que celui qui en écrit une bonne partie. Je peux tolérer les revirements de situations abracadabrants, pourvu qu’ils portent une émotion qui ait du sens ; mais qu’on cherche à me faire pleurer pour me faire pleurer, sans s’appuyer sur ce qui se dit dans les épisodes précédents, au nom de l’effet de surprise, a tendance au contraire à me faire me rebiffer totalement.

Le Doctor Who de Moffat joue avec mon accoutumance, et l’entretient avec ce qu’il est plus honnête de qualifier de produits coupés. Mais une fois de temps en temps, juste une fois, il y a une vraie pillule de LSD pure, et là je décolle.

C’est précisément comme ça que je savais bien avant le départ d’Amy et Rory que j’allais continuer Doctor Who. Je le savais parce que j’étais tombée sous le charme de celle qui était annoncée comme un nouveau Companion, et qui a été introduite en début de saison 7, Oswin. Après avoir vu son épisode d’inauguration, c’était acquis que j’allais laisser, encore une fois, une chance à Moffat de me coller au plafond. Je trouvais le personnage riche, et émouvant. J’étais fascinée par sa nature, laquelle a des implications profondément dramatiques pour le Docteur.
Cette fois, ce ne sera plus jamais pareil. ET TANT MIEUX.

Ce qui nous amène au Christmas Special.
Et donc aux spoilers à tout va.

J’étais là, j’étais prête. Je me suis mise devant mon écran en y croyant dur comme fer. Que pensez-vous qu’il soit arrivé ?
Déception. Encore et toujours, la déception.
La déception de voir toujours les mêmes artifices employés, de retrouver des trous dans le scénario (dont on prétendra qu’ils sont faits exprès, bien-sûr), d’assister à des séquences d’hystérie totale, même ; je ne sais pas quelles drogues consomme Moffat, mais il faut plannifier une intervention, là.

Evidemment, c’est un Christmas Special : il ne faut pas en attendre autre chose qu’un conte fantastique adapté à l’esprit des fêtes de fin d’année, une aventure juste un peu plus familiale que les autres. On peut s’y autoriser tout un tas de choses folles parce que, bon, c’est le Christmas Special, mais justement ce n’est que le Christmas Special ; c’est toujours comme cela que Moffat envisage son épisode annuel, pourquoi devrions-nous le considérer autrement ? Alors plein de choses sont superficielles dans cet épisode, comme dans ceux qui l’ont précédé, et des personnages secondaires sont de retour pour participer à la plaisanterie, parce que c’est un peu maintenant ou jamais, et que dans le fond, un Christmas Special n’a pas besoin d’être canon de bout en bout, alors tant pis s’il y a des raccourcis (qui a ressucité Strax ?) ou des personnages qui se limitent à leur titre et quelques bons mots (la Silurienne lesbienne et son épouse). A Noël, c’est permis. Comme le vin chaud à la cannelle, en somme.

Mais ce n’est pas ça qui est décevant, c’est plutôt de voir les pirouettes qu’effectue déjà Moffat pour nous inciter à continuer la fuite en avant.
Encore une fois, il veut nous donner de l’espoir, et il nous laisse imaginer mille choses en truffant son épisode de petits détails supposés nous stimuler. On les repère et on s’en régale, on se dit que ça augure de plein de choses pour la suite. Ne devrions-nous pas être échaudés à présent ? Evidemment, on se dit qu’il ne serait pas juste de faire un procès d’intention à Moffat : peut-être que cette fois, il a vraiment une vue sur le long terme, un projet pour son nouveau personnage, une histoire à raconter.
Et pourtant tout nous dit le contraire.

Par exemple, Clara va passer une large partie de l’épisode à minauder ; Jenna Louise-Coleman n’est pas en faute, assurément, et elle a ravi mon coeur avec son énergie et son répondant, mais le problème est que l’épisode ne repose absolument que sur cela. Qui plus est, face à un Docteur désabusé et meurtri, le personnage de Clara « Oswin » Oswald, puisque tel est apparemment son nom, revêt un visage plus pervers. La vitalité de Clara mais aussi la storyline entamée par son existence vont pousser le Docteur à se reprendre, et par la même occasion, quitter l’époque où il se stationnait sans plus rien attendre ni vouloir faire, et l’encourager à reprendre ses voyages dans l’espace et surtout le temps, à la recherche de la clé du mystère que cache cette étrange jeune femme. Vous l’aurez compris, on est en plein dans les articulations classiques autour de la manic pixie dream girl, le Docteur ayant besoin d’être sauvé de l’apathie, et seule une jeune femme péchue et prompte à flirter le tirant de sa misanthropie et son immobilisme.
De par la légèreté induite par l’exercice du Christmas Special, on va de surcroit assister à un épisode qui ne va pas entrer dans le détail des émotions du Docteur (les plus nostalgiques de l’ère Amy/Rory devraient même en être un peu froissés, tant notre Time Lord s’arrête peu sur le sujet), et qui va même balayer, comble de l’horreur, tout ce qui était dramatique chez Oswin, et qui avait rendu immédiatement sympathique ce personnage, a disparu en Clara.
Mais les émotions, dans un épisode dont la conclusion repose sur une seule larme versée, de toute façon, on sait où se les mettre, hein…

Globalement, ce Christmas Special m’a donc mise très en colère, parce qu’en dehors de quelques gimmicks créés de toute pièce sans raison apparente, si ce n’est prouver que Moffat sait créer des gimmicks sur commande (comme réussir à placer le mot « pond » dans l’épisode et notamment dans un dialogue-clé, sans jamais lui donner de sens), il n’y a rien. Mais même le talent de Moffat pour les gadgets narratifs a de sérieux coups de fatigue, comme dans cette conversation « à un mot » qui ne revêt aucun intérêt en substance, ou dans cette curieuse idée de reprendre obstinément et plusieurs fois la phrase « winter is coming » sans aucune véritable référence réelle à Game of Thrones, ni sens nouveau, un peu comme si, en gros, Moffat balançait des catchphrases comme d’autres souffrent de Tourette.
On peut voir que le Docteur est peut-être blessé par la perte de ses deux amis, mais on peut aussi voir qu’il n’a tiré aucune leçon de tout cela. Il est toujours aussi égoïste et arrogant, il l’est même plus que jamais alors qu’il se permet d’être odieux avec Strax sans aucune raison… si ce n’est celle qui devient de plus en plus évidente : son complexe de supériorité. Et depuis Demon’s Run, on nous promet que ce sera adressé, et ça ne l’est toujours pas. L’opportunité n’était-elle pas idéale de le faire, alors que les « monstres » de cet épisode de Noël relèvent du prétexte ?
UNE SEULE ! Je n’ai eu le droit qu’à une seule scène sincèrement drôle et émouvante, quand Clara découvre le (nouveau) TARDIS, lance quelques répliques bien trouvées et intéressantes, et surtout, parvient à toucher le Docteur. On a failli tenir quelque chose… qui s’échappe aussitôt. Une seule éclaircie de deux minutes et trente-sept secondes (j’ai compté). Si au moins elle n’existait pas, j’arriverais à arrêter Doctor Who, mais elle est là, et c’est vraiment le plus frustrant de tout !

Car c’est justement pour ces quelques miligrammes de coke téléphagique que je continue de revenir, et j’entrevois toute la perversion de ma relation à Doctor Who depuis quelques saisons. Quelques rachitiques scènes soudain touchées par la grâce ponctuent des épisodes généralement d’une grande facilité, pour ne pas dire d’une épouvantable flemmardise. Mais dans ces scènes d’exception, je vois des promesses, quand clairement, l’expérience a prouvé que je me contente d’halluciner des éléphants bleus.
Il n’empêche. D’ici le prochain épisode, comme d’habitude, je vais me perdre en conjectures et en hypothèses, qui non seulement ne se révèleront jamais vraies, mais ne seront même pas supplantées par les trouvailles que Moffat nous tirera au dernier moment de son chapeau. Et je suis très, très en colère d’avoir ce genre de relation avec une série. Mais je suis aussi très, très sous le charme de Clara Oswin Oswald. C’est tant pis pour moi. Rendez-vous au printemps pour continuer ma relation d’amour/haine avec le dealer le plus ingénieux de la télévision britannique, donc.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

4 commentaires

  1. Ludo dit :

    Sooooooooooo true ! L’art et la manière de décrire ce questionnement qui nous fait rester sur cette série, alors que le début de la S7 distille, comme tu le dis, tant de petits détails qui pourraient être bien mieux utilisés (je ne parlerai pas de la 6 qui m’avait moins déçu que toi, apparemment).

    Et j’ai peur qu’ils en aient trop fait avec Oswin… Cette façon de se jeter sur le Docteur, c’est presque… indécent !

    Alors, oui, comme toi, on verra, ce que ça donnera, on va conjecturer pendant quelques mois, et on se jettera sur la suite comme des daleux (et non comme des Daleks, rien à voir…)

  2. Toeman dit :

    Amen.

    J’aimerais développer, mais vraiment, non, tout est là, tout est dit.

  3. JainaXF dit :

    Si j’ai été plus gentille que toi dans ma critique de l’épisode de Noël, ton article m’a fait me rendre compte que ça fait un moment que je pratique la méthode Coué et l’auto-persuasion pour continuer à apprécier QUELQUE CHOSE dans la série…et que je m’étais encore laissé avoir par le potentiel du mystère Clara !
    Moffat n’est pas doué pour les émotions et s’il promet toujours des choses formidables en mythologie, la résolution est presque toujours décevante ! Finalement Moffat, est l’héritier des scénaristes de Lost ou de Chris Carter ! Mais je crois que s’il

    n’y a pas quelque chose de grandiose en 2013, j’arrêterai la série tant qu’il en sera le showrunner…

  4. akito dit :

    Je pense, merci à la magie du Tardis, que je suis arrivé à des années lumières de l’objectivité pour Doctor Who.
    J’ai découvert la série sur le tard (6e saison) et je me suis enfilé, pardon, binge-watched tous les épisodes depuis la première saison – de la série 2005 – en faisant tout de même des pauses pour aller bosser et dormir 😀 …Donc Doctor Who est devenu de ces séries dont les personnages sont devenus familiers, un peu comme des amis qu’on retrouve à chaque épisode. D’où un déchirement à chaque changement de Doctor/Companion, et d’où une capacité critique proche du zéro absolu (-273,15°C).
    Amy Pond, se lasser de son docteur en guenilles ? J’espérais bien que non !
    A propos de gadgets narratifs, le poster « For the Girl Who’s Tired of Waiting » dans Closing Time, flanqué du thème d’Amy qui vient nous tirer une petite larme de nostalgie est pour moi le clin d’œil le plus poignant, sans conteste… Et pour rester à cet épisode, rien de comparable bien sûr, mais la compagnie de Craig a été (?) pour le moins inattendue et originale 🙂

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