Serious business

9 décembre 2012 à 23:11

En matière d’espionnage, j’ai réalisé un peu plus tôt cette semaine que je ne connaissais pas mes classiques. En revanche, une série les connait : Karei Naru Spy, une comédie d’espionnage qui va s’amuser à en référencer un maximum. Cela ne m’a pas empêchée de regarder également le pilote de Get Smart ce weekend (ce qui d’ailleurs fut fort utile pour repérer certaines références), mais ce soir, je vous propose surtout de parler de cette comédie d’espionnage nippone.

Il faut dire qu’il y a de quoi faire : le plantureux pilote de Karei Naru Spy dure la bagatelle de 1h32 ! C’est assez rare au Japon, et très franchement, ça n’en méritait pas tant vu la teneur dudit pilote. J’ai cru plusieurs fois que j’allais lâcher l’affaire, en toute franchise, car le format habituel de 55mn suffirait amplement pour raconter cette histoire, même à titre introductif (j’irais même jusqu’à préconiser 25mn pour les épisodes suivants si c’est pour faire ça…). Par-dessus le marché, l’épisode que j’avais trouvé avec hardsubs était très mal sous-titrés (décalage sur la fin empiré par des phrases simplement non-traduites) ; bon, peut-être que j’aurais pu vérifier qu’une version plus récente ne traînait pas sur un coin d’internet (j’avais cagoulé cet épisode depuis que j’avais fait sa fiche sur SeriesLive !), mais à ce stade ma patience s’était largement émoussée.

De quoi parle Karei Naru Spy, donc ? Eh bien d’un escroc de haut vol qui est supposé purger une peine de 30 ans, mais qui est temporairement libéré par le Premier ministre lui-même, qui pense avoir besoin de lui au sein de la SIA, l’organisation de contre-espionnage qu’il a mise en place afin de lutter contre le terrorisme. Cet escroc, qui répond au nom de Kyousuku Yoroi, alias le Caméléon (rien à voir avec Jarod, vous allez le voir), accepte le deal en pensant pouvoir en profiter pour s’échapper, mais évidemment, cela ne va pas être si simple.
Yoroi intègre donc l’unité secrète de la SIA, dirigée par un certain Kiriyama (un type assez mystérieux, et qui se tape son assistante Josephine à laquelle d’ailleurs il fait valider ses décisions), aux côtés d’une certaine Dorothy, une espionne expérimentée qui ne voit pas d’un oeil ravi l’arrivée de cet escroc qui ne connaît pas le métier et, pire encore, qui n’a aucune éthique. L’équipe comporte également Kenichi Kurusu, un collègue un peu balourd mais pas méchant, et Dr Elise, une savante qui invente toutes sortes de gadgets à utilité variable (et qui les facture aux espions, accessoirement). L’ennemi principal de la SIA s’appelle Mr. Takumi, c’est une sorte de génie du mal richissime et mégalo (et présentant une frappante ressemblance avec un dictateur tristement célèbre) qui embauche des criminels divers et variés afin d’affaiblir le Gouvernement nippon par tous les moyens possibles.
La première affaire de Yoroi va l’emmener à Tokyo, alors qu’un dangereux terroriste répondant au nom de Bomber K, embauché par Mr. Takumi, semble bien décidé à faire sauter le Parlement à l’aide d’un bus scolaire piégé, à bord duquel se trouve rien moins que la petite-fille du Premier ministre. A charge pour Yoroi et Dorothy de monter à bord et de tenter d’empêcher la bombe d’exploser.

Vous voyez ce que j’ai fait ? J’ai résumé le pilote de Karei Naru Spy en trois paragraphes. J’aurais aimé que le scénariste, Ryouichi Kimizuka pour ne pas le citer, puisse en faire autant.

Expliquer tout cela (et certes, quelques détails de plus) en 1h32 relève de la folie douce. On se retrouve avec des séquences épouvantablement longues, et donc dépourvues de toute efficacité, alors que ce n’est pas comme si l’histoire était complexe… Enfin je sais pas, moi, on compare à ALIAS où l’héroïne joue les agents doubles voire triples, là d’accord, on peut admettre que l’exposition dure une heure et demie, mais dans le cas présent, quelle en est la justification ?
Certes, il y a quelques petits détails que j’ai laissés de côté, notamment sur une journaliste travaillant dans un tabloid quelconque (ils ont quoi les scénaristes nippons avec les tabloids à la con ?) qui va progressivement vouloir enquêter sur l’existence de la SIA et qui, comble du hasard, est également la fille du couple qui loue une chambre à Yoroi, mais même Kimizuka s’en fiche royalement et l’introduit maladroitement au bout d’une bonne demi-heure d’épisode. Mais même en rajoutant cette phrase, on n’atteint pas une heure et demie de programme.
Alors qu’est-ce qui reste ? Il reste pas mal de scènes de rien. Des séquences pendant lesquelles Yoroi et Dorothy vont s’affoler à la recherche de la petite-fille du Premier ministre, par exemple, ou bien une très, très longue séquence à bord du bus, dont on finit par espérer qu’il va sauter parce que sinon ça risque d’être moi qui pète un câble !!!

C’est très dommage parce qu’à côté de ça, Karei Naru Spy a de bonnes idées, principalement dans le registre comique.
Les références à de nombreuses séries et de nombreux films prouvent par exemple que Kimizuka connaît bien ses classiques (bien mieux que moi, je le disais), et se fait un plaisir d’en mentionner plein. La séquence dans le bus, par exemple, est très largement inspirée par Speed, évidemment (avec quelques petits twists ridicules supplémentaires, genre « si les élèves à bord du bus atteignent le même nombre de décibels que des colibris pendant la saison des amours, le bus explose », en plus de la limite de vitesse). On retrouve aussi, comme je vous le disais, plusieurs références très directes à Get Smart ; mentionnons par exemple la fameuse chaussure-téléphone (tellement fameuse que même avant d’avoir vu le pilote, je l’aurais repérée celle-là), ou encore les multiples étapes avant d’arriver dans le QG de la SIA, détournées de façon absolument hilarantes.
Le look de la série, également, joue à plusieurs reprises sur des références plus implicites et généralistes, comme par exemple le côté très sixties des bureaux et du personnel de la SIA, ou l’amour de Dorothy pour les tenues colorées un peu ridicules et rétro. Les années 60 ayant été l’apogée des films et séries d’espionnage, notamment aux USA, ces références colorées jouent comme autant de rappels assez efficaces des grands classiques du genre.
Plus original, parmi les autres références, on trouve aussi tout un tas de titres de films et de séries littéralement logés dans le décor du quartier général de la SIA, comme le montre la capture ci-dessous. Sur un pallier de porte ou un coin du bureau, se logent donc toutes sortes de références explicites au monde des espions de fiction, et je trouve ça plutôt sympa d’évoquer discrètement (aucun personnage n’y jette ne serait-ce qu’un oeil, et les mentionne moins encore), et pourtant sans détour, ces sortes de parrains célèbres de la série.

L’humour de Karei Naru Spy s’exprime donc à travers ces références, mais aussi avec plein de petits détails sympathiques utilisant les clichés des fictions d’espionnage pour mieux les détourner. Quand Yoroi est libéré de prison pour intégrer la SIA, Kiriyama le dépose devant son logement de fonction, et on assiste à un dialogue assez habituel : « Je suppose que c’est une suite dans un hôtel. Assurez-vous qu’ils préparent le champagne », lance Yoroi, blasé. « Ca vous plaira », aquiesce Kiriyama, imperturbable, ajoutant : « c’est une suite avec vue sur l’océan » avant que la voiture ne s’arrête. Yoroi descend… et découvre que l’endroit est un restaurant décrépi d’un quartier un peu pourri avec quelques chambres d’hôte disponibles, avec vue sur… le canal du fleuve du coin. Evidemment, la voiture de Kiriyama est déjà loin (et sur le siège arrière, il fait probablement cette tête-là).

Pour servir au mieux son ton absurde et décalé, Karei Naru Spy a fait appel à Tomoya Nagase, un acteur un peu en sous-régime si on compare à Unobore Deka (où, il faut le dire, il avait un bien meilleur script sur lequel s’appuyer), mais passé maître dans l’art d’incarner des personnages capables de vivre dans un monde totalement absurde et de s’en tirer avec une dignité quasiment intacte.
Yoroi, le héros de Karei Naru Spy, a en effet une sorte de super pouvoir : s’il est si bon escroc, c’est parce qu’il a un pendentif qui l’inspire pour prendre l’identité qu’il souhaite et manipuler les gens autour de lui. Ce pouvoir se manifeste chaque fois qu’il attrape son pendentif, aussi sûrement que s’il s’agissait d’un prisme lunaire.
On apprendra pendant le pilote que ce pendentif est la dernière chose que lui a donnée sa mère avant qu’elle ne l’abandonne, et que c’est la dernière fois que quelqu’un l’a émotionnellement atteint (un background pas franchement original, mais qui fonctionne dans le délire ambiant). Cela va d’ailleurs obliger Dorothy à s’interroger sur la capacité de Yoroi à ressentir quoi que ce soit, ce qui veut dire, on le devine sans peine pendant ce pilote, qu’une idylle va probablement se nouer entre eux ; cela implique, et c’est plus dramatique, que chaque épisode va contractuellement obliger Yoroi à avancer sur le terrain de ses émotions, et à prouver qu’il a quand même un coeur, dans le fond. Mais bon, c’est pas comme si Karei Naru Spy aspirait à avoir beaucoup de crédibilité de toute façon.

Au vu de ces éléments, évidemment, Karei Naru Spy n’est pas la série du siècle, mais on pourrait imaginer qu’elle est regardable. Comme je le disais, elle le serait si le premier épisode n’était pas si épouvantablement long.

Beaucoup d’incohérences rallongent passablement l’action sans aucune raison, et là où la série pourrait décider de les souligner a posteriori sur le ton de l’humour, elle ne le fait pas, ce qui laisse penser qu’on se fait trimbaler plutôt qu’autre chose. Par exemple, pourquoi se donner autant de mal pour localiser la petite fille du Premier ministre, alors que le Premier ministre est l’employeur direct de la SIA ? Il a probablement la possibilité de mettre en place une surveillance rapprochée pour la jeune fille sans que Yoroi et Dorothy n’aient à l’identifier à l’aide d’une simple photo parmi un car rempli de lycéens ! Peut-être aussi que si la SIA décide d’assurer la sécurité de cette adolescente à l’occasion d’un voyage de scolaire de plusieurs jours, elle pourrait faire l’effort de scanner le bus à la recherche d’une bombe avant que la classe ne soit montée à bord, pas pendant ? D’autant que dés le départ, la SIA sait pertinemment que leur ennemi s’appelle Bomber K…
Ces gros trous dans le scénario agacent et jouent inutilement les prolongations, car on en tire des rebondissements sans intérêt. Il aurait vraiment fallu faire preuve de second degré et admettre que la SIA peut aussi se planter (après tout, il est admis dés le début de l’épisode que la SIA n’est pas parfaitement au point, c’est même la raison de l’embauche de Yoroi !). C’est ce qui rend Karei Naru Spy si indigeste sur la fin, et lui fait énormément de tort.

Car au final, si c’est par ses pointes d’humour et surtout ses références à d’autres séries qu’une fiction vaut la peine d’être vue… autant regarder les autres séries, non ?
Si. Alors dans le prochain post, on parlera de Get Smart

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