De Henry VIII à Süleyman Ier, les amours des princes fascinent, et font de formidables sujets de séries ; quel que soit le pays, ce qui se passe dans la couche d’un roi ou d’un empereur a forcément des conséquences politiques, sur son royaume et sur la façon dont il est tenu. C’est précisément la raison pour laquelle une série telle que Ooku a tenu 5 saisons sur Fuji TV (ces 5 saisons s’étendant sur 37 années !), montrant à différentes époques comment les femmes peuplant le ooku, c’est-à-dire le gynécée du shogun, jouissaient d’un immense pouvoir politique, bien qu’officieux.
Mais cette fois, TBS a décidé de faire quelque chose de différent, avec une uchronie appelée Ooku ~Tanjou, résolue à renverser les rôles. Suivez-moi, si vous le voulez bien, dans les couloirs du palais, afin de découvrir ce que cette série historique pas comme les autres tente de réaliser…
Nous sommes au XVe siècle, plus précisément en 1634, et c’est la cour du shogun Iemitsu Tokugawa qui occupe le palais d’Edo, la capitale. Le pays est en proie à une terrible épidémie de variole, qui décime en particulier les hommes jeunes, si bien que très vite le shogunat commence à manquer de bras.
Alors que l’épidémie frappe depuis deux ans déjà, Arikoto Madenokouji, troisième fils d’une famille noble, se sent appelé par la prêtrise, et décide de consacrer sa vie à Bouddha, et donc à soigner les malades et administrer les derniers sacrements. C’est un coup dur pour cette maison qui a déjà perdu ses deux premiers fils, d’autant qu’Arikoto est un homme d’une grande éducation et un excellent guerrier, mais enfin, la vocation c’est la vocation, on ne peut rien faire contre. Avec la bénédiction de son père, Arikoto prend donc l’habit, bien décidé à consacrer sa vie à la privation et la prière. Arikoto est en effet voué à accomplir de grandes choses puisque trois années plus tard, il devient le chef du Temple Keikoin. C’est en allant présenter ses respects au shogun que l’existence d’Arikoto va entrer en collision avec le cours de l’Histoire.
La première partie de l’épisode, qui résume ces évènements, est en toute honnêteté un peu longuette. Elle le paraîtrait d’ailleurs sans doute tout autant pour un spectateur plus lettré que moi en histoire nippone, car il apparait très tôt que ce pan du pilote n’a pas pour objectif de resituer la série dans son contexte historique du tout, mais plus d’établir une chronologie globale de la maladie qui frappe le Japon ; il s’agit aussi d’établir le personnage d’Arikoto, qui s’annonce comme le focus central de la série, et avec lequel nous faisons connaissance : son immense patience, sa sagesse, et son lien avec deux autres moines qui l’accompagnent. C’est à travers ce prisme que nous allons dorénavant observer les éléments. Et observer, il n’y a en vérité que cela à faire tant cette phase d’exposition ne recèle aucun intérêt ni sur le plan intellectuel, ni sur le plan émotionnel, le visage particulier de Masato Sakai (souvenez-vous) n’aidant pas vraiment.
Au bout d’un peu plus d’un quart d’heure de ce régime, les choses s’agitent enfin. Arikoto et ses deux moines, qui pensaient faire une petite visite de courtoisie vite fait au shogun et puis après on n’en parle plus, se retrouvent privés de sortie, incapables de circuler comme bon leur semble dans les rues d’Edo. Pire encore, une énigmatique femme de la cour, Kasuga no Tsubone, semble faire preuve d’un empressement suspect à l’égard d’Arikoto. Pourquoi Kasuga no Tsubone est-elle si déterminée à les maintenir entre les murs du palais ? Protéger le chef d’un temple des ravages de l’épidémie est-il son seul soucis ? Certainement pas. Et Arikoto va progressivement comprendre que le but de Kasuga no Tsubone est de l’enjoindre à quitter l’habit, notamment cette fâcheuse histoire de chasteté, et redevenir un civil… Dans un monde qui manque dramatiquement de jeunes hommes vaillants, je vous laisse relier les points entre eux.
Le bras de fer qui s’engage entre Arikoto et Kasuga no Tsubone est le passage le plus fascinant de cet épisode. Après que le pilote se soit montré si bavard (car il l’est, croyez-moi, il l’est !), cette passe d’armes à mots couverts est intéressante. Derrière les apparences polies, se trame en fait quelque chose très violent : Kasuga no Tsubone est quand même en train de faire tout ce qui est en son pouvoir pour qu’Arikoto soit dépucelé au plus vite, et content ou pas content, c’est le même tarif. Pas une fois le terme de viol ne sera évoqué, même pas vraiment sous-entendu, mais c’est quand même bien de cela qu’il s’agit. La vieille femme va jusqu’à employer des prostituées afin de divertir Arikoto et ses deux acolytes, et malgré cela, elle peine encore à toucher au but. La violence de l’enjeu est d’ailleurs parfaitement rendue lors du dénouement de ce duel.
La confrontation entre le jeune moine et la vieille courtisane étant un temps fort de cet épisode, je ne vous dis donc pas qui a fini par avoir le, hm, dessus dans cette affaire ; c’est réellement le point culminant de ce pilote, même s’il faut un peu le mériter, au regard des longues scènes qui le précèdent.
Toute cette agitation peut sembler bien vaine, au bout du compte, au spectateur qui aurait raté le début d’Ooku ~Tanjou ; c’est là que l’exposition s’avère précieuse. En gardant bien à l’esprit que le pays est à court de jeunes hommes, et à cette condition seulement, les 43 premières minutes de l’épisode ont du sens. Sinon, il faut attendre péniblement qu’Arikoto soit introduit dans les salons du shogun, et qu’il découvre l’explication de toute cette mascarade.
Et donc là attention, il va y avoir du spoiler à partir de là et jusqu’à la fin du post.
Devant les yeux ébahis d’Arikoto, qui n’est pas aussi malin qu’on voudrait nous le faire croire parce qu’on avait quand même un peu flairé le truc, le shogun qui apparait, au lieu d’être un homme de 37 ans, est une jeune adolescente mal dégrossie, particulièrement tyrannique, et… eh bien, pas exactement officiellement sur le trône.
Enfin, Ooku ~Tanjou nous expose son sujet dans cet acte final : le shogun a succombé à l’épidémie il y a plusieurs années, mais seule une poignée de personnes au sein du palais est au courant ; un homme a pris sa place, prétendant, aidé par une cagoule empêchant son identification, que la maladie l’a affaibli, mais qu’il règne toujours. Pendant ce temps, la seule progéniture du shogun, une fille illégitime qu’il a eue avec une femme qu’il a violée un soir (décidément charmantes, les moeurs de la Cour), est une adolescente qui ne peut prétendre accéder au trône, vu que c’est une femme, mais qui doit urgemment enfanter d’un descendant masculin qui puisse accéder au pouvoir. Dans l’intervalle, Kasuga no Tsubone officie comme régente, peuplant le ooku uniquement d’hommes susceptibles de féconder la royale adolescente. Et devinez quel rôle la vieille carne a l’intention de faire tenir au bel Arikoto ?
Au bout d’une heure, on le tient enfin, le sujet d’Ooku ~Tanjou ! On aura un peu souffert, mais on y est !
Car c’est bien d’une inversion des rôles qu’il s’agit, dans laquelle les hommes du ooku sont désormais à la merci d’une souveraine pas spécialement inquiétée de leur sort. Le portrait qui est fait de la jeune héritière est en effet loin de la jeune noble grâcieuse et effacée ; élevée comme un homme, elle n’a que mépris pour ceux qui peuplent son harem, et fait usage de violence sitôt que ses moindres caprices ne sont pas exaucés. C’est un pur produit du shogunat qu’Arikoto s’apprête à côtoyer, et il y a assez peu de chances pour qu’une idylle se noue entre eux ; à la place, Arikoto est réduit au rang de simple « graine », et doit s’apprêter à vivre de cette façon pendant bien des années, car dans l’éventualité où la jeune fille tombe enceinte, encore faut-il que ce soit d’un garçon, et même là, il faut attendre qu’il ait l’âge d’accéder au pouvoir.
Dans un monde dominé par des femmes, et en première ligne la terrifiante Kasuga no Tsubone, qu’adviendra-t-il du Japon ?
Eh bien curieusement, Ooku ~Tanjou n’a pas l’intention de réécrire l’Histoire. Et dans les dernières séquences de l’épisode, on assistera, pour la première fois depuis que le pilote a commencé, à une véritable remise dans le contexte historique. Les grandes décisions pour lesquelles l’empereur Iemitsu Tokugawa est entré dans l’Histoire sont en effet conservées… sauf que dans la version d’Ooku ~Tanjou, ces décisions n’ont pas été prises par lui, mais par Kasuga no Tsubone, afin de couvrir au maximum la mascarade qu’elle a mis en place au sein du palais du shogun. La vie au-delà des murs du palais est donc sensiblement la même que dans l’Histoire japonaise telle que nous la connaissons, ce n’est que le microcosme de la Cour, et en particulier du ooku, qui se trouve bouleversée.
Ooku ~Tanjou n’a aucune intention d’imaginer ce qui se passerait pour le pays si le shogun était une femme ; c’est au départ ce que je pensais et je trouvais l’idée intéressante. Non, la série a pour but de renverser les rôles traditionnellement dévolus aux hommes et aux femmes au sein du palais royal, et de voir comment l’inversion des rapports de force et de violence fonctionne. L’idée est à vrai dire intéressante aussi, mais encore faut-il qu’elle soit correctement exploitée, car elle est moins évidente à appréhender.
Dans le fond, que cherche à dire Ooku ~Tanjou sur les passions de la cour du shogun ? Il faudra l’exprimer plus clairement que dans ce pilote un rien longuet, et dont les forces en présence auront du mal à répéter leurs joutes à chaque épisode. J’espère que la scénariste (Yumiko Kamiyama, déjà auteur de Utsukushii Rinjin) a une vue à long terme de tout cela, mais côté spectateur, c’est pour le moment très flou.
Les intrigues de cour seront-elles différentes si ce sont des hommes qui tirent les fils en coulisse ?
En tous cas pour le moment, c’est une femme qui continue de prendre officieusement les décisions, preuve que les changements n’ont pas vraiment eu lieu dans la dynamique du ooku… et du coup je me demande un peu quelle est l’utilité de cette inversion de rôles.
Après tout, Kasuga no Tsubone l’a bien sélectionné, son mâle reproducteur : il est bel homme (enfin, c’est ce qu’on nous dit, mais euh, bon je présume que les goûts et les couleurs…), il est intelligent, mais surtout il est quand même assez docile. Ce n’est pas pour rien qu’elle n’a pas été chercher un samurai, mais un moine bouddhiste inoffensif (bien qu’on nous dise qu’il sait manier l’arme, bon, admettons), qu’elle pourra relativement contrôler. C’est évidemment dans son intérêt de prendre ce genre de cobaye, mais côté spectateur, ça manque un peu de piquant ; à choisir j’aurais aimé voir comment un homme habitué à traiter les femmes dans l’esprit de son époque peut gérer le renversement des rôles (même si celui-ci se limite aux murs du palais).
Il n’empêche que pour quelqu’un qui a du mal avec les séries historiques, et je ne vous ai jamais caché que c’était mon cas, cet angle permet d’apporter un peu d’originalité dans un contexte autrement très codifié.
Une chose est sûre, en dépit de ses longueurs et de son exposition inteeerminable, Ooku ~Tanjou a le potentiel pour être une série originale, à défaut d’être forcément passionnante de bout en bout du point de vue de sa forme. Et au pire, sur un modèle similaire, on pourra toujours tenter en décembre ce qu’Onna Nobunaga accomplira avec un concept similaire, puisqu’une deuxième uchronie sur les questions de genre débarquera alors, sous la forme d’une mini-série.
…Il se passe un truc dont je suis pas au courant, en ce moment, au Japon ?