Avec quelques camarades journalistes, plus tôt cet automne, j’étais présente à la rencontre organisée avec l’équipe de la série Ainsi Soient-Ils. Autour d’une table, les créateurs Bruno Nahon, David Elkaïm, Vincent Poymiro et Rodolphe Tissot, ainsi que les acteurs Samuel Jouy, Julien Bouanich et Clément Manuel, prêts à parler avec passion, et longuement, de la nouvelle série française dont j’ai déjà pu vous entretenir.
On aura l’occasion de discuter encore de la série tous ensemble ; vous le savez, j’essaye de passer plus de temps sur les séries françaises, et la perspective de n’avoir aucun flic dans Ainsi Soient-Ils, mais au contraire d’avoir affaire à un vrai drama, ne pouvait que m’aider à m’y atteler. Outre le pilote, sur lequel j’ai déjà écrit voilà quelques semaines, je vous proposerai à l’issue de la diffusion une review de la première saison (puisqu’une deuxième est d’ores et déjà commandée, et même en cours de production), alors, aujourd’hui, je vous propose de nous attarder ensemble sur quelques propos de l’équipe de la série. Bon, alors, euh, je ne vous ai pas retranscrit les 2h de la rencontre, mais promis, vous allez en avoir pour votre argent !
Voici donc 10 thématiques que j’ai sélectionnées à propos des coulisses d’Ainsi Soient-Ils, à savoir absolument sur la série qui débute en ce jeudi soir sur arte.
Bruno Nahon :
« C’est un projet d’une sincérité maximale, pour autant qu’on puisse être sincère quand on fait ce métier. Il n’y a aucun calcul de notre part, ni dans l’envie de séduire, ni dans l’envie de faire quelque chose en rapport avec la fiction française, etc., on a juste voulu faire quelque chose qu’on avait envie de faire, on avait ce désir, et on n’a pas dérivé, [on a tenu] jusqu’au bout. […]
On a fait quelque chose que nous on sentait, parce que [le sujet] recouvrait des notions intimes et politiques très fortes, et au moment où on l’a imaginé, à contre-courant. Parce que, au moment où on l’a imaginé, c’était (pour moi) en 2007, à l’été 2007, alors ça fait partie d’un plus long cheminement mais c’est là où j’ai reçu un coup de fil de la chaîne, qui m’a dit ‘on a envie de développer une série que tu nous a proposée sur l’Eglise, sur de jeunes prêtes, sur de jeunes séminaristes. En 2007. J’insiste parce qu’en 2007 il n’y a pas Des hommes et des Dieux. Il n’y a pas Habemus Papam. Et on a été très heureux que ces films, ces magnifiques oeuvres, différentes de la nôtre, arrivent quelques années après, parce qu’on s’est sentis moins seuls dans notre trajet. Parce qu’à un moment, une chaîne peut développer un projet, et puis son désir peut s’émousser ou la peur peut submerger.
Et la peur c’est quoi ? C’est : ‘qui va regarder une série sur des séminaristes ?’. Cette peur-là, c’était la principale avec laquelle on a du, non pas lutter, mais composer tout au long de l’écriture. Qui va venir voir des mecs qui veulent faire un boulot que personne ne voit aujourd’hui ? Il n’y en a plus du tout, ils sont pauvres, l’Eglise c’est gris, ya plus personne dans les églises, etc. On peut pas collectionner plus de points négatifs, on les a tous, là ! Et pour nous c’était ça, le challenge, pour nous c’était dire que c’est justement dans des endroits comme ça que, si on y regarde bien et intimement, et à la loupe, et pas du point de vue du discours. Les occasions de céder justement à ces peurs tout au long du développement et de l’écriture sont nombreuses. Et là, il faut la force de conviction de ne pas dériver de son projet, de son programme, de ce qu’on s’est dit, de ce qu’on voulait, de son désir, surtout, de son désir initial, qui était de raconter la trajectoire de personnages. C’était ça qui a nous a menés depuis le début. »
Bruno Nahon :
« Qui sont les meilleurs comédiens pour jouer les rôles qu’on a écrits ? Eh bah ce sont eux cinq, peu importe ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont pas fait. Eux cinq. […] Le casting, c’est de ne pas céder à ces sirènes là, qui disent ‘mais il faut des gens connus’. Non. Dans une série, on fait connaître des gens. Toutes les séries qu’on aime le font. Il y a des exceptions, mais les Six Feet Under, les The Wire, les Breaking Bad, les Mad Men, font naître des acteurs. Ca, c’est faire une série, c’est pas prendre des gens du cinéma forcément très connus et les mettre. »
Bruno Nahon :
« [Il y avait] des pressions sur : aborder tous les thèmes de l’Eglise. C’est-à-dire : on a la collection de tout ce qui a dans la presse, de tous les scandales, et de comment nous on va les traiter, les intégrer. D’abord, nous ce qu’on veut, c’est raconter leur histoire à eux, pas raconter l’Eglise, c’est leur fiction à eux.
Et on doit surprendre le spectateur. Si on écrit ce qu’il veut, ou ce qu’on pense qu’il désire, on ne le surprend pas et on se surprend pas nous-mêmes, or c’est toujours un travail de se prendre soi-même par surprise, l’écriture. Toujours. Si on commence à faire la collection de tous les grands sujets importants, sur lesquels nous, nous n’avons aucun doute sur notre positionnement, évidemment… mais il fallait trouver une façon de le twister, une façon connexe d’essayer, peut-être par l’humour, de le traiter. Tous les sujets sont traités. Sauf que des fois c’est traité en une ligne de dialogue. Et ça je trouve que le travail de Davidet Vincent au scénario a été brillant à ce niveau-là : c’est-à-dire intégrer les grands sujets, mais en faire justement des sujets. Encore une fois, on raconte leur histoire à eux. […] Il y a des documentaires formidables sur ces sujets, sur ces grandes choses qui agitent les débats, sur le mariage, l’avortement, la pédophilie… des grands films de fiction ont été faits là-dessus. Nous, on voulait juste raconter notre séminaire des Capucins, reliés à la Conférence des Evêques de France, elle-même reliée au Vatican. »
Vincent Poymiro :
« On a rencontré [des membres de l’Eglise], d’abord Bruno et moi, et puis ensuite avec David, et après il ya eu d’autres travaux de documentation sur la préparation du tournage. Sur l’immersion, on a eu des contacts, des témoins, et on a rencontré un certain nombre de personnalités qui sont dans l’Eglise, et qui nous ont parlé, aussi bien à la Conférence des Evêques de France que dans un couvent, des prêtres de terrain, on a fait un énorme travail de documentation. Mais sur l’immersion au séminaire…
Bruno Nahon :
« Il y a quelqu’un, en fait, il y a quelqu’un qui nous a conseillés, qui a fait le séminaire pendant 5 ans, 7 ans… »
David Elkaïm :
« 6 ans. »
Bruno Nahon :
« Voilà… qui a ensuite été… donc il fait 6 ans de séminaire, un séminaire proche. »
Vincent Poymiro :
« Alors, on a inventé un séminaire qui n’existe pas, qui se trouve à Paris, un séminaire universitaire, interdiocésain… »
Bruno Nahon :
« Voilà : il existe à Paris un séminaire, plutôt progressite, c’est pas le même, mais on s’en est inspirés. »
Vincent Poymiro :
« C’est un grand travail de documentation, nous après on fait nos choix, je vais citer Céline : ‘le bâton dans l’eau il est tordu, donc si je veux qu’il apparaisse droit, il faut que je le torde avant de le mettre dans l’eau’. La fiction, c’estç a aussi : on fait des choix, on a envie de représenter quelque chose, on part d’une réalité, la garantie de notre honnêteté c’est qu’on cherche à comprendre, après la fiction implique que, pour que ça ressemble à quelque chose, qu’on torde un peu le bâton. »
Bruno Nahon :
« Mais il fallait de la justesse dans ce qu’on raconte : à tous les niveaux, dans l’enseignement, dans les gestes, etc., donc on a eu à différents niveaux, différents conseillers. Notre conseiller principal, c’est quelqu’un qui a fait le séminaire pendant 6 ans, qui a ensuite été dans un diocèse en Province, et qui a tenu 6 mois. […]
David Elkaïm :
« …Sans ressentiment contre l’institution. C’est son parcours à lui. Donc il n’avait pas de comptes à régler, et c’était aussi important de trouver la bonne personne, qui n’était pas là pour justifier une sorte d’échec de vie par la critique d’une institution. »
Rodolphe Tissot :
« Pour la mise en images, puisque là c’était surtout sur le travail d’écriture, donc la personne dont on a parlé qu’avaient rencontré Vincent, David et Bruno, a continué [à participer] en préparation, pas sur des choses narratives, sur des choses concrètes pour moi, comment cette scène peut se passer, sur des vraisemblances dans la vie au séminaire… Comme on voulait absolument être le plus vraisemblables et réels possible, même si comme disait tout-à-l’heure Vincent, des fois on est obligés de tordre un peu la réalité, mais on avait quand même à coeur d’être le plus irréprochables possible là-dessus, mais si on faisait de la fiction. En préparation, c’était pas évident de visiter un séminaire, on avait plutôt des refus, mais on a quand même pu passer une journée au séminaire d’Issy-les-Moulineaux. Ca a été un moment assez important dans la préparation de voir leur salle de cours, leur foyer… »
Vincent Poymiro :
« Il vont tous beaucoup souffrir… C’est le principe de la fiction : les gens heureux n’ont pas d’histoire. C’est écrit dans Tolstoi. Pour raconter le monde, il faut bien un conflit. »
David Elkaïm :
« Par contre, il y a des moments d’humanité, et moi c’est ce qui me passionne aussi dans ce métier : c’est d’aller trouver des moments d’humanité, en fait. […]Ce que je trouve assez formidable, c’est que c’est un monde d’hommes, et on voit des hommes pris de doutes, de souffrances, d’angoisses, il y en a qui pleurent… Donc tout ça, ça m’intéresse aussi. En général, dans les séries policières, on montre des hommes qui ne pleurent pas, qui ne flanchent pas, qui n’ont pas de doutes. »
Samuel Jouy :
« On se met pas dans la peau d’un séminariste, on se met dans la peau d’un être humain, chaque personnage. Moi, je ne l’ai pas vu comme un séminariste, je l’ai vu comme un homme qui a eu une révélation après avoir eu un parcours chaotique, et qui d’un seul coup décide de s’engager. Mais c’est vrai que je ne l’ai jamais vu trop sous l’étiquette du séminariste. Pour moi, c’était José, avec son passé, son avenir, ses ambitions… A cet instant quand la série commence, son ambition c’est de rentrer dans un séminaire dont on lui ferme les portes, comme de se confronter à des personnes qui ne viennent pas du même milieu que lui, comment gérer sa violence, voilà, pour moi c’était ça, je ne me disais pas : c’est un séminariste.
J’ai été élevé dans un milieu très religieux, mais tout ce qui était de visiter des séminaires et tout, ça ne m’a pas traversé une seule seconde. J’y ai pensé quand on a fait les conférences de presse, parce qu’à chaque fois on nous disait : ‘est-ce que vous avez visité des séminaires ?’, et je me disais : ah oui, c’est vrai tiens, pourquoi pas. Mais moi, c’était vraiment par rapport à la foi… Il avait quelque chose, tout de suite, dés les premières scènes que j’ai eues, d’ardent, et je crois que c’est autour de ça que j’ai travaillé. Pas dans la vraisemblance dans les attitudes. Parce que, en plus, je suis allé beaucoup à l’église, alors ça, ça ne m’attirait pas. Ce qui m’attirait, c’était sa quête.
Ce que j’ai beaucoup aimé dans le travail de Vincent et David, c’est que, en général, nous les acteurs, quand on nous donne des rôles, les personnages sont toujours tendus vers un objectif qui est souvent, neuf fois sur dix, d’avoir : avoir de l’argent, avoir une place dans la société, avoir une femme… Et là, c’est la première fois que j’avais un rôle où le mec, ce qui l’intéressait, c’était être. Et ça, c’est une nuance infime, mais ça change tout dans l’approche. »
Vincent Poymiro :
« Pour faire exister dans la fiction toutes les positions, il faut se styliser. Pour avoir une fiction qui reflète ce que moi je pense, ce qui est le rôle de la fiction, c’est-à-dire justement des complexités humaines. Il n’y a pas que les personnages entre eux, on voit bien que le père Fromenger est contrasté, le père Bosco son bras droit est ultra contrasté et déchiré, monseigneur Gandz, au Vatican, celui qui a la canne, est un personnage contrasté aussi, le Pape lui-même est un personnage contrasté, parce qu’on s’intéresse à son inconscient, il faut regarder la deuxième partie de la saison… Même si c’est toujours pareil, c’est stylisé.
Alors voilà, effectivement, à un endroit on a mis un personnage, auquel effectivement, on ne s’est pas intéressés à l’intériorité, on aurait pu s’approcher un peu plus près et voir la complexité contrastée de monseigneur Roman, bon, il se trouve qu’en fonction narrative, à un endroit, on a un personnage dont on s’est amusés à le charger… »
Bruno Nahon :
« C’est politique. C’est plus un regard politique sur ce personnage, cette dimension-là. »
Vincent Poymiro :
« Ce que ça coûte parfois aussi, comment le pouvoir transforme les gens. Il se trouve que voilà, on a aussi accentué ça pour des raisons de lignes narratives générales. Je pense pas qu’on soit totalement, absolument dans la science-fiction absolue, sur l’exercice du pouvoir. »
Bruno Nahon :
« C’est comme la série Boss, que moi je vois en ce moment, ya le maire de Chicago, qui est une crapule vraiment quelqu’un de profondément sombre… j’ai l’impression que dés qu’on parle de l’Eglise, on a d’autres façons de poser un jugement sur les personnages, or quand on fait ça, ou quand on fait une série politique, on représente souvent des personnages politiques outrés, et on a du plaisir à ça. Mais quand on fait l’Eglise c’est un peu différent, et c’est dommage. »
Vincent Poymiro :
« C’est juste aussi une question romanesque. Nous on avait aussi à coeur de faire une série romanesque. Et c’est vrai que dans le romanesque, de temps en temps, certains personnages sont plus outrés que d’autres. On en avait besoin mais il ne s’agissait pas pour nous en tous cas de dire : à la tête de l’Eglise de France, il n’y a que des gens qui pensent à leur petit pouvoir… absolument pas. Pour nous trois, ça dit bien qu’on n’est pas dans la réalité. On est dans la vraisemblance, pas dans la réalité. On est dans une série romanesque. »
David Elkaïm :
« Quand on entre au séminaire pour 6 années, on doit faire le deuil de quelque chose qu’on met derrière. D’où cette relation aux familles, il faut couper le cordon, pour Raphaël c’est évident, pour Yann aussi, d’une certaine manière, donc tous ces personnages-là ont un cordon à couper, qui malgré eux, ou parce qu’il n’est pas totalement coupé, ressurgit au cours de la saison, mais ce n’est pas une histoire de peur, je pense qu’il y avait une volonté, chez Vincent et chez moi, de traiter ça. Comment est-ce qu’on coupe ce qu’on va quitter, en fait ? Donc les familles, les amis, les amours… »
Rodolphe Tissot :
« C’est un personnage assez complexe, dont on peut-être, on peut le dire, on n’a peut-être pas réussi à 100% ce qu’on voulait en théorie faire avec elle. Parce qu’il y a beaucoup de personnages, c’est un personnage secondaire, à un moment elle a un peu souffert d’être un personnage secondaire. Alors c’est vrai qu’il y a d’une part la vraisemblance d’une femme au séminaire, donc ça, tous nos conseillers nous ont dit que c’est possible. C’est rare, mais c’est possible. Généralement elles sont plusieurs. C’est une femme qui a 35-40 ans, qui est plutôt jolie, mais on n’est pas non plus dans l’outrance de ‘on va prendre une bombe sexuelle pour faire soeur Antonietta’. Sur la vraisemblance, on est un peu limite parce qu’elle aurait pas du être toute seule, il y aurait dû y avoir deux-trois soeurs, et après ça m’embêtait d’avoir deux soeurs figurantes qu’on allait voir passer dans le fond sans savoir ce qu’elles font, donc on a un peu stylisé en disant qu’elle est toute seule. » […]
Bruno Nahon :
« Même si on a pas optimisé le personnage, si on n’a pas eu le temps et l’oxygène nécessaire pour la faire exister, c’est vrai, on n’a pas réussi totalement là-dessus, mais elle est un accès intime à Fromenger. »
Bruno Nahon :
« D’abord, ce sont des gens qui ont jamais fait de générique. Mais comme nous, on n’a jamais fait de série, on n’a jamais fait 8×52 ! Moi j’avais jamais produit 8×52, toi t’avais jamais écrit 8×52, toi… t’avais déjà réalisé un téléfilm puis une carrière en tant que premier assistant sur des séries du service public […] mais ce que je veux dire, c’est que c’est aussi ça qui était chouette, et on l’a fait au bout, jusqu’au générique. On va prendre des mecs qui ont jamais fait de générique de série.
Rodolphe Tissot :
« …Mais qui avaient très très envie de le faire, c’était ça, qui étaient… puisqu’on a même fait un casting. On a rencontré 4-5 personnes qui faisaient des génériques, et les seuls qui avaient trop envie de le faire, qui réfléchissaient, qui venaient avec des idées, c’étaient eux, ceux qui l’ont finalement fait. Après il y avait le cahier des charges, avec l’envie de base sur laquelle on est tous partis, et c’était de faire quelque chose de beau, d’esthétique, de sobre, et qui parle de l’Eglise en même temps quelque chose d’un peu moderne dedans, il y a sur certains plans quelque chose d’un peu moderne et contemporain qui vient titiller une image sur l’Eglise qui est à la base de plus vieux. Donc il y a toujours cette confrontation entre le monde de l’Eglise, qui a une image comme ça, belle mais… c’est des endroits magnifiques mais qui ramènent toujours des images un peu vieilles, et mettre un peu de modernité là-dedans, quelque chose d’un peu mystérieux. Ca fait rentrer le monde contemporain dans l’Eglise en fiction. C’était ça le but de la série, et il fallait trouver une idée visuelle qui puisse amener ça dans le générique. »
On reviendra à des posts plus subjectifs sur la série par la suite, promis. En tous cas, demain soir, profitez-en bien, moi je serai au boulot quand ça commencera…
Mais dés que vous aurez vu le pilote, n’hésitez pas à venir en causer ici !
merci! très intéressant à lire!
Je n’ai pas aimé, comme je l’évoque sur mon blog (dès 13h), mais avec ton article je comprends les raisons de l’échec. Merci pour ces propos rapportés qui vont bien plus loin que ce que j’ai pu lire ailleurs.
Ils ne sont même pas allés à un séminaire. Ils se sont contentés d’avoir les propos d’une personne qui a quitté l’Eglise. Et le reste n’est que préjugé et histoire « tordue » volontairement pour rendre le tout politique.
Ils parlent de foi mais ils ne savent même pas ce que c’est (l’un est athé et le revendique clairement dans une autre interview si je ne me trompe), parce qu’ils sont incapables d’en parler.
Ils disent se mettre dans la peau d’un être humain mais ils n’expliquent ni ne montrent le fonctionnement de leur personnage, parce qu’ils répondent tout simplement à des impératifs d’écriture, calqués sur des modèles sociaux. Et c’est bien joli de citer Boss, mais Boss a été construit sur la base du personnage principal, or Michel Duchaussoy n’incarne pas le personnage principal, ou alors il fallait parler des arcanes de l’institution, et non de séminaristes. De fait, le personnage ne fonctionne pas et reste dans la caricature, dans une vision politique et fantasmée.
Ceux qui entrent au séminaire ont déjà coupé les cordons avec leur famille, leur engagement est total, et ils savent vers Qui ils vont. Les doutes servent à la fiction, mais il faudrait les utiliser avec parcimonie. On voit presque autant nos séminaristes avec leurs familles qu’au séminaire. Séminaire où normalement on étudie. (Et là j’ai pas vu beaucoup de bouquins !).
Ce qui est embêtant surtout c’est qu’on ne peut pas parler de foi sans discours religieux, or celui-ci est expurgé, en même temps que toute émotion.
Lors de la conférence de presse, je leur ai demandé s’ils voulaient faire une série sur la foi ou l’engagement. Elkaïm a répond : « L’engagement, absolument ». Je crois que le malentendu vient en partie de là.
Quelques points parce que je n’ai pas retranscrit les 2h de la conférence ci-dessus, mais j’ai peut-être quelques éclaircissements que je peux apporter sur ce qui s’y est dit…
Ils sont 4 à avoir partagé le statut de showrunner sur la série, et ils ont des parcours variés (certains viennent d’une famille juive, d’autres d’une série catholique, d’autres sont athées…). En ce sens je trouve que de leur part, il est évident que leur souhait est de parler de quelque chose, d’un sujet qui les intrigue, pas de faire l’apologie ou la critique de quoi que ce soit. Je suis moi-même athée (mais pas anticléricale) et je comprends qu’on se demande pourquoi des jeunes, aujourd’hui, s’engagent dans une voie qui demande tant d’abnégation, au sein d’une Eglise qui perd des fidèles et qui n’a plus la même réputation qu’autrefois. Je trouve ça beau qu’on se pose la question, plutôt qu’on décide, en bloc, que c’est ridicule ; j’ai aimé me poser ces questions parce que, quelle que soit l’objet de notre foi, la question de l’engagement a du sens, surtout aujourd’hui où on s’engage dans si peu de choses à vie. Leur volonté, à ces jeunes séminaristes, est belle, mais elle est forcément complexe et elle rencontre forcément des obstacles : comment les surmonter sans les ignorer ?
Tout ça a ne veut pas dire que l’Eglise est mauvaise, mais elle n’est pas d’un seul bloc, elle ne représente pas que des choses positives, tout simplement parce qu’elle est constituée par des hommes et des femmes qui sont comme n’importe qui faillibles. C’est de cela qu’il est question. C’est là qu’est le personnage du Duchaussoy, un outil pour aborder les failles à un haut niveau. Oui, c’est politique. Et alors, on ne peut pas s’interroger sur cet aspect politique parce que ça donne une mauvaise image de l’Eglise ? Mais ce n’est pas une publicité pour l’Eglise, on n’est pas obligé de n’en dire que du bien, ça ne veut pas dire qu’on la diabolise (again, pardon pour le jeu de mot involontaire). On ne peut pas évoquer l’Eglise que sous un angle positif, ce n’est pas le but de la fiction, et ce n’est même pas juste de toute façon de s’interroger en attendant une réponse unique. Poser une question en imposant la réponse, ce n’est pas poser une question. Et c’est dommage d’avoir à être mis dans cette position, c’est vraiment unique aux religions, ce cas de conscience, je trouve ça terrible en tant que téléphage qu’on n’ait pas le droit de dire : oui, même là où la foi est noble et où les intentions sont belles, il est possible de ne pas être forcément droit. L’Eglise ce n’est pas que Dieu, ce sont aussi les hommes, c’est même ce qui fait que l’Eglise est une belle institution, c’est la façon dont ces hommes tentent de plier leur nature et leurs tentations pour atteindre un idéal… quitte à parfois échouer. J’aime qu’on me parle de ça plutôt qu’on ne me parle que de discours religieux. Pour ça, il y a d’autres sources que la fiction. Les Ecritures, pour commencer. La fiction n’a pas pour vocation de les remplacer ou de les décrypter systématiquement (certaines fictions décident de le faire, je pense notamment la mini-série sur la Nativité qui d’ailleurs n’était pas mauvaise).
Je crois que c’est un procès d’intention que tu leurs fais, et j’ai entendu les mêmes objections de la part de journalistes de revues religieuses présents à la conférence de presse mentionnée dans cet article, que d’attendre une représentation fidèle (no pun intended) de l’Eglise, la religion ou le séminaire. Pourquoi chercher le réalisme ? C’est clairement une fiction, et les systèmes narratifs sont une évidence en matière de fiction. On ne le reproche pas aux autres sujets, mais pour la religion, il faudrait faire dans le documentaire ? Pendant la conférence de presse, Nahon a dit « on ne demande pas à Alan Ball s’il a travaillé dans les pompes funèbres ». Pourtant le travail touche aussi au spirituel dans Six Feet Under ; et tout le monde a le droit de s’interroger dessus, même sans avoir les mêmes convictions que les personnages.
Quant à l’aspect documentation, ils ne sont pas allés à un séminaire parce qu’on ne leur a pas autorisés à le faire… Ils n’ont passé qu’une journée parce que c’est tout ce qu’on leur a donné (c’est une des citations que tu peux lire ci-dessus…). Si l’Eglise n’ouvre pas ses portes, il ne faut pas qu’elle s’étonne d’être incomprise par ceux qui n’y baignent pas.
C’est dommage de juger une série à l’aune de tes convictions et non à l’aune de ses qualités propres, dont tu ne parles pas vraiment. Je lirai peut-être ces éléments dans ta critique de tout-à-l’heure, peut-être sera-t-elle moins rageuse.
Laisser la place à l’imaginaire
Je crois que l’un des gros problèmes de la fiction française est qu’elle est principalement construite et perçue comme devant refléter la réalité. Or, une fiction est tout sauf la réalité. Si on aime une série, c’est parce qu’on s’intéresse aux personnages, à leurs trajectoires, à l’histoire qui nous est racontée. Regarder une fiction, c’est passer un pacte : ce qui nous est montré est inventé. Et c’est parce que c’est inventé que cela résonne en nous, c’est d’ailleurs le but de tout mythe, de toutes les histoires que les hommes se racontent depuis toujours. Si on veut savoir exactement ce qui se passe dans un séminaire, et bien, regardons un documentaire. Lorsque je regarde Ainsi soient-ils, je ne cherche pas à connaître l’exacte vérité de ce lieu, je veux savoir ce qui va arriver à ces cinq jeunes qui se cherchent, à ces hommes d’Église qui s’interrogent. Effectivement, les auteurs ont une vision politique, un point de vue, ce qui est après tout le principe de tout auteur. Mais on peut ne pas la partager.
Mais enfin, nous sériephiles avides de productions étrangères de qualité, réjouissons-nous qu’une série telle qu’Ainsi soient-ils puisse voir le jour. Bien sûr, le pilot n’est pas du niveau de Six Feet Under, mais comment pourrait-il en être autrement ? Oui, il y a des défauts, oui, les personnages sont présentés de façon un peu monolithique, oui, certains dialogues sont encore trop littéraires. Mais Ainsi soient-ils donnent toute la place aux personnages et rien que ça, c’est une révolution !
Et qui sait, peut-être qu’un jour, nous réussirons à faire des séries de SF ou fantastiques populaires et de qualité. Et là, aucun scrupule à avoir : l’imaginaire y est roi !
Mon point de vue n’est pas rageur, loin s’en faut. Je perçois les ambitions de la série, mais elles ne sont absolument pas atteintes. Il ne suffit pas de trouver le sujet, encore faut-il savoir en parler.
J’étais sûr qu’on allait me parler de réalisme. Il ne s’agit pas de faire un documentaire, j’ai bien compris. Mais comment parler de la foi sans un minimum expliquer le bonheur qu’ont ces jeunes gens à intégrer le séminaire. Il y en a un qui va jusqu’à se battre pour y rentrer malgré les préjugés. La question est, en gros, en majuscules et en gras : pourquoi ?
Et cette question là n’est jamais abordée. On ne se met pas à rentrer dans les ordres parce qu’on a une révélation divine (la scène est d’ailleurs tournée à la va-vite, expéditive, sans émotion), mais bien parce que le discours religieux correspond à l’orientation qu’on veut donner à sa vie. Parler d’engagement sans un minimum de discours religieux revient à ne pas pouvoir comprendre pourquoi ces jeunes font le grand saut. On a substitué leur désir profond par leurs places dans la société.
La politisation du débat religieux ne me gêne pas (sinon j’aurai pas aimé Srugim, par exemple), tant qu’on parle du reste. Or il n’y a rien à part ça. Il n’y a qu’une vision particulièrement étroite d’esprit et politisée. Il ne s’agit pas de montrer une vision optimiste de l’Eglise, ça je l’avais bien compris avant même de regarder l’épisode, j’espérais juste un peu plus de nuances. Désolé pour ces mots forts, mais c’est ce que j’ai ressenti.
Si tu as réussi à t’attacher à ces personnages, tant mieux. Moi, non. Le traitement, je le trouve froid, lent, soporifique, et bien trop démonstratif. Et je sais bien que ça constitue un progrès par rapport à une grande majorité de fiction françaises en terme de mise en scène ou d’ambition du sujet, mais le résultat ne m’a pas convaincu. Et cela n’a rien à voir avec mes convictions. Je suis loin d’être un catholique assidu.
J’ai juste eu la chance de discuter avec le jeune prêtre qui a officié avec nous son tout premier mariage. J’y ai vu un souffle, une envie, une flamme, une émotion. Dans les yeux de ces personnages de fiction je ne vois rien. Il ne s’agit pas de réalisme, il s’agit d’une caractéristique indispensable quand on aborde le sujet. Je n’ai pas été ému, je me suis ennuyé, je n’ai tout simplement pas aimé.
Je rebondis sur ta réponse Lady, parce que j’ai oublié certaines choses au passage. Six Feet Under n’est PAS une série sur la spiritualité. C’est une série athée sur la mort, ce qui est sensiblement différent. Elle a donc pu aller explorer tout ce qu’elle voulait, et elle constitue pour moi une pierre importante de ma sériephilie. Mais ce n’est pas un argument qui permet de dire qu’on peut parler d’engagement religieux sans discours religieux, sans tentative d’explication sur ce qu’est la foi, sans montrer une certaine palette d’émotion sur ces jeunes gens qui se consacrent à une chose qui nous paraît étrange.
Merci pour les précisions sur les visites de séminaires, je pensais que c’était un choix délibéré de leur part. Don’t Act. Effectivement si les portes sont fermées, difficile d’avoir une meilleure vision.
J’ai apprécié dans une certaine mesure ces deux premiers épisodes, mais je rejoins Eclair sur le problème conceptuel d’Ainsi soient-ils. L’enjeu n’est pas du tout de refléter ou non la réalité de l’Eglise de France, mais de se demander s’il est pertinent que l’écriture adoptée par la série soit une écriture sécularisée. Ce n’est pas une question de conviction personnelle du téléspectateur. Une fiction peut recourir à des mécanismes qui lui sont propres, romancer et dramatiser les choses, oui… Mais objectivement être séminariste implique une dimension religieuse. On sera tous d’accord sur ce point.
Or mon malaise c’est que la série élimine de la dynamique personnelle et relationnelle des personnages toute dimension spirituelle pour ne retenir que des ressorts narratifs classiques d’initiation, de choix de vie, d’engagement (qui ont leur pertinence et leur légitimité, certes, mais c’est très réducteur par rapport à l’ambition affichée au départ)… Au final, c’est le récit de cinq jeunes gens décidés à entrer dans une institution ployant sous le poids des traditions. Soit, c’est intéressant. Mais un séminaire ecclésiastique, ce n’est pas rentrer à l’IUFM/EN par ex (si vous me passez le parallèle un peu schématique). Il y a dans le sujet même de la série une dimension spirituelle. Passe encore pour les dignitaires qui, avec les années et les intrigues, ont perdu de leur spontanéité première, mais en ce qui concerne les aspirants, l’approche est tout aussi sécularisée. La série fait du folklore religieux (messes, anecdotes révolutionnaires, vatican II), mais ne s’intéresse pas au coeur de son sujet : la vocation sacerdotale. Il ne s’agit pas de délivrer un discours religieux (surtout pas), mais de simplement parler de son sujet. S’interroger et de mettre en scène cette dynamique du croyant, par rapport à l’extérieur ou par rapport à lui-même. Parce que ces séminaristes, ce sont justement des séminaristes, pas des profs ou autres métiers pour lequel on utilise aussi le terme de « sacerdoce ». Sauf que les intrigues semblent pouvoir ici être transposables à toutes institutions sécularisées.
C’est certes un choix volontaire de la part des scénaristes Je comprends leurs raisons, notamment parce que c’est sans doute plus universel pour un public justement culturellement sécularisé. Mais il est aussi légitime que ça puisse donner à certains une impression d’inachevé. Le problème de Ainsi soient-ils peut se résumer très simplement, dans les quelques interrogations de Fromenger : « Est-ce que le monde change ? Est-ce que nous ne pouvons plus le comprendre ? » J’avais imaginé qu’il s’agirait d’un fil rouge problématique central avec ce parcours des cinq séminaristes comme une illustration. Or ce ne sont ici que des questions rhétoriques auxquelles la série n’essaye pas de répondre.
Mais si j’émets ces réserves, il n’empêche que je suis ravie que Ainsi soient-ils ait vu le jour, et surtout qu’elle ait rencontré son public sur Arte. Je serais toujours là pour appuyer cette chaîne dans ce genre d’ambitions. Mais là, de mon point de vue personnel, le traitement du sujet ne prend pas la mesure de l’ambition de départ. Reste qu’il faut poursuivre sur cette voie, c’est certain !
Eclair, je comprends parfaitement tes réserves et tu n’es pas le seul à ne pas ressentir l’appel de la vocation de ces jeunes gens. Une fois encore, je le répète, l’installation des personnages est imparfaite et peut sembler artificielle. C’était la première série pour chacun des créateurs/producteur et on sait combien il est difficile de réussir un pilot et de donner corps à des personnages. Et les créateurs sont conscients de leurs maladresses et semblent travailler dessus pour la saison 2.
Je ne dis pas non plus qu’il faut absolument aimer Ainsi soient-ils, que c’est la meilleure série française de tous les temps. Je pense qu’on est tous d’accord sur notre envie de voir la fiction hexagonale évoluer, prendre son envol. Nous avons des décennies de retard. Ainsi soient-ils est l’un des jalons, espérons que d’autres vont se multiplier, avec une qualité allant crescendo.