My So-Called Other Life

16 octobre 2012 à 21:17

Mon métier n’a jamais été une vocation. Ca m’étonnerait qu’il existe des enfants qui rêvent, des étoiles dans les yeux, d’être un jour secrétaire. En tous cas, ce n’était pas moi.

Mais enfin, nécessité fait loi, comme on dit.
C’était une formation en alternance ou pas d’études pour moi : le seul choix que me laissaient mes géniteurs après que j’aie quitté la fac d’anglais un peu prématurément (en même temps, quand en décembre on en est encore à faire des cours où on répète qu’il faut mettre un « s » à la troisième personne du singulier, la fac d’anglais, ça manque dramatiquement de stimulation…). Je n’avais pas voulu de la première voie (pourtant déjà une voie de garage). Mes parents m’ont bien fait sentir qu’ils ne sponsoriseraient aucune expérimentation dans mon orientation après ça. Et que si je pouvais commencer à gagner ma vie ce serait même encore mieux.
Après plusieurs expéditions au CIDJ, ma mère a donc insisté pour que je m’inscrive dans une école où faire mon BTS en alternance, et comme j’avais décroché un employeur en un temps record (moins de 24h ; une douzaine de coups de fil, pas plus… eh oui, en 2001, l’économie, c’était encore autre chose à l’époque), l’affaire a été vite conclue. J’étais moi-même plutôt mal, vu que je me remettais d’une tentative de suicide et de plusieurs mois de dépression, même si tout ça me pesait, et me révoltait peut-être aussi (mais une révolte molle, sans effet ; c’était ma spécialité à l’époque), et je m’étais laissée convaincre, il me semble, sans trop de difficultés. Quand on est au 36e dessous et que votre propre mère vous dit alors qu’on fait un bilan de compétences « tes qualités… bah, physiquement, tu es forte. Pas mentalement, hein, non, mais physiquement… qu’est-ce que tu pourrais faire physiquement ? », on a l’impression que c’est le BTS Assistant de Direction ou les chantiers. Et soyons sincères, je me voyais encore moins sur des chantiers. Comme j’étais à ce moment-là dans une espèce de brume, j’avoue que beaucoup de mes souvenirs sont flous, mais bizarrement, le bilan de compétences, il m’est resté là.
Alors on était partis pour une formation en secrétariat. Que du fun en perspective.

Quand je suis arrivée là, j’étais un peu déphasée. Par les mois précédent, et par les différences, aussi. Mes camarades sortaient de bacs techniques qui, déjà, les orientaient vers cette carrière. Pour elles, le renoncement datait d’il y a plusieurs années. Je sortais d’un bac L que j’avais obtenu avec une mention, j’écrivais depuis presque toujours, et j’étais capable de me débrouiller dans trois langues (à ce moment-là mon Russe n’était pas encore oublié). Et puis, beaucoup d’entre elles étaient là « en attendant ». Parce qu’elles avaient la ferme intention de se marier vite fait, d’avoir des enfants, et que bosser n’était qu’une étape intermédiaire. J’ai toujours eu du mal à comprendre ces filles-là, j’imagine que le soir elles prenaient un bus qui les ramenaient dans les années 50, je sais pas. De celle qui voulait avoir quatre enfants avant ses 25 ans à celle qui parlait fiançailles avec son highschool sweetheart, c’était souvent irréel de baigner dans ce monde. Qu’est-ce que je foutais là ? C’est à ce moment-là qu’est née ma conviction que j’aurais pu faire autre chose, si seulement…
…Si seulement j’avais pas fait une dépression. Vraiment, c’était trop bête, c’était pas tombé au bon moment.
…Si seulement j’avais de l’argent. Parce que les études c’est quand même avant tout le reste une question d’argent. Si j’avais pu dire que je payais mes études, j’aurais pu les choisir. Ce qui nous amène à…
…Si seulement mes parents m’avaient laissé le choix. J’avais abandonné la fac d’anglais, ça ne faisait pas de moi une totale incapable, si ? Pour mes parents, c’était un aveu d’échec. JE n’étais pas à la hauteur. JE n’étais pas faite pour les études. On va trouver un plan B pour cette pauvre lady qu’est pas si futée qu’on l’avait cru (et pourtant on mettait pas la barre très haut).
…Si seulement je savais quoi. Déjà que l’anglais, c’était pas non plus par conviction… En fait, j’étais bonne en anglais et je m’étais simplement dit que, une fois que je serais prof de Français aux USA, je pourrais toujours bifurquer là-bas vers une autre carrière…

Parce que ce que je voulais faire de ma vie, je le savais bien. Je l’ai toujours su. Ca faisait des années que je le savais. Et des années que mes parents me disaient de « bien m’enfoncer dans le crâne » que dans la vie « on fait pas ce qu’on veut ». Et je me l’étais bien enfoncé dans le crâne. Alors je faisais pas ce que je voulais. J’ai même jamais essayé. J’ai jamais eu l’idée de m’inscrire en fac de lettres en douce, au lieu de signer en anglais, par exemple. Je suppose que j’aurais pu mais ça ne m’a pas traversée. J’avais tellement intégré l’idée que je ne pourrais jamais. Comme tout le reste, après tout, de ce que mes parents me répétaient. C’est un beau un lavage de cerveau bien fait, ça force l’admiration. Je ne cherchais même pas à contourner quoi que ce soit. C’était un fait. Dur à avaler, forcément triste, un déchirement en fait, mais enfin, bon, c’est comme ça quoi, on ne fait pas ce qu’on veut dans la vie. Parce que naturellement, « on ne vit pas de sa plume », vous savez.
Alors secrétaire.

A la sortie du BTS, il y a eu le chômage. A la sortie du chômage il y a eu les premiers emplois venus… et encore, j’ai refusé de faire caissière ou de bosser au MacDo, j’estimais que j’avais assez abaissé mon niveau d’exigence personnelle ; j’ai aussi refusé d’entrer dans l’armée parce que le maniement des armes était obligatoire et que je ne voulais pas toucher une arme. De nombreuses fois, en crevant la faim, je m’en voudrais d’avoir des principes, mais enfin, il faut bien mettre une limite à un moment.
Et puis j’ai eu l’occasion de passer un concours, je l’ai réussi, et trouver la stabilité, c’était important. Vital, même. J’étouffais sous l’impression de ne pas vivre, mais simplement survivre, alors oui, à ce stade, c’était bon à prendre.

Alors l’air de rien, en 2010, ça a fait 10 ans que j’avais passé mon bac, et j’ai réalisé que je n’avais pas du tout fait ce que je voulais. Et vraiment, c’est impressionnant, vu de près, une prophétie autoréalisatrice !

Mais fort heureusement, ma mère, dans sa grande bonté, m’avait appris une chose précieuse : l’utilisation du temps libre. Ma mère, qui vous l’aurez deviné n’avait pas plus choisi sa carrière que je n’ai choisi la mienne (elle a raté les Beaux-Arts, ensuite elle s’est destinéee l’enseignement dans le primaire, elle a fini contrôleur des impôts…), sans utiliser ces termes, m’avait fait comprendre qu’on n’est pas son métier. Quand j’étais petite, elle dessinait beaucoup et écrivait un peu ; c’était ça, sa vraie vie. Pour se prouver qu’elle n’était pas complètement morte à l’intérieur, ma fonctionnaire de mère essayait d’entretenir, quand sa vie de bonniche à la maison lui en laissait le temps, sa petite vie artistique. Elle n’y réussissait pas souvent, et, j’avais l’impression, quand elle y parvenait, c’était en cachette de mon père, comme s’il lui était défendu d’exister. Mais enfin, elle m’avait appris ça, et répété inlassablement : « rien ne t’empêche de passer un concours et, sur ton temps libre, faire ce que tu aimes ». C’est certainement l’un de ses enseignements que j’ai le plus mis en pratique. En fait, je l’ai même mis en pratique pendant que j’étais au chômage, parce que je ne voulais pas dépérir intellectuellement (c’est comme ça que j’ai commencé à bosser chez SeriesLive, après tout).

J’ai passé mon concours en 2008, et depuis, l’organisation de mes journées tire partie au maximum de mon temps libre. J’ai deux vies professionnelles : celle qui me nourrit, et celle qui me nourrit intellectuellement. L’une ne peut aller sans l’autre et inversement. Pas de boulot : pas d’argent pour entretenir ma passion. Pas de passion, aucune envie d’aller au boulot. Il a fallu trouver l’équilibre. Ca a pris du temps avant de trouver le bon rythme, les bonnes astuces, les bonnes priorités. Non seulement je n’en suis plus à survivre, mais je vis.
Grâce à ma deuxième vie.

Mais comme je le disais, aucun enfant ne rêve d’être un jour secrétaire, assistante, ou Dieu sait quelle appellation on trouvera la prochaine fois pour dire « larbin en milieu administratif ». Depuis plusieurs mois que j’ai changé d’environnement, à la faveur d’un changement du Gouvernement, je sens bien la frustration monter.
Ne pas aimer son métier, c’est une chose. Ne pas aimer son boulot, c’en est une autre. Avant, je savais trouver un plaisir, certes minime mais tout de même bel et bien là, dans le fait que je faisais mon boulot, et je le faisais, en règle générale, plutôt bien. Il y a eu des passages difficiles (harcèlement au sein du cabinet, par exemple), mais je trouvais rassurant de rester professionnelle aussi bien dans mon attitude que mes résultats. Mais depuis plusieurs mois, je râle tous les jours. Tous. Les. Jours. Ma partenaire de corvée, avec qui je partage mes fonctions (cf. ladymnistration), l’a bien remarqué ; elle n’est pas tellement plus heureuse mais elle a une façon différente de traiter ce genre de choses (elle somatise, en gros). Moi, je râle. Je rouspète. Je grommèle. Et je ponctue une phrase sur deux, lors du passage de consignes, par des jurons. Ca devient même invivable de l’intérieur, donc je pense que de l’extérieur ça doit être passablement insupportable ; mais ma collègue est d’une patience infinie et je crois que, comme elle se sent un peu désabusée aussi, elle ne me fait pas de remarque. Mais tout m’énerve. Les incompétences des uns, les insuffisances des autres, le toupet de certains patrons… vraiment, je sens que ça ne va pas.
Quand je rentre du boulot, je retrouve ma deuxième vie et, alors que j’aimais bien, il y a encore quelques mois, l’équilibre entre mes deux vies, mes deux professions, celle pour le ventre et celle pour le coeur, aujourd’hui il est devenu très douloureux d’abandonner ma vie qui ne paye pas pour retourner au boulot qui paye mais qui commence à me paraitre cher payé.
Sincèrement, je savais que j’en aurais ras-le-bol, de ce métier. Ca devait arriver. Mais je ne pensais pas que ça se produirait aussi vite.

Je suis plutôt pas mauvaise dans mes deux vies. Mais je veux me désengager de la première. Sauf que, c’est idiot hein, mais payer le loyer de mon appartement que j’aime, je me suis habituée. C’est bête à dire mais, avoir un toit au-dessus de ma tête quand, à une époque, ce n’était pas une évidence, eh bien j’aime ça, voilà ! Et puis, je me l’avoue avec un peu de honte, mais c’est vrai : mon salaire, il me plait comme il est… c’est difficile de faire marche arrière, je l’ai toujours su, après tout, que je n’aurais plus envie de reprendre les choses à zéro ensuite, et qu’une réorientation ne serait pas possible. Ou j’ai toujours cru le savoir. Peut-être que c’était bien enfoncé dans mon crâne si proprement lavé ?

Peut-être que si j’avais été plus courageuse quand j’étais jeune, si j’avais affronté l’ordre établi par mes parents, j’aurais eu une chance de ne pas en passer par là. Mais je n’ai même pas eu l’idée d’essayer. Et je crois que j’étais convaincue que je n’avais pas ce qu’il fallait. Je n’ai même pas essayé ensuite non plus : j’étais dans un état d’esprit de peur, de faim, de panique, et là encore, n’ayant rien ou si peu à perdre, j’aurais pu tenter de faire quelque chose, mais même pas. J’ai attrapé le premier boulot venu, ou presque.
Mais toujours en gardant à l’esprit que j’aurais pu faire mieux. J’aurais dû faire mieux. Nom d’un chien, c’est pas comme si je n’étais pas capable ! Enfin, je ne savais pas si j’étais capable, mais j’étais sûre de ne pas être incapable, en tous cas !!!

Et puis, un jour. Comme mardi dernier. Et comme aujourd’hui. Une porte s’ouvre. Une porte que, très franchement, j’avais un peu désespéré d’ouvrir. Quelqu’un de professionnel vous écoute comme une professionnelle, vous regarde comme une professionnelle, vous traite comme une professionnelle. Ce jour-là, vous vous dites : bien-sûr que je suis capable. Et je ne suis même pas obligée de tout reprendre à zéro.

J’ai eu plusieurs vies. Les deux premières décennies, qui ne m’appartenaient pas. Une année de dépression et de morbidité. Deux années à prétendre vouloir être une gentille secrétaire. Cinq années de chômage, parfois jusqu’à l’extrême. Et maintenant une vie stable, un peu d’argent, du confort financier et donc intellectuel. Comment je sais que je n’aurai pas d’autre vie ? Pourquoi ce serait la dernière ? Plein de fois j’ai réorienté mon chemin.

Peut-être que dans le fond, peut-être… juste peut-être, hein ? Peut-être qu’on peut vivre un peu de sa plume.
Ou qu’au moins on peut acheter quelques DVD avec ce qui en sort. Et puis pour la suite, on verra. La vie est pleine de surprises. Et, non, elles ne sont pas toutes mauvaises.

J’ai tellement d’autres choses dans le crâne que ce qu’on m’y a enfoncé.

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4 commentaires

  1. Maxime B. dit :

    Je crois que tu as raison. On a plusieurs vies dans une vie. Je suis certain que ta prochaine « séquence » de vie te permettra de t’épanouir pleinement, pas seulement dans ce que tu appelles le « temps libre ». En tout cas, je te le souhaite Lady.

  2. Ludo dit :

    Et c’était quoi, cette porte qui s’est ouverte ?

  3. Cédric dit :

    La façon dont tu observes ta/tes vie/s et ta personnalité, et la façon avec laquelle tu parviens à exprimer tout ce que tu peux observer, sont vraiment belles !

    ( J’espère que tu ne me prends pas pour un importun ou un « vil séducteur », je t’assure que je n’ai aucune idée derrière la tête, j’exprime juste ce que je pense. )

    Ton écriture est fluide et pleine de sagesse !

  4. J dit :

    Quel plaisir de lire que tu commences à aller mieux !

    Eh non, je n’ai jamais cessé de te lire, ni de me préoccuper de toi et ce malgré le mal causé par ton silence après avoir échangé bien des e-mails voilà 4 ans…

    En même temps, j’ai fini par comprendre (une fois la colère passée) que t’ouvrir autant que tu commençais à le faire t’était intolérable et contraire à ton système d’autoprotection de l’époque.

    Je n’ai pas su gérer ni n’ai su (voulu ?) comprendre, alors que si nous ne pouvions être amis c’était parce que je n’étais pas à ta hauteur… tout simplement.

    Ce rendez-vous manqué suscite en moi bien des regrets, bien des remords…

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