L’âme en peine

19 septembre 2012 à 1:36

Puisque le Québec a fait sa grande rentrée ces derniers jours, attendez-vous à ce que whisperintherain et moi-même vous parlions de plusieurs pilotes proposés à nos cousins francophones d’outre-Atlantique. Après la comédie à sketches Les Bobos, voici venue l’heure d’un pilote à l’opposé : Tu m’aimes-tu?.

Et je suis en mesure de vous annoncer que Tu m’aimes-tu ? est mon premier véritable coup de coeur de la saison. Voilà, comme ça vous savez à quoi vous en tenir. J’ai été émue par Go On, mais là, on est dans la gamme au-dessus, et de loin. C’est sans commune mesure.

Un soir, alors qu’ils se baladent dans une rue, Fred et son ami Dave découvrent avec horreur que la belle Valérie est tranquillement assise dans un restaurant en train de déguster une soupe de langues avec un type. Sauf que Valérie, c’est la copine de Fred… ou disons l’ex-copine, parce qu’en réalité, voilà deux mois qu’elle l’a plaqué et qu’elle a quitté leur appartement, simplement Fred n’en avait pas soufflé un mot à son entourage. Pendant que Fred tente de se remettre de sa rupture, Dave partage sa surprise avec sa propre compagne, Judith, laquelle commence à se demander si l’essoufflement de son propre couple n’augure pas également d’une rupture. Et puis, il y a la nouvelle voisine de Fred, Mélanie, celle qui passe ses nuits avec des inconnus auxquels elle refuse de se lier, mais qui a pris Fred en affection…

Ce qui fait la force de Tu m’aimes-tu ?, ce n’est pas du tout son pitch, vous l’aurez compris. D’ailleurs, la première fois qu’on l’a évoquée, il y a quelques mois, cette histoire n’avait pas spécialement agité les foules. Ce n’était pas le but, car c’est dans son traitement que résidait la beauté de Tu m’aimes-tu ?, dans sa sensibilité, dans sa façon d’aborder le sujet en berçant ses personnages, en les cueillant comme des fruits fragiles. Il y a une délicatesse extrême dans ce pilote, une volonté d’user de la plus grande douceur pour ne rien brusquer.

Et pourtant ce premier épisode est efficace en diable, parce que la réalisation de Tu m’aimes-tu ?, très exigeante, n’accepte aucun temps mort, aucun relâchement. Maintenant une émotion constante et à fleur de peau, l’épisode va essentiellement accompagner Fred dans sa rupture, ne nous épargnant rien de ses crises de larmes, par exemple. Mais au-delà de la simple victimisation de son héros, l’épisode s’attache à nous renvoyer à nos propres larmes passées.
Impossible de ne pas revivre une vieille rupture devant ce magistral épisode inaugural, tant il saisit avec grâce et exactitude la notion de perte qui correspond à ce genre de situations. Si vous avez déjà eu le coeur brisé, alors vous avez été Fred, et c’est en partie la raison pour laquelle ces scènes fonctionnent si bien.

Mais plus encore, Tu m’aimes-tu ? est d’une infinie justesse dans sa mise en images de l’inconscient et du souvenir. Des éléments forcément essentiels dans une période aussi sensible et émouvante que la rupture de Fred, mais qui s’intègrent incroyablement bien à son histoire personnelle. Le problème, c’est que c’est probablement la partie la plus difficile à décrire dans cette review…
Ainsi, abandonné dans un vaste appartement que son ex a déserté, Fred, qui est photographe quand il arrive à fonctionner normalement (c’est-à-dire certainement pas en ce moment), est entouré de photos. Quand il pense à un souvenir commun avec Valérie, c’est l’une de ces photos qui lui apparait. Mais quand il l’imagine, elle, avec lui, le nouveau copain, il se représente également leurs corps enlacés sous la forme d’instantanés. Ou encore, l’écran de son appareil photo numérique offre au spectateur la vision du héros en train de pleurer douloureusement, tandis que Fred tente comme il peut de se reprendre « dans la vraie vie », offrant ainsi un superbe rappel de l’émotion qui domine le personnage même quand il tente de faire bonne figure. Le jeu avec les images est parfait, et fonctionne comme une magnifique palette supplémentaire pour enrichir l’émotion des scènes.

Si Fred est, résolument, le personnage central de ce premier épisode, de par la crise qu’il traverse, son ami Dave n’est pas en reste. Visiblement atteint par la nouvelle, et choqué parce que Fred vit sa rupture depuis deux mois sans oser se confier à lui, il s’inquiète énormément pour lui… mais en oublierai presque qu’il a lui-même une femme à laquelle donner de l’attention. C’est elle qui va justement se poser la question : comment faire pour qu’il leur arrive la même chose qu’à Fred et Valérie ?

Et puis, je dois dire que j’apprécie énormément le personnage féminin, Mélanie. Il est dans un premier temps assez difficile de l’appréhender, parce qu’elle apparait assez tard dans l’épisode et ne semble pas, en apparence, liée au « drame » qui se joue dans le coeur brisé de Fred. Lorsqu’on fait sa connaissance, Mélanie est la voisine du dessus de Fred, qui s’envoie bruyamment en l’air, ce qui a pour effet, évidemment, de ne pas vraiment arranger les choses pour notre pauvre photographe. Insensible au premier abord (elle est assez sèche avec son compagnon d’une nuit), elle finit par se montrer très émouvante lorsqu’elle entend des pleurs venir de chez Fred, et qu’elle se déplace au beau milieu de la nuit pour aller voir si elle peut le consoler. Mais dans sa vision de l’amour très pragmatique, Mélanie s’avère, en fin d’épisode, elle-même touchante… Je vous laisse découvrir pourquoi.

Outre l’incroyable réalisation toute en finesse, et les personnages tendres et attachants, Tu m’aimes-tu ? nous offre aussi de très jolies performances. Ainsi, Steve Laplante (découvert pour ma part dans Mirador), qui est également co-auteur, nous propose un Dave en proie au doute, mais au doute pour autrui ; il est par contre, dans ce premier épisode, assez aveugle en ce qui concerne ses propres questionnements sur l’amour. Mélanie, incarnée par une Magalie Lépine-Blondeau pleine de fraîcheur, n’est pas une simple voisine décomplexée, comme le pitch l’aurait laissé penser ; elle apparait rapidement être capable d’une grande empathie. Mais la véritable révélation, pour moi, de cet épisode, est Sébastien Huberdeau, que je ne pense pas avoir déjà vu quelque part (hélas !), et qui est simplement superbe ; son air perdu, qui m’a un peu rappelé celui de Michael C. Hall dans ses habits de David Fisher, est absolument magnifique. Il incarne à la perfection, sans le moindre excès mais sans retenue pudique, cet homme brisé par une rupture qui passe ses journées les yeux rougis.

Les prochains épisodes, nous promet-on, parleront de l’amour sous diverses formes, de ce que cela représente pour ces trois protagonistes qui en sont à un stade différent de leur vie. A ce stade, je suis obligée d’admettre que Tu m’aimes-tu ? m’a tellement conquise que je suis prête à suivre les yeux fermés ses 13 épisodes.

Il est difficile d’expliquer, je m’en rends bien compte, combien Tu m’aimes-tu ? est une réussite. Si je vous parle de la musique quasi-permanente à la guitare, ou des jeux de lumière, vous n’allez pas vraiment saisir pourquoi ce premier épisode est une merveille touchante et émouvante. Je crains même un peu, de vous à moi, que vous dire que l’épisode est si bon ne vous donne des espoirs surdimensionnés.
Mais voilà, il faut quand même que je vous le dise : je suis sous le charme de cette dramédie (car il y a des moments plus légers, l’air de rien) parce que je la trouve très humaine, très touchante, très juste. Il y a quelque chose que cet épisode a su saisir qui est magnifique, et impossible à vraiment retranscrire, mais qui est parfaitement efficace, même pour quelqu’un qui n’a plus eu le coeur brisé depuis des années.

Du coup, je ne sais pas quoi vous dire. Il va sans doute vous falloir regarder ce pilote vous-mêmes, désolée. Mais si vous optez pour cette solution, soyez prévenus, ça risque de vous filer un petit coup au moral. Mais c’est pour la bonne cause : vous allez regarder de la vraie bonne télévision. Pardon pour le jeu de mots, mais… ça en vaut bien la peine.

par

, , , , , ,

Pin It

2 commentaires

  1. Toeman dit :

    Pfiou…

    J’ai l’impression qu’on a frotté mon âme au papier de verre. Le rythme est génialement maitrisé. C’est beau, cette musique, cette réalisation, ces histoires, et tellement dur en même temps. Ce coup de l’appareil photo qui nous montre Fred dans des états affreux, ça m’a vraiment bouleversé. On est sans cesse sur la corde raide, à fleur de peau, comme tu dis, j’ai adoré.
    Comme toi, j’ai beaucoup aimé Mélanie, et ce, dès sa première apparition. Son personnage semble cacher des blessures profondes enfouies sous une carapace pas si solide que ça. Peut-être un peu moins emballé par le personnage de Dave. Pas à cause de l’acteur qui est parfait, mais sa situation me parle probablement moins. Je vois cependant où veulent en venir les scénaristes avec lui, et ça s’annonce quand même très intéressant.

    Hâte de voir le prochain.

  2. Shoone dit :

    J’y suis allé un peu à l’aveugle, me fiant à tes éloges sur Twitter et n’ayant aucune idée du pitch. Quand j’ai compris le sujet, j’ai commencé à avoir quelques réticences… et puis je me suis laissé embarquer finalement. L’intrigue n’a en effet rien de follement élaboré, original mais le traitement fait toute la différence, c’est exactement ça. J’ai beaucoup aimé la simplicité de l’épisode, son authenticité. La prestation de l’acteur jouant Fred y est pour beaucoup, je pense aussi. Il retranscrit une vraie fragilité et un vrai désespoir sans en faire des tonnes… et en même temps réussissant à être tout à fait accessible. Dans l’image, j’ai trouvé très cool aussi l’idée d’utiliser les photos pour illustrer les souvenirs. La partie que j’ai néanmoins encore plus apprécié, c’est celle de Mélanie, pour laquelle j’ai également un coup de coeur. Le personnage a quelque chose de lumineux et même temps, il semble avoir une vraie profondeur. L’actrice est très bonne dans le rôle en plus, j’ai adoré ses scènes avec Fred.

    Pour les quelques points négatifs, parce qu’il y en quand même, qui m’ont empêché d’être complètement conquis, il y a surtout le format et le rythme. J’ai été un peu frustré que ce soit si court et que tout s’enchaîne si vite. Là j’aurais vraiment aimé quelques chose de plus posé. Le fait aussi que ce soit tout le temps la même chanson dans une bande sonore plutôt envahissante, c’était un peu gênant aussi pour moi, ça me donnait parfois l’impression d’être dans une pub.
    Voilà, j’ai eu quelques soucis avec la forme, mais globalement, vraiment, j’ai bien aimé, j’ai réussi à vite m’attacher aux personnages. Jolie découverte.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.