Voici donc un post sur le pilote de Good Cop, sachant qu’évidemment, au bas de ce post, vous trouverez un lien vers le blog de whisper afin d’aller y lire sa review également.
L’écran était passé au noir et elle ne cillait pas. Le regard braqué sur l’écran, les sourcils légèrement froncés, et le visage impassible, elle était restée dans la même position depuis de longues minutes déjà, mais elle ne semblait pas l’avoir remarqué. Pourtant, c’était justement son silence et son immobilité qui la trahissaient, qui disaient combien elle venait de se prendre un méchant coup, sans quoi elle aurait au contraire sauté sur son clavier pour immédiatement rédiger une review. Mais pas cette fois. Cette fois, chacun de ses muscles était tendu, crispé, noué ; sa mâchoire était impossible à desserrer et même ses orteils s’étaient recroquevillés.
Elle était dans cette position depuis que, près d’une demi-heure plus tôt, elle avait hurlé d’horreur. Les cris avaient résonné dans la cuisine et le couloir, et peut-être même jusque sur le pallier. Il n’était pas dans ses habitudes de crier devant un épisode mais certaines fois, certaines très rares fois, elle ne pouvait s’en empêcher. Même après avoir regardé des centaines d’heures de télévision, il arrivait encore qu’il y ait des instants capables de la surprendre au point qu’elle n’ait pas le temps de réprimer son cri.
C’était l’angoisse du moment, d’abord. La montée d’adrénaline quand elle avait senti qu’il allait se passer quelque chose. Lorsque l’étau s’est refermé, elle n’avait pas été surprise, mais elle avait eu une sorte de demi-hoquet, moitié par soulagement que la tension retombe, moitié parce qu’il était évident que le pire était à venir. Elle avait presque cessé de respirer, les yeux écarquillés, sentant que ce qui allait se passer n’était pas anodin, bien au contraire.
Et puis, il y avait la violence. La violence était venue juste après, et elle était au limites du tolérable, allant crescendo, comme pour faire supplier tant les personnages que le spectateur. Quand elle avait lu dans le regard de la victime hébétée que c’était foutu, elle avait senti ses épaules tomber, comme sous le poids de la réalisation qu’elle allait assister à un massacre et pas juste un passage à tabac. Elle n’entendait ni ne voyait vraiment les réactions de l’autre, entendait à peine les rires des bourreaux, elle ne voyait, comme par persistance rétinienne, que les yeux de la victime. Et puis, elle avait vu le poste de télé, et c’était là que c’était sorti. Elle n’avait pas cherché à se calmer.
Jusqu’à cette séquence, elle avait été moyennement convaincue par l’épisode, principalement parce que le personnage central semblait tellement impossible à saisir. La dureté de son regard, ses rares expressions, son rôle de justicier efficace mais compatissant, lui semblait même difficile à appréhender. Comment ressentir de l’empathie pour une personnage qui ne semble pas en vouloir, qui évite même de partager son ressenti ? Elle ne comprenait pas les critiques positives qu’elle avait lues, hantée par la lourde impression d’avoir vu cela cent fois.
Mais c’était le cas, après tout. Ce regard un peu perdu, rivé sur le point d’horizon, ou fixant les gens comme pour regarder au travers d’eux, elle le connaissait ; son père était rentré, bien des soirs, avec ce regard-là, lui qui avait fait pendant plus d’un quart de siècle ce même métier. Le regard de celui qui en a tant vu qu’il ne peut plus accepter de se laisser démonter, sans quoi il va perdre tout contrôle de lui-même. Elle connaissait ce regard mais il ne l’émouvait plus.
Elle aurait voulu être émue par la première affaire sur laquelle le personnage et son collègue étaient intervenus, elle aurait aimé y sentir quelque chose, y trouver des éléments trahissant la personnalité du personnage, ou ayant une signification sociale, éventuellement. Elle trouvait que les séquences se succédaient sans avoir de sens. Elles en avaient un, bien-sûr. Ce qui leur manquait était un objectif, plutôt.
Après la scène de violence, quand le silence était retombé dans l’appartement, elle n’avait jamais réussi à se décrisper, ou au moins à relâcher sa mâchoire. Elle n’avait pas non plus réussi à retrouver cette émotion, ce rush, cette intensité, dans les scènes suivantes. Elle s’était brièvement demandé si elle ne se raccrochait pas un peu au sentiment d’horreur qu’elle avait ressenti au milieu de l’épisode, quand le reste des scènes était tant dénué d’émotion ou du plus petit impact sur elle. Elle ne comprenait pas comment le personnage trouvait le moyen de s’intéresser encore à son affaire précédente, ou à garder un ton neutre en allant proposer son aide à son père malade.
Tout au plus avait-elle été prise de surprise par une phrase de celui-ci. « You know the trouble with you being a copper is you see too much shite. Life’s good. People are good. » Elle s’était demandé si quelqu’un avait jamais pensé à faire la remarque à son père tant cette phrase sonnait vrai. Et puis c’était passé.
Elle avait traversé le reste de l’épisode avec l’impression de flotter au travers des scènes, de ne pouvoir s’y accrocher, se laisser atteindre par elles. Peut-être parce que c’était l’impression que renvoyait le héros. Peut-être que si elle avait pu s’approcher de lui, avoir l’impression de sentir ce qui le tourmentait, et pas simplement de le deviner, elle aurait été bluffée par cet épisode. Elle s’y sentait tellement extérieure.
Mais tout ce qui restait était le souvenir d’un cri de terreur, et le regard fixe sur un écran noir.
Elle avait passé plus d’un quart d’heure, le regard braqué sur l’écran, les sourcils légèrement froncés, et le visage impassible. Elle se demandait comment elle allait réussir à mettre des mots ce qu’elle venait d’expérimenter avec le pilote de Bad Cop.
Et puis elle desserra les doigts plantés dans son accoudoir, saisit la souris, et ouvrit un nouvel onglet de son navigateur…