With a little faith

10 septembre 2012 à 23:57

« Je ne sais pas ce que je suis…
– Religieuse. Si tu es autant tourmentée, c’est que tu es religieuse ».
(Hodaya et Avri, Srugim – 1×08)

Il y a peu de choses que j’aime autant qu’écouter Letting go of God de Julia Sweeney (et plusieurs fois par an, qui plus est). Pour l’athée que je suis, c’est une source de réflexion constante, même au bout d’une dizaine d’écoutes.
Ce spectacle brillant, sorti également au format CD, raconte comment la comédienne (…ex-SNL, on ne se refait pas), élevée dans une famille aux racines irlandaises et très catholique, se pose des questions sur sa foi. Vers la fin de cet incroyable voyage spirituel (plein de drôlerie et d’intelligence, prodigieusement écrit, et jamais dénué d’émotion, au passage), quelqu’un lui glisse : « tu sais, tu aurais dû être Juive. Il est attendu des Juifs qu’ils soient en lutte avec leur foi ».
Au terme de la première saison de Srugim, j’ai l’impression que la série un très bel exemple de cette lutte interne, de ce conflit. Il est présent mais il est naturel. Il ne s’agit pas de remettre en question sa foi pour la plaquer, mais juste de ne jamais totalement se laisser envahir par elle, d’accueillir le doute et la remise en question, pour mieux vivre ses croyances. Pour vérifier régulièrement ce que l’on en pense, si cela nous convient, et si on est prêt à poursuivre le chemin, avec ses moments de grâce mais aussi les autres.
En 15 épisodes (regardés depuis samedi, donc), Srugim a su faire une magnifique démonstration de cette lutte sans jamais en faire une guerre.

Cette saison a été l’occasion pour moi de découvrir une bande de trentenaires qui vivent leur religion à la fois comme quelque chose de collectif, généralement pour tout ce qui est positif (célébrations, entraide…), mais qui ont aussi un rapport intime et douloureux à la religion, lorsqu’il s’agit de se retrouver seul avec Dieu, et de prendre des décisions.

Hodaya, en particulier, est très touchante. Elle est étudiante en « Biblical criticism », fille de rabbin, ce qui, on l’imagine, n’a jamais dû être facile à concilier avec son tempérament assez décomplexé (on apprend en effet au début de la saison qu’elle porte des jeans mais n’a pas osé l’annoncer à sa grand’mère qui, très conservatrice, aurait du mal à l’accepter). Sa rencontre avec un « non-religieux » (attention, dans le contexte de la série, cela ne veut pas dire athée, mais plutôt non-orthodoxe) va la pousser dans ses retranchements. Elle vit sa pratique religieuse comme un fardeau, au point que des problématiques de coming out vont être abordées. A travers plusieurs scènes (qui, il me faut le préciser, comptent parmi les plus belles de cette saison), Hodaya va essayer de pousser les limites de sa propre foi, se fâcher avec elle-même, son petit-ami, ses amis et un peu Dieu, et finalement déterminer, à tâtons, ce qu’elle s’autorise à faire, et ce qui est hors-limites.
Quand je dis que Srugim ne parle pas de rejeter la religion, mais s’autorise abondamment à la remettre en question au plan individuel, c’est là, dans cette quête intérieure qui touche à son expérience sociale et amoureuse.

Personnage au départ introverti, Amir va également offrir de très belles scènes. C’est un homme profondément traditionnaliste, mais qui sort d’un divorce qui l’a profondément atteint. Il sert d’abord de serpillère à son colocataire Nati (il faut dire que ce dernier n’est qu’ego), avant de progressivement s’affirmer. Cela ne le mettre pas à l’abri des questionnements moraux, notamment lorsqu’il renoue avec son ex-femme…
Les dilemmes des personnages, même s’ils sont de toute évidence ancrés dans une culture qui nous reste un peu hermétique, sont finalement des représentations de questions universelles. Amir se retrouve seul, il ne parvient pas à se trouver quelqu’un parce que les divorcés sont quasiment des pestiférés sur le marché de la « drague » de Jérusalem, et même s’il ne remet pas en cause sa foi comme peut le faire Hodaya, il en teste aussi les limites à sa façon. A aucun moment il n’envisagera de tourner le dos à sa pratique religieuse, et au contraire, celle-ci lui offrira plusieurs fois la possibilité d’exprimer ce qui le tourmente, à l’instar de cette incroyable scène de chant avec des inconnus pendant shabbat, d’une grande force.

Forcément, dans Srugim, la religion est omniprésente, c’est clair. Et cela dérangera peut-être les plus anticléricaux, j’imagine, de voir les personnages prier dans presque chaque épisode, d’entendre des chants religieux, de voir des attributs religieux portés par quasiment tout le monde. Mais non seulement il n’y est jamais question de prosélytisme, sous aucune forme, mais en plus, elle prend une signification particulière dans le cadre de la vie des célibataires qui sont au centre de la série.
Car la religion représente aussi et surtout leur bagage dans la vie ; elle est à la fois ce qu’ils sont (leur éducation, leur culture), ce qu’ils font (les rites par lesquels la religion se manifeste), ce qu’ils pensent (leurs opinions politiques en découlent, par exemple), ce qu’ils sont prêts à accepter… Par-delà le socle commun, chacun a ses propres limites, sa propre interprétation de ce qui est acceptable ou pas, et cette limite bouge même en permanence pour les personnages qui sont le plus en proie au doute et à la remise en question. Déterminer où est la limite entre ce que l’on doit faire, ce que l’on veut faire, et ce que l’on refuse de faire, lorsqu’il s’agit de rencontrer l’autre : y a-t-il plus universel que cela ?
Et pourtant, j’ai l’impression que le thème n’a jamais été exploité de cette façon dans la plupart des séries parlant des célibataires, notamment aux USA où les questions amoureuses, sexuelles, et la peur de la solitude, semblent au centre des préoccupations.
Mais dans un contexte où le mariage est considéré comme une fin en soi, et la chose la plus naturelle et incontournable au monde, et où le divorce est encore accompagné d’un fort stigmate, il n’est pas très étonnant que des personnages qui savent qu’ils s’engagent pour la vie pensent plutôt à ce genre de choses qu’à des problématiques hédonistes, par exemple.
Mais pour moi qui suis si peu friande, vous le savez, de séries autour du domaine amoureux, j’ai eu l’impression de mieux comprendre et mieux ressentir ce qu’il se passait dans Srugim, parce que justement, il s’agissait d’aller un peu plus loin que les interrogations habituelles sur « cela va-t-il marcher »/ »est-ce que je l’aime/il m’aime »/etc… Sans doute y a-t-il de la place pour les deux écoles, car il en faut pour tous les publics, mais celle-ci me touche plus.

Même si j’ai énormément de mal avec cette pression constante autour du mariage (les protagonistes répèteront en plusieurs occasions des phrases comme « on se connait depuis trois mois maintenant, il est temps » ; un épisode nous montrera une femme qui, fiancée et ravie de l’être, plaquera son promis pour un type qui la demande en mariage sur le champs…), qui sonne à bien des égards comme une aberration, je suis admirative par rapport à la façon dont les personnages conçoivent cet engagement. Pour eux, il faut le prendre, le plus vite possible, et presqu’avec le premier venu, mais il faut aussi ne pas se trahir et, partagés entre les deux, même dans la précipitation, je trouve leur cheminement plus profond que celui de beaucoup de personnages occidentaux sur le point de s’engager de façon similaire. La romance a toujours sa place, bien-sûr, mais elle n’est pas le conte de fées idéalisé non plus, et finalement, en étant plus pressés de se marier que leurs équivalents américains ou asiatiques, les personnages de Srugim font preuve d’une plus grande mesure.

Et puis sur un plan plus téléphagique, j’ai vraiment eu la sensation de suivre une série au charme paisible, reposant… Jamais de cris. Une gestion incroyable des silences. Une bande-son modeste et douce. Une caméra qui opère un léger mouvement de balancier en quasi-permanence. Et une fois de temps en temps, des scènes d’une grande simplicité, mais merveilleusement belles et touchantes, inspirées.
Faire ce chemin en compagnie de la bande était un moment incroyablement stimulant, de par toutes les choses que j’avais à découvrir, à apprendre, à comprendre ; mais c’était aussi, en quelque sorte, un moment de recueillement, d’introspection, et pour l’athée que je suis, c’est toujours très impressionnant de se retrouver dans la situation où on a l’impression de toucher à quelque chose de religieux grâce à une série. La richesse spirituelle, le parcours intérieur que permettent des séries comme Srugim (ou Cloudstreet, dans un registre légèrement différent) fait bien plus pour élever spirituellement le spectateur que toutes les prêches de 7 à la Maison.

C’est exactement pour des expériences comme celle-là que je regarde des séries, et à plus forte raison des séries venues des quatre coins du monde. Il s’agit là d’une véritable aventure, capable de combler sur un plan émotionnel, téléphagique, et intellectuel. Je crois qu’il est inutile de souligner combien je vais m’engager dans la deuxième saison de Srugim avec enthousiasme, d’autant le character development effectué dans la série me fait dire que ce ne pourra qu’être meilleur encore !
Un joli coup de coeur que cette série. Parfois, ça vaut vraiment le coup d’acheter un DVD à l’aveuglette !

par

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Emma dit :

    Ah, mon Dieu (pun intented )! Il me faut cette série!
    Ça m’a m’a l’air terriblement intéressant (j’ai regardé le premier épisode sur Viki mais ils n’ont pas dépassé l’épisode 4 je crois. Alors j’ai arrêté avant d’être frustrée!)

    Le problème avec les séries occidentales, c’est justement ça: aucune profondeur « spirituelle » au sens large…
    En tout cas, encore un achat à faire !

    Merci (j’aime beaucoup to style d’écriture, au fait!)

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