Tout a commencé avec des séries américaines. J’ai regardé toutes sortes de séries quand j’étais petite, à l’époque où la nationalité n’avait pas d’importance. Je ne savais pas faire la différence entre une fiction américaine et une co-production australo-polonaise, et ça ne m’intéressait même pas d’apprendre. D’ailleurs je ne sais pas comment je l’ai apprise, cette différence. On est nombreux à l’apprendre, et je ne sais pas comment ; quelque chose s’insinue dans notre naïveté de jeune spectateur et nous apprend un sectarisme que je ne m’explique pas. Mais que j’ai bien connu, et dont j’ai mis longtemps à me défaire. Toujours est-il qu’arrivée à l’adolescence, je ne jurais déjà plus que par les séries américaines.
C’était, sans doute, une question de proportions. Le nombre de séries américaines diffusées à la télévision, à des heures où je pouvais la regarder, ça a sans doute beaucoup joué. De la même façon que j’ai fait partie de la génération qui, avec La Cinq et le Club Dorothée, a intégré certains codes de la fiction animée japonaise, entrebâillant bien des portes pour la suite.
Les premières séries que je me rappelle avoir regardées (et pas simplement avoir vues parce que la télévision était allumée) étaient américaines ; c’étaient des séries comme L’Enfer du Devoir, La Belle et la Bête, MacGyver. Depuis c’est resté. C’est même devenu un leitmotiv : seules les séries américaines étaient dignes d’exister à mes yeux, je considérais que c’était la preuve que j’étais sélective, exigeante, voire même élitiste. J’en regardais d’autres, parfois sans faire exprès (comme Invasion Planète Terre, dont je n’avais pas percuté malgré le logo concluant son générique de fin qu’elle était canadienne), mais quand je savais qu’elles étaient étrangères, c’était avec la conviction qu’elles étaient inférieures.
Il y avait une hiérarchie. Les américaines étaient là-haut, et ensuite on allait décroissant selon les préjugés. Il est à peine utile de préciser que la France se trouvait tout au bas de la pyramide.
Progressivement, j’ai apparemment appris à reconnaître au premier coup d’oeil une production allemande ou britannique. Je pouvais zapper, passer à peine une seconde sur une chaîne, ne même pas lever le doigt du bouton enfoncé de la télécommande, et déterminer la nationalité d’une fiction que je n’avais pourtant jamais vue auparavant. Aujourd’hui je me dis que c’est parce que le catalogue de séries allemandes ou britanniques des chaînes françaises ne se renouvelait pas beaucoup, et que ce que je prenais pour une preuve de nationalité (inférieure, donc) était peut-être simplement d’âge (et quand on a 15 ans, une série des années 70 est forcément inférieure). Peut-être que comparer toute série allemande à Derrick, quand Derrick est l’une des rares séries allemandes omniprésentes sur les écrans français, n’aide pas.
Mais peu importe les raisons. Le sectarisme était là.
Quand j’ai lancé ce blog, je regardais déjà quelques séries japonaises de temps à autres. Et j’y étais plutôt attachée. Mais leur brièveté me donnait une excuse pour ne jamais en citer une seule quand on me demandait quelle série je regardais en ce moment, ou quelles étaient mes préférées. C’étaient des sous-séries parce qu’elles ne venaient pas des Etats-Unis, et parce qu’elles ne s’inscrivaient pas dans la durée. Ce n’était pas ce qu’une série était supposée être. Quand j’ai commencé à envisager écrire sur les séries asiatiques ici, ça a été l’objet d’une véritable question pour moi. C’est aujourd’hui assez caractéristique d’aller lire mes posts de l’époque, on peut y sentir la bataille interne contre une certaine honnêteté intellectuelle (je regarde ces séries, j’en apprécie) et mon opinion préfabriquée me dictant de considérer que seule la fiction américaine est digne de mon attention.
Petit à petit, les choses ont changé. Elles ont beaucoup changé.
C’était une aventure pour moi de me faire de la place sur ce blog aux séries japonaises, puis sud-coréennes, puis asiatiques dans un sens plus large (j’ai évoqué quelques séries indiennes).
C’est toujours une aventure. Ces derniers mois, j’ai acheté des DVD venus d’Australie, de Nouvelle-Zélande, d’Islande, de Norvège, d’Israël, du Brésil, de Grande-Bretagne, et j’en passe. J’en ai un d’Afrique du Sud qui doit prendre l’avion sous peu.
Une fois qu’on a ouvert les frontières, il n’y a plus de limites, que des horizons.
Maintenant que c’est si facile pour moi de sauter d’un pays à l’autre ! Je ne me dis plus « c’est polonais, c’est forcément merdique ». C’est même un tel plaisir, je me suis libérée de presque toutes mes idées en préfabriqué et c’en est libérateur ! Aujourd’hui c’en est au point où j’ouvre un onglet de mon navigateur et cherche au hasard des idées de séries venant de pays dont je n’ai pas vu la moindre image, juste pour voir ce qui se fait là-bas, parce qu’il se fait toujours quelque chose, et il se fait toujours quelque chose de bien.
Il était donc temps de m’attaquer à mon plus grand défi. Ma plus grande aventure téléphagique. La fiction française. A ces mots, le tonnerre gronde, éclairant mystiquement mon visage avant de tous nous replonger dans l’obscurité et le silence, comme dans un mauvais film d’horreur.
La fiction française. Des Julie Lescaut et des Joséphine, ange gardien un peu partout. C’est difficile d’être téléphage et de ne pas être lescaut intolerant. Il y a un minimum de bon goût, quand même, merde, on a sa dignité. Mais sans doute mon allergie à TFHein (seule chaîne supposée être allumée en présence de mon père) a-t-elle joué un rôle important dans ma conviction que les séries françaises étaient en général totalement merdiques.
J’y repensais récemment, après avoir testé plusieurs séries françaises ces dernières années, et en particulier ces derniers mois. Le Visiteur du Futur, Kaboul Kitchen, Hénaut Président, et quelques autres, ont été vues de bout en bout, par exemple, là où si souvent je n’avais pas eu la force, par le passé, d’aller au-delà du pilote (à l’instar de Maison Close ou Hard). Je ne dis pas que j’apprécie toutes les séries françaises que je regarde : il y a encore des Clash, des Workingirls. Mais enfin, j’y travaille, vous savez. J’essaye d’apprendre à ne plus me dire « c’est français, c’est forcément merdique ». J’ai encore ce réflexe, je n’ai pas encore fini mon aventure, mais en tous cas, je suis dessus, je planche sur la question. Je me soigne.
Je crois que je commence à peine à mettre de l’ordre dans ma tête de ce côté-là. A comprendre pourquoi je suis restée, pendant des années, fermée comme une huître à la simple mention de « série française ». Pourquoi j’ai toujours eu cette véhémence, ce rejet violent, lorsqu’il s’agissait de les regarder ou même juste d’en parler.
L’idée qui commence à germer dans mon esprit, et l’analyse est peut-être erronnée, je ne sais pas, mais c’est que je crois que c’est un problème purement identitaire. Je ne me reconnais pas dans une série française.
Maintenant, bon, vous allez me dire : « mais enfin lady, tu peux pas nous dire ça alors qu’encore récemment, tu clamais que ce n’était pas l’identification ton but dans la téléphagie« . Ah, je vois, oui, alors laissez-moi clarifier, je me suis peut-être mal exprimée. Je ne veux pas qu’une série parle de moi. Mais je veux qu’elle me parle, et pour cela, elle doit parler d’un monde que je reconnais. Et je ne reconnais pas le monde de la plupart des séries françaises. Il ne forme pas un monde cohérent, voilà.
Je regarde des séries japonaises et, malgré leurs différences de ton, de contexte, de sujet, de personnages, de déroulement, c’est toujours clairement d’une série japonaise qu’il s’agit, au sens où je peux me mettre devant mon écran et dire que, ok, d’accord, je peux imaginer être un spectateur japonais et prendre cette série comme si elle m’était destinée. Une série japonaise est faite avant tout pour les Japonais et ça se sent. Culturellement, elle a un sens. Pas parce qu’elle porte nécessairement un message spécifique, ni même parce qu’elle fait preuve de patriotisme, mais parce qu’elle renvoie à cette société des images qui lui parlent d’elle, qui se nourrissent de son identité, de ses codes, et qui en apportent de nouveaux.
En tous cas c’est l’impression que cela me renvoie. Je peux regarder une série de fantasy comme Yuusha Yoshihiko to Maou no Shiro (d’ailleurs, bientôt la saison 2), une série historique comme Nankyoku Tairiku, ou une comédie comme Seigi no Mikata, je ne peux jamais douter de ça. Jamais. Mais malgré tout, il en sort toujours quelque chose pour moi d’accessible, et d’universel. Et c’est vrai pour à peu près n’importe quel pays. Alors que je n’en ai pas visité beaucoup « en vrai », pourtant !
Pour avoir intégré si facilement un grand nombre de codes culturels américains à travers les séries US, nous connaissons de toute façon bien ce phénomène ; nous l’expérimentons quasiment au quotidien sans même jamais y réfléchir à deux fois.
Mais quand je pense aux séries françaises que je connais, celles que j’apprécie et celles que je déteste, celles qui m’indiffèrent et celles dont on parle, je ne comprends pas.
Je ne comprends pas ce que c’est que d’appartenir à la culture française quand je regarde une série française. Je ne me sens même pas spécialement française quand je les regarde. J’ai l’impression que ces séries ne parlent que d’elles-mêmes, que de leur sujet, mais qu’elles n’ont aucune résonance qui aille au-delà, qu’elles n’appartiennent à rien, qu’elles ne s’inscrivent dans rien. Les exemples les plus extrêmes, comme Julie Lescaut et Joséphine, ange gardien, renvoient, tout au plus, une image remâchée et utopique de la France, et encore, d’une certaine France. Comme un mauvais remake de notre propre identité. Et c’est peut-être aussi un peu (outre les qualités télévisuelles propres de ces « oeuvres ») la cause du problème.
Aseptisées, javellisées, ces séries ne disent rien de ce que nous sommes, mais murmurent simplement à notre oreille ce que nous voudrions être en tant que société, un endroit où il y a des fermes, des usines, des églises… Je ne connais pas du tout le pays imaginaire où se déroulent ces séries, pas plus que des séries transparents comme Clash. Je ne l’identifie à rien, je n’ai pas de repère.
Je ne cherche pas à généraliser, à dire que le problème de la fiction française c’est ci ou ça. Parler du problème de la fiction française me fatigue, on en entend parler depuis des années sans que rien ne semble jamais résolu.
Non, mon problème avec la fiction française est celui-là (enfin je crois) : la qualité, d’une part, parce qu’un épisode de Joséphine, ange gardien, c’est un peu de la téléphage en moi qui meurt. Et d’autre part, la question fondamentale que je me pose dorénavant : pourquoi suis-je capable de m’imaginer être assise sur un sofa à peu près n’importe où dans le monde, sauf en France ? Pourquoi tant de séries étrangères me semblent-elles universelles, quand je ne parviens pas à me sentir concernée par l’univers d’une série française ?
C’est ma piste de réflexion à l’heure actuelle, peut-être qu’en découvrant une façon de trouver ma place dans le monde de ces séries, je trouverai un moyen de les apprécier. Mais c’est un problème que je n’ai pas encore su résoudre et c’est peut-être une fausse piste, je n’en sais rien.
Avec le battage médiatique qui a eu lieu autour du retour d’Engrenages sur Canal+ (et à la faveur d’un achat impulsif de la première saison), j’ai décidé de tenter ma chance avec cette série dont on dit tant de bien. Et j’envisage ensuite de redonner sa chance au pilote d’Un village français (si cette série ne véhicule pas quelque chose à la fois de très français et d’universel, alors laquelle pourra ?). Ce sera mon premier revisionnage de série française.
On verra bien si ça prend.
Mais plus j’y pense, plus ça me chiffonne cette histoire. De tous les préjugés que j’avais, malgré tout, malgré absolument tout le reste, celui-ci demeure le plus difficile à totalement laisser de côté. Mais comment Diable se fait-il que j’aie tant de mal avec les séries françaises ?!
All habits die hard !
Je me retrouve beaucoup dans ton post. Pas exactement comme toi mais … Je suis encore bourrée de clichés lorsque l’on parle de série étrangères. Les séries US et UK pour ça il n’y a pas de problèmes. Maintenant, les séries suédoises et danoises peuvent trouver grâce à mes yeux mais en dehors de cela … (je mets à part les séries françaises, j’y reviendrais plus tard). Je te vois regarder des séries du monde entier et j’ai beau avoir une curiosité très grande, quand on vient aux séries, j’ai besoin de mon petit confort et je ne tente pas l’aventure. Je pense que je rate énormément de choses et c’est pour cela que je te suis dans l’aventure Srugim. J’espère transformer l’essai !
Par contre, je me fais assez facilement aux séries françaises. Enfin ..; je peux être très chauvine mais j’ai aussi du mal à défendre la fiction française mais je m’y essaye autant que toi et les séries asiastiques ou néo zélandaise. On aurait pu imaginer un échange de bon procédé mais je suis sûre que tu as déjà vu tout ce que je pourrais te conseiller et ce n’est pas au grand maître que je vais apprendre des choses !
Oh bah écoute tente toujours, toutes les idées sont bonnes à prendre et il y en a peut-être auxquelles je n’ai pas pensé. J’en ai tenté plusieurs de Canal+ (mais pas encore Pigalle, la nuit par exemple), mais je crains que Canal+ ne me « gâche », au sens où après, dur dur de regarder une série de TFHein XD
Tout pareil ou presque
Moi aussi j’ai (j’avais héhé) du mal avec les séries françaises… Le format, les intrigues, les (non-)jeux des acteurs, mais ça, c’était avant.
Depuis, j’ai découvert Hero Corps, presque par hasard, un soir vers 2 heures et j’ai adoré!
Woops
Hero Corp, pas Corps! Simon Astier me tuerait pour cette faute! Mais franchement, ça vaut vraiment le coup de regarder!
Attention cependant, les allez, trois premiers épisodes peuvent paraitre quelque peu indigestes, mais c’est très vite et largement compensé par le reste de la saison 1 et surtout la magistrale saison 2!
La saison 1 de « Engrenages » est toute pourrie. Il vaut mieux commencer directos par la deuxième saison qui est largement meilleure. (On ne loupe quasiment rien des relations entre les personnages en ne regardant pas la première saison, et on s’économise beaucoup de temps et de colère.)
Même chose pour « Un village français », la saison 2 est très au-dessus de la première (de manière assez inattendue, parce que ça partait de très bas avec un showrunner en carton). Par contre, je ne crois pas qu’on puisse commencer la saison 2 sans en passer par la saison 1.
Donc, voilà, bon courage.
Et sinon, oui, « Kaamelott » et « Hero Corp », ce sont des univers qui se tiennent, il faut juste passer la barrière de l’ultra-cheap (mais c’est assez facile).