Imaginez, bon, je sais pas, moi : disons, une blogueuse spécialisée dans les séries de la planète, mais qui ne parlerait pas souvent de la Russie. C’est un tort, mais ça arrive. Bien. Maintenant imaginez que, par une regrettable coïncidence, cette même blogueuse ne soit pas vraiment portée sur les séries historiques…
Naturellement, c’est là une éventualité totalement hypothétique ; mais elle expliquerait plutôt bien pourquoi jusque là, vous avez très peu entendu parler dans ces colonnes (ou les quelques autres où il m’est arrivé de sévir) de séries historiques russes. C’est un tort que je m’apprête aujourd’hui à corriger alors que je vous ai concocté, pour l’avant-dernier jour de notre semaine russe (eh oui, déjà), une petite rétrospective de fond sur les rapports étroits que la télévision russe (et à plus forte raison, la télévision soviétique) entretient avec les livres d’Histoire.
Il faut commencer par préciser qu’en Russie, plus que dans la plupart des pays, le cinéma et la télévision ont toujours été très proches. Au lieu d’être le parent pauvre de l’audiovisuel, la télévision a rapidement bénéficié de moyens similaires à ceux consacrés jusqu’alors au grand écran… parce qu’elle était publique et parce qu’elle dépendait donc d’un gouvernement qui avait besoin d’imposer la parole officielle sur un très large territoire (et si possible jusque dans chaque salon).
En fait, lorsque la télévision commence à se développer en Russie, les premières fictions télé ne sont pas des séries produites selon les spécificités de ce medium ; à la place, ce sont des films de plusieurs heures, découpés en plusieurs tranches. Ecrits d’un seul tenant, ces téléfilms un peu à part ne prennent pas en compte, comme aujourd’hui, les propriétés d’un visionnage en plusieurs fois (avec la structure d’un épisode), mais constituent une grande fresque coupée brutalement au bout d’1h30, et pour laquelle il faut revenir à la même heure un autre soir pour reprendre le fil. Si sur le plan de l’écriture, la télévision doit donc tout au cinéma, c’est aussi le cas pour les budgets et pour tout un contigent de professionnels du cinéma qui ont été encouragés à travailler pour le petit écran.
Or, le cinéma russe est lui-même proche de la littérature russe, principalement classique ; une littérature nationale qui, comme chacun sait, est très riche.
Les adaptations de grands romans sont nombreuses, souvent couronnées de succès, et il y a un savoir-faire en la matière qui s’est peaufiné depuis les balbutiements du cinéma russes ; à l’instar d’Anna Karenine, adaptée sur grand écran en Russie sous la forme de film muet en 1911 et 1914, puis de façon plus bavarde en 1935 et 1953. La télévision n’a à cette époque pas encore de fresque à proposer sur les petits écrans, mais les spectateurs russes sont déjà bien habitués à voir ces grands classiques (pas forcément à la portée du premier lecteur venu) adaptés par des scénaristes et incarnés par des acteurs. Qui plus est, alors qu’il est si difficile, dans l’après-Guerre, pour les auteurs, de passer le cap de la censure, se tourner vers les classiques littéraires approuvés de longue date par le Gouvernement soviétique est une solution plus simple.
Alors quand la télévision se met à produire de véritable séries, il n’est que naturel qu’une bonne part d’entre elles soient également tournées vers le passé, non seulement en raison de l’idéologie politique du moment (je vous en touche un mot plus bas dans ce post), mais aussi parce que c’est ce que les films ont toujours fait.
Depuis lors, les liens qu’entretient la télévision avec l’Histoire russe ne se sont jamais vraiment distendus, et vous allez voir que les plus grands tournants de la fiction russe ont bien souvent été marqués par des period dramas.
Alors évidemment, il y a d’une part les adaptations de romans, et elles sont nombreuses, même encore aujourd’hui. Mais les sérries historiques ne se cantonnent pas à des adaptations, et c’est aussi, voire surtout, de ces séries historiques-là que je vous propose de parler aujourd’hui.
Ce n’est, par exemple, pas vraiment une surprise si je vous dis que la toute première telenovela russe, Bednaia Nastya, est justement une série historique.
Là où copier purement et simplement les recettes des telenovelas sud-américaines modernes aurait pu suffire, la série est plutôt inspirée par le succès international de la telenovela brésilienne Escrava Isaura (première telenovela diffusée en Union Soviétique dans les années 70), au concept similaire : prendre un contexte historique propre à la romance, insérer une héroïne qui commence bien mal dans la vie, et lui faire rencontrer le prince charmant…
Située au 19e siècle, Bednaia Nastya est l’histoire d’une charmante créature, Anastasia, née de l’union pas franchement consacrée d’un Prince russe et d’une servante ; elle est confiée à la garde du Baron Korf, un ami de son père, qui l’élève en secret. Le fils de notre Baron, Vladimir, a donc grandi avec elle mais ne la voit pas vraiment d’un bon oeil dans la maisonnée. Arrivée à l’âge adulte (où évidemment elle est devenue une belle blonde d’une grande innocence ; c’est une telenovela), Nastya, c’est son surnom, va faire son entrée dans la haute société de Saint-Pétersbourg et découvrir les nombreuses turpitudes de la vie de l’élite, entre mensonges, trahisons, et même meurtre à l’occasion. Diffusée en 2004, la série s’impose vite comme un véritable phénomène ; elle est ensuite vendue dans de nombreux pays, dont la Chine.
Entre les costumes, les décors somptueux des intérieurs, les tournages extérieurs on location, et tout le reste, les 127 épisodes de Bednaia Nastya coûteront la bagatelle d’environ 11,8 millions de dollars, un record. Pas étonnant qu’en dépit du succès national comme international de la série, la chaîne STS ait hésité à investir dans une suite, bien que celle-ci avait été annoncée rapidement. Prématurément sans doute.
Pour la « petite histoire » (si vous me pardonnez ce jeu de mots), Bednaia Nastya sera également la première série produite par la société Amedia. Amedia, mais si, vous connaissez ! C’est la même boîte de production qui a ensuite produit les immenses séries à succès Maia Prekrasnaia Niania, ou Zakrytaia Shkola… et qui est également en partenariat avec HBO pour installer la chaîne en Russie.
Ce premier succès ouvrira la voie à plusieurs autres ; la seconde telenovela russe, Adioutanty Lioubvi, sera située dans un contexte similaire, dans laquelle un couple qui s’aime est séparé par une mère ambitieuse, qui marie sa fille à un Comte, tandis que l’homme qu’elle aime s’enrôle au service du tsar….
Des séries comme Bednaia Nastya renvoient une image idéalisée du passé, bien-sûr : on y verse plutôt dans la crinoline, et pas trop dans l’interrogation sociale sur ce que c’était que de vivre sous le règne des tsars, par exemple. Parfaites héritières d’Anna Karenine (qui est, ironiquement, l’un des rares grands romans russes à n’avoir pas été adapté pour la télévision dans son pays natal), de nombreuses séries russes romantiques s’inspirent des tourments sentimentaux, des intrigues des puissants, ou des drames humains.
La reconstitution est là pour sublimer ces histoires, les placer dans un contexte qui fait rêver, et qui en appelle à une certaine nostalgie. Mais ce n’est pas le seul type de séries historiques qui passionne la Russie.
Une conséquence de la passion de la télévision russe pour l’Histoire, c’est que la télévision (comme le cinéma, d’ailleurs) propose de très, très nombreuses séries de guerre ; et le phénomène n’est pas récent, loin de là. Il faut dire que l’Histoire russe regorge de batailles, de conquêtes et de guerres civiles propres à alimenter à l’envi ce courant, et que c’est en plus l’occasion de glisser un peu de patriotisme dans une série.
Krepost, dont nous avons déjà eu l’occasion de parler à l’occasion des TEFI 2011, remplit parfaitement tous les offices d’une série de guerre. La mini-série, qui est en fait une version re-montée et prolongée du film Brestkaia Krepost, s’attarde sur le siège de la forteresse de Brest, qui a duré une semaine en 1941. Krepost s’ouvre sur deux éléments narratifs plutôt classiques, mais efficaces : des images d’archives (qui reviendront ponctuellement au cours de la série), d’abord, et surtout, un survivant de la prise de la forteresse qui raconte à son petit-fils ce qu’il a vécu pendant la bataille, à l’occasion d’une visite du memorial aujourd’hui situé dans les murs de la forteresse (et accessoirement, la direction du musée a participé à la vérification de la véracité des faits historiques égrennés dans la série).
A la suite de cette introduction, le pilote nous propose le traditionnel avant/après : la vie au fort, lequel fonctionne comme une petite ville de garnison pour l’instant assez peu concernée par la guerre, et qui prospère dans l’insouciance ; puis, avec l’arrivée de l’armée allemande, la bataille elle-même. Si l’on ne trouve dans ces ingrédients que rien de très classique, en revanche il faut admettre que la réalisation est plus que solide, et efficace en diable. Brestkaia Krepost est un film ambitieux dont on sent qu’il a bénéficié d’un budget conséquent.
Même quand on sait comment ça finit, ce qui est le propre d’une fiction sur une bataille historique, impossible de ne pas se tordre d’inquiétude pour les personnages et notamment Sacha, jeune héros de Krepost. Loin de présenter les Russes en vainqueurs évidents (phénomène auquel on peut, par exemple, assister dans la très patriotique Band of Brothers, où en dépit des pertes et des souffrances il ne fait aucun doute dés le départ que la Easy Company est faite de héros), Krepost s’attache à d’abord penser à l’armée russe comme à des victimes innocentes, puis à des underdogs. C’est quelque chose que la série accomplit notamment grâce à sa figure centrale, Sacha, un cadet qui n’a même pas encore atteint l’âge d’avoir du poil au menton, et qui porte sur l’assaut de la forteresse un regard perdu et dévasté… mais qui va bien être obligé de participer à la bataille, et ainsi devenir un héros, bien que malgré lui.
La technique est éprouvée, et elle fonctionne, à plus forte raison parce qu’Alexandr Kott, le réalisateur, a l’oeil pour saisir aussi bien des images très tendres que les pires horreurs. C’est d’ailleurs un goût pour le drame qui est très russe, qui provient, là encore, de la littérature classique.
On dit que l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Mais on n’est même pas obligés de décrire une période où l’on est vraiment le vainqueur pour faire une série à la gloire de la nation… et quoi de mieux pour (ré)écrire l’Histoire que d’utiliser la fiction ? C’est après tout une méthode de propagande qui a fait depuis longtemps ses preuves. Par exemple, vous vous rappelez sans doute qu’on a déjà évoqué Vyzyvaem Ogon na Sebya, qui était à la fois la première série diffusée à la télévision soviétique, et un hymne à la gloire des actions de Résistance d’une jeune femme qui monte une cellule afin de saboter l’aviation de l’occupant allemand…
Le plus fort, c’est qu’il n’est pas non plus nécessaire, pour une série de guerre, de montrer à l’écran des images de bataille au front. Par exemple, la mini-série Kursanty s’intéresse à 5 cadets recrutés par une école d’artillerie en 1942, et suit leur préparation de trois mois avant de partir pour la bataille de Stalingrad… qu’on ne verra donc pas.
A la place, la série s’intéresse à la notion de « chair à canon » : ayant inconsciemment intégré le fait qu’ils ont de grandes chances de ne jamais revenir, nos héros vont donc vivre au maximum leurs derniers mois de liberté. A noter que des DVD de cette série sont apparemment sortis aux USA, sous le titre The Cadets, et avec sous-titres donc. Je vous tiens au courant dés que j’ai mis la main dessus, on en reparlera si le coeur vous en dit.
L’autre grande répercussion de la passion russe pour l’Histoire sur petit ou grand écran, c’est le nombre de biopics proposés chaque année aux spectateurs, et à plus forte raison, des biopics de personnalités politiques.
C’est sans doute ce qui pose le plus de questions, à l’heure où la parole officielle est encore très voire trop présente dans les médias russes.
On l’a dit, se tourner vers un passé lointain est une solution régulièrement adoptée par la télévision russe. On peut à titre d’exemple citer Piotr Perviy. Zavieschanie (ci-dessus), un biopic sur Pierre Ier, alias Pierre le Grand, diffusé par Rossiya 1 au printemps 2011. Comme son titre l’annonce (zaviet signifie « le testament »), la mini-série retrace les dernières années de son règne : sentant la fin proche, le tsar tente de construire sa légende, mais aussi de préparer sa succession. Délaissé par ses compagnons les plus fidèles qui commencent à préparer leur reconversion auprès du futur monarque, il ne trouve de loyauté qu’auprès d’une belle jeune femme qu’il n’aura pas le temps d’épouser avant sa mort, en 1725. La série a coûté plus de 2,7 millions de dollars… pour moins de 4h de programme !
Mais évidemment, les séries historiques russes peuvent aussi se prendre de passion pour une Histoire plus récente, et notamment le 20e siècle, qui a donné énormément de personnalités historiques d’importance, à plus forte raison quand on a un message politique à faire passer. Ainsi, Deviat Jiznei Nestora Makhno est l’adaptation d’une biographie de Nestor Makhno, une figure de l’insurrection ukrainienne, en 1918, par exemple ; d’une façon générale, un nombre important de séries s’intéresse aux deux Guerres mondiales, plus rarement à l’entre-deux guerres.
La Guerre Froide a également fourni autant sinon plus de sujets à la télévision russe, qu’à la télévision américaine, comme par exemple la série d’action KGB v Smokingie, une série d’espionnage de 2005 située dans les années 70, dans laquelle une employée du KGB est envoyée en mission, intervenant sur des opérations du Mossad ou de la CIA. La série dure pendant une saison de 16 épisodes sur la chaîne REN.
Car naturellement, inutile de s’attacher à prendre pour héros une personne ayant réellement existé : il suffit d’inventer une fiction dans laquelle le héros croisera de grandes figures de l’Histoire, ou assistera à des évènements importants. On peut par exemple (mais cette liste, vous le devinez, n’aura vraiment rien d’exhaustif) mentionner Ruskiy Perevod, une mini-série en 8 épisodes diffusée en 2007, dans laquelle un jeune étudiant en langues orientales devient un interprète pour le ministère de la Défense, et est envoyé au Yémen. Couvrant la période de 1984 à 1991, la série plonge son héros dans le Yémen marxiste alors en pleine tentative de réunification, avant de l’envoyer en Libye.
Et puis, pour finir, la série historique, c’est un fait universel, se mêle facilement à certains genres, et c’est quand même bien pratique… surtout quand ces genres sont le policier, le judiciaire, et assimilés ! Ainsi, Jizn i Prikliouchenia Mishki Yaponchika (photo ci-dessous), dont les 12 premiers épisodes ont été diffusés fin 2011, qui s’intéresse à une sorte de Robin des Bois sévissant à Odessa en 1917. Plus qu’un gangster, un gentleman, Mishka Yaponchik a vraiment existé, et faisait de ses braquages et cambriolages de véritables performances d’artiste, avec des scénarios complexes. Il a règné pendant 3 années sur Odessa avant que l’Armée rouge ne s’empare de la ville et qu’il ne devienne révolutionnaire.
On pourrait continuer longtemps à lancer des exemples, évidemment. Comme je le disais, l’Histoire russe est abondante, et tout aussi abondamment documentée par de nombreux romanciers, biographes et historiens.
Pour nous, spectateurs occidentaux qui avons grandi avec des fictions françaises, britanniques ou américaines, les différentes séries historiques russes revêtent d’ailleurs un intérêt supplémentaire : nous avons rarement eu l’opportunité d’adopter, même temporairement, le point de vue russe sur de nombreux évènements de l’Histoire, des campagnes de Napoléon à la Guerre Froide, en passant par la Seconde Guerre Mondiale.
Les rares occasions se sont généralement présentées à nous via des fictions occidentales, ou, plus rarement, des co-productions avec la Russie. En 2007, c’était le cas de War & Peace, adaptation de l’incontournable roman éponyme de Tolstoi, et résultant d’un partenariat franco-italo-allemand. Les 4 épisodes ont apparemment été diffusés sur France 2. Mais c’est plus l’exception que la règle, et les Russes sont, finalement, un de ces nombreux peuples dont nous connaissons mal l’Histoire.
Espérons qu’avec le temps (et peut-être un petit peu cet article ?), il sera plus facile d’accéder aux très nombreuses séries historiques produites chaque année par la Russie… j’espère en tous cas que cette balade vous aura plu.
On se retrouve demain pour la dernière journée de notre semaine russe, ne manquez cela sous aucun prétexte !
salut! comme je suis russe et j’adore les séries, ça me fait plaisir de lire ces articles) je voulais juste ajouter quelques titres) par exemple la série Apôtre ( Apostol) qui est vraiment passionnante et raconte les aventures de l’agent infiltre pendant la 2me guerre mondiale)La Liquidation ( likvidatsiya) qui occupe la 1ere place dans les sondages des sites spécialisés) et l’incontournable Brigada, la série criminelle mythique pour les Russes)
bien sur il y a aussi 17 moments of spring)
ce sont vraiment les premiers noms qui me viennent dans la tête)
bref, dommage qu’il n’y ait pas de sous-titres car souvent les meilleures séries sont
historiques)
Bienvenue sur ce blog ! Ce que tu dis me fait très plaisir et je suis ravie que quelqu’une Russe s’y retrouve ! Ma pire peur serait de tomber à côté du sujet.
J’ai beaucoup entendu parler de Semnadtsat Mgnoveniy Vesny/17 moments of spring, ça a l’air d’être effectivement un classique, mais comme c’est assez ancien, j’ose peu.
je suis d’accord que c’est assez vieux et je ne l’ai pas vu non plus en entier mais apparemment ils l’ont colorée et même change un peu le format des épisodes) en ce moment il y a la série sur Anna German, la chanteuse très connue qui a de bons échos mais c’est un mélodrame, le genre que j’aime pas trop)
Quant a la peur de tomber a cote de la plaque, je te comprends tout a fait) je n’habite plus en Russie, du coup mes choix sont parfois différents de ceux de mes compatriotes)