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24 août 2012 à 23:08

Nous avons passé une bonne partie de cette semaine russe, pour le moment, à aborder le lien que la fiction nationale entretient avec les séries occidentales. Pour changer un peu de disque et voir ce que la Russie peut aussi apporter d’original, j’ai suivi la recommandation de Livia, et ai testé le pilote de la mini-série Nebesniy Soud.

Diffusée en 2011, la série est un petit ovni dans une production télévisuelle souvent passionnée par le réalisme (on reviendra sur ce point avant la fin de la semaine), de par à la fois sa volonté de partit d’un contexte fantastique, mais aussi dans son choix de réalisation. Celui qu’on doit remercier pour ce souffle d’air frais, c’est Alena Zvantsova, qui est à la fois la scénariste et le réalisatrice de ces 4 épisodes totalement à part.
Mais d’abord, un mot sur elle avant de parler de ce pilote : après avoir commencé sa carrière à la fin des années 90 en tant que comédienne, obtenant un petit rôle dans le sitcom Klubnichka, elle s’est en effet prise de passion pour la télévision où progressivement elle s’est fait une place en tant que scénariste s’intéressant à tout. Ainsi, avant de créer Nebesniy Soud, elle avait créé de nombreuses séries, comme Molodoi Volkodav, une série d’heroic fantasy servant de prequel à un des films russes les plus coûteux de l’histoire,Volkodav iz Roda Serykh Psov ; Doktor Tirsa, une série médicale située dans le milieu de la médecine de haut niveau ; ou encore Krissa, une mini-série de 4 épisodes sortie l’année précédant Nebesniy Soud, un drame disséquant une relation adultère. Zvantsova est une touche-à-tout, donc, dont on pouvait absolument tout attendre.
Et tout, c’est très précisément ce qu’il nous offre avec Nebesniy Soud.

Le pilote de cette mini-série a tout simplement tout pour plaire (et en particulier, pour me plaire). D’abord, c’est une série sur la mort, et plus encore, sur la vie après la mort, ce qui est forcément fascinant. C’est aussi une série fantastique avec des éléments très oniriques, et c’est toujours un ingrédient plaisant. Pour finir, c’est un drama légal, et vous savez combien je suis férue de ce genre de choses.
Alors du coup, Nebesniy Soud est forcément atypique.

L’épisode commence pourtant de façon un peu étrange, alors qu’un homme accouche d’une douloureuse déclaration d’amour dont on a l’impression qu’elle lui arrache les tripes plutôt qu’elle ne le transporte ; cette déclaration s’assortit d’une demi-demande en mariage à une femme qui n’a elle-même pas l’air totalement convaincue qu’il s’agisse d’une bonne idée. Le comportement de la femme s’explique très vite : voilà deux ans qu’elle a apparemment perdu son mari, et elle n’est visiblement pas tout-à-fait remise. Cela explique, par ricochets, la torture de son soupirant, qui sent visiblement qu’il lui faudra beaucoup d’efforts pour la convaincre.
Ce n’est qu’en sortant de l’appartement de sa peut-être fiancée (si elle accepte ce soir au dîner la demande définitive et officielle) que notre homme… meurt brutalement en tombant dans une bouche d’égouts ouverte. Une mort ingrate, mais qui ne nous attriste pas.
Pourquoi ? Parce que même pendant sa déclaration, notre homme a trouvé le moyen de lancer des mimiques narquoises à la photo du défunt mari de la femme qu’il aime, et qu’en ce moment précis, il trouve autant d’énergie à narguer le portrait d’un mort, ne joue pas en sa faveur.

Nous ne le savons pas mais nous avons déjà commencé à participer au procès de cet homme, prénommé Nikita. Car en effet, une fois mort, comme tout un chacun, il va se diriger vers le tribunal céleste qui décidera de son sort : la zone de « repos » ou la zone de « réflexion ». Inutile de préciser qu’il s’agit là de doux euphémismes, mais c’est là que Nebesniy Soud fait fort : en introduisant immédiatement un vocabulaire propre, permettant d’installer son univers, mais aussi en s’affranchissant rapidement de la question religieuse pour s’élever vers un discours aussi universel que possible.
Nous sommes donc, tous, jugés après notre mort, et nous sommes tous, le temps de cette mini-série, placés dans le boxe du jury. A nous de décider, de regarder les faits, d’entendre les plaidoiries…
Nebesniy Soud a en effet d’excellentes plaidoiries, et c’est la marque des meilleurs legal dramas. Pour cela, elle nous propose deux personnages, le procureur Andrei, un homme maussade et meurtri, et, passez-moi l’expression, raide comme la Justice ; et l’avocat de la défense Beniamin, un bon vivant aimant les effets de manche et la dérision. Tous les deux ne pourraient pas être plus différents, et c’est peut-être la raison pour laquelle ils sont amis, de ce genre d’amitié qui vous fait apprécier les silences de l’autre mais qui vous permet de vous quereller gentillement quand l’un ou l’autre ouvre la bouche.
Le tandem fait des merveilles pour nous introduire au milieu judiciaire un peu particulier de la série, nous en dévoilant les coulisses. Ainsi, Andrei rendra visite au cours de l’épisode à Morpheia, qui règne sur l’inconscient des gens ; plus tard, c’est Beniamin qui s’offrira un petit voyage sur Terre dans un corps d’emprunt. Il faut aussi compter sur un autre personnage pour soulever les jupes de la Justice céleste et nous faire voir en-dessous, une greffière au grand cœur, chargée d’accueillir les nouveaux arrivants. Ce petit monde se connaît : on ne va jamais très loin dans les couloirs du Palais de Justice, on boit dans le même bar qui vend littéralement des illusions au goût amer, et on vit de connivence autour de dossiers pourtant parfois difficiles.

Et pour cause : il faut décider du sort des gens en se basant sur leurs actions, ce qui implique en général de partir de leur toute dernière action avant de mourir. On devine que c’est un moment souvent décisif…

Nebesniy Soud fait pourtant plus qu’utiliser la mort de Nikita comme prétexte pour nous dévoiler le fonctionnement du système judiciaire céleste. Une vraie dramatisation vient s’ajouter à son dossier : le procureur Andrei n’est autre que le défunt mari de la femme que Nikita voulait épouser. Le procès est donc loin d’être anecdotique, il a valeur de véritable tragédie grecque (enfin, russe…) alors qu’Andrei et Beniamin discutent du procès non seulement à titre professionnel que privé, qu’Andrei s’acharne sur le dossier de Nikita, ou encore que l’audience aboutit à une glaçante confrontation…
Sans aucun doute possible, la mini-série met en place de grands moments dramatiques puissants, dont le pilote (seul épisode traduit pour le moment, sauf erreur, et par, il faut le noter, une équipe francophone de subfactory) donne déjà de saisissants aperçus. Difficile de retenir une larme quand Andrei, accablé, voit le témoin de la défense entrer dans le tribunal, par exemple…

Originale, passionnante, émouvante, et intelligente, Nebesniy Soud n’est pas une série « mainstream » que le public russe dévore (et pour cause, pour le moment elle n’a été diffusée qu’en Ukraine), et a toutes les qualités de la série méconnue sur laquelle public téléphage est ravi de mettre la main, au risque d’en tirer des généralités sur la fiction russe. Mais qu’importe l’illusion de flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse…

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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