Paradise n’est pas un anagramme de Tardis

11 juillet 2012 à 20:03


En un mois de diffusion, j’ai découvert le premier truc qui me fait enrager chez Bunheads.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce qui me court sur le haricot, ce n’est pas le sort réservé à Hubbell, ce n’est pas la présence d’adolescentes, ce ne sont pas les scènes de danse (des points soulevés par plusieurs critiques à propos de la série d’ABC Family) ; il ne s’agit pas non plus des régulières séquences pendant lesquelles Fanny se livre à de grandes tirades d’aggressivité passive, parfois un peu longuettes, ni de l’énergie que la série dépense à essayer de nous montrer tous ses personnages comme un peu toqués, généralement juste pour le plaisir de dire qu’ils sont toqués. Certains de ces ingrédients peuvent taper sur les nerfs à d’autres, moi, ils m’amusent, même quand j’ai bien conscience qu’il se répètent un peu souvent.
On est quand même là pour ça !
Quant à la disparition de Talia ou la présence très, très sporadique de certains seconds rôles, je m’en accommode, même si je l’ai regrettée sur le moment.
Alors, vu que tout semble aller bien dans le meilleur des mondes, quel est le problème ?

C’est son rapport au temps.
C’est idiot, hein, mais ça m’agace.

Si vous le voulez bien, récapitulons.

 

Dans le pilote, Talia s’exclame, face à Michelle qui refuse d’aller boire avec elle : « Why ? It’s Tuesday, we always get drunk on Tuesday ». Charmant emploi du temps au passage.
On peut donc en conclure que la série commence un mardi soir. L’audition pour Chicago est donc le mercredi matin à 10h, le dîner avec Hubbell mercredi soir, le mariage dans la foulée quelque part pendant la nuit, et l’arrivée à Paradise au cours de la journée de jeudi. Fort bien. Jusque là tout va bien. Enfin, non, étant donné le cliffhanger, mais vous me comprenez.
En complément, Fanny rappelle que les Geoffray auditions auront lieu la semaine prochaine. Notez-le, c’est important.
L’épisode suivant reprend alors que Michelle et Fanny rentrent le soir-même, abattues, et que Michelle passe une nuit blanche à errer l’âme en peine. On obtient la confirmation que l’enchaînement est pour le moment cohérent, quand Michelle visite le surf bar : elle dit être arrivée la veille, ce à quoi Rico répond « Moved to a new town on a Thursday… ballsy ! ». On est donc toujours d’accord. Le spectacle de danse impromptu pour soutenir Fanny a donc lieu le vendredi soir. C’est là que le copain Jerry fait son annonce fracassante…
Le troisième épisode reprend donc alors que Fanny et Michelle sont assises face à Jerry, abasourdies par la nouvelle ; Jerry propose de réexpliquer le lendemain parce qu’elles sont encore sous l’effet du choc de sa révélation, ce qu’elles refusent. Ledit lendemain, Michelle rencontre d’ailleurs la mère de Ginny qui lui rappelle avoir été là, la veille, pendant la fête organisée dans la salle de danse : « We met last night, but I’m sure it’s a big blur for you ». Nous sommes donc bel et bien samedi.
Et là, patatras. L’épisode commence, il est vrai, et pour la première fois, sans faire de lien avec le précédent. Il n’existe aucune preuve qu’on est donc dimanche. Fanny est en train d’organiser la fameuse audition pour les stages d’été, mais ça ne veut pas dire grand’chose. A la suite de quoi Boo explique que « the Geoffrey auditions are in ONE. WEEK. » ce qui, si l’épisode se déroule dimanche, est encore plausible.
Mais quand vient le moment pour Michelle de se présenter aux deux patrons du magasin de bricolage, elle déclaire : « I’m new in town, I moved here about a month ago ». What the…?! D’où ça fait un mois ?

 

Instinctivement, j’aurais envie de mettre ça sur le compte d’une erreur de réécriture : on repasse sur le scénario pour la dixième fois, on corrige une phrase (surtout dans les copieux monologues de Michelle, débités au rythme que l’on sait), et, par réflexe, on calcule : 4 épisodes = 4 semaines, allez hop ça fait un mois. Il est de notoriété publique que plus on relit quelque chose, moins on y repère les erreurs, après tout.

Il n’empêche. Même en ayant conscience que dans tous les scénarios, les erreurs de continuité et les fautes d’inattention peuvent se produire, même en trouvant une explication rationnelle à cette déclaration, la gaffe me reste en travers de la gorge.

Tout simplement parce que nous sommes formatés, depuis des années, pour adhérer pleinement au concept 1 épisode = 1 semaine.
Dans la chronologie des évènements d’une série, c’est devenu implicite, puis simplement naturel. Parfois, un personnage l’exprime clairement (ça s’est encore produit dans Suits la semaine dernière ; d’ailleurs, petite parenthèse surprise et ulcérée : c’est moi ou c’était le pire épisode de toute la série, sur le plan du jeu des acteurs ?!), mais ça semble alors lourd et superflu tant la notion est intégrée par le spectateur.
Elle reflète, après tout, son propre rythme de vie.

Il faut donc qu’un scénario se donne énormément de mal pour instaurer une chronologie différente.
Généralement, les séries n’essayent pas de le faire sur le long terme, d’ailleurs, et réservent ça à des épisodes constituant un arc, ou à des périodes spéciales, genre les sweeps ou les épisodes doubles (voire triples ?) de fin de saison. Histoire de perturber le spectateur seulement à dessein, et ensuite on revient à un rythme plus normal.
Certaines séries décident tout simplement d’ignorer la question et ne fournissent aucun marqueur de temps : c’est plus simple à l’écriture (ça évite justement les bévues comme celles qu’on vient de relever), et ça évite d’encombrer le spectateur avec des détails inutiles qui ne jouent aucun rôle dans le développement de l’histoire ou des personnages. Et puis, à l’ère du procedural roi, vous imaginez bien que c’est contreproductif d’insister pour encadrer la chronologie des épisodes alors qu’ils fonctionnent en circuit fermé la majeure partie du temps.
Bunheads, tout justement, avait pris énormément de peine pour toujours reprendre quelques minutes, au pire quelques heures, après la fin de l’épisode précédent. L’idée était de souligner les réactions des deux héroïnes, Michelle et Fanny, aux évènements extrêmes qui leur tombaient sur le coin du nez, quelque chose qu’on ne rend pas de la même façon avec une ellipse obligatoire d’une semaine entre deux épisodes.

C’était à vrai dire perturbant, en fait, comme choix. Pas la mise en images finale, mais le choix lui-même. On n’en a pas/plus l’habitude.
Une série qui fait ça imprime un rythme anti-naturel à sa chronologie, au spectateur. Ce dernier doit faire l’effort de se dire que, si dans sa vie, il s’est déroulé une semaine, ah, oui, c’est vrai, dans ce nouvel épisode, quelques heures seulement ont passé. Pour une série fantastique ou avec une mythologie lourde, je ne doute pas que l’adaptation soit facile ; pour une série telle que Bunheads, le choix est curieux (même s’il s’explique par la volonté de dépeindre la situation avec minutie plutôt que de s’en servir comme d’un prétexte). Clairement, le public-cible de Bunheads n’est pas là pour se prendre la tête sur des questions de calendrier.
Et en ce qui me concerne, j’avoue que les débuts d’épisodes de Bunheads, s’ils étaient très clairs sur la chronologie des évènements, et mettaient les choses au point rapidement, avaient tendance à me raidir un tout petit peu, plus par réflexe conditionné qu’autre chose.

Alors voir qu’après tous ces efforts, soudain, le scénario me lâchait brutalement que, vlan, allez, mange ça, un mois s’est écoulé, sur le coup, ça m’a vraiment énervée.

Le problème est, de surcroît, que ce quatrième épisode, outre le fait qu’il n’explicite pas la transition clairement avec le précédent, marque aussi un tournant dans la série, au sens où il devient moins question de Hubbell, que de la façon dont Michelle et Fanny s’organisent à présent. L’atmosphère est bien différente, et d’ailleurs ça se sent au changement qui se déroule du côté de Truly aussi. C’est ce qui rend cette histoire de « ça fait un mois » tellement agaçante : oui, il pourrait aussi s’agir d’un mois. Un mois s’écoule quelque part entre le début du 4e épisode et le passage où Michelle se présente au magasin de bricolage.
Sans l’histoire de l’audition, ça serait tout-à-fait plausible, en fait.

Alors que Bunheads propose aussi de très bons moments de rire et/ou d’émotion, que ses dialogues me font toujours pétiller les pupilles, ou qu’elle nous révèle la très juste Julia Goldani-Telles, on pourrait se dire que ce n’est pas ça qui va me bloquer, si tant est que quelque chose doive me bloquer ; ce seraient plutôt ses quelques petites fragilités passagères qui devraient en être l’objet, et encore, vraiment dans le pire des cas. Surtout que j’étais tellement enthousiaste au sujet de la série !
Mais là vraiment, depuis hier soir que j’ai regardé l’épisode, je suis, je sais pas… je me sens comme un parent du PTC qui vient de voir un épisode de Jersey Shore, ou quelque chose dans le genre. Furibarde, vraiment.

Ca va me passer, je pense. Le contraire serait idiot. Mais que voulez-vous, c’est ça quand on tient un showrunner en très haute opinion ; du coup, plus dure est la chute, et plus sévère est le jugement à la moindre bévue.
Rapport ou coïncidence, je n’ai pas encore touché à The Newsroom. Vous aurez fait le lien…

par

, , , ,

Pin It

Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.