Il y a une douzaine d’années, j’étais encore une téléphage raciste, et ne jurais que par la télévision américaine. Je ne voulais entendre parler de rien d’autre, et je n’avais que mépris pour les séries venant des autres pays de la planète. Mais alors que Canal+ a commencé à diffuser des séries de science-fiction comme Starhunter et Invasion Planète Terre, j’ai commencé à considérer que le Canada avait un domaine d’expertise : la science-fiction. A cette époque marquant le tournant entre la fin des années 90 et le début des années 2000, c’était en effet dans la SF et le fantastique que l’on voyait le plus souvent apparaitre, tout au bout du générique de fin, un logo avec la fameuse feuille d’érable.
Depuis lors, je suis bien obligée de reconnaître que je n’ai pas toujours été tendre avec les séries de genre canadiennes, à l’instar de Lost Girl dont je ne vous ai jamais caché qu’elle m’insupportait. Mais j’ai quand même gardé cette sorte de foi dans la fiction canadienne à ce sujet. Sans compter que tant d’auteurs et d’acteurs canadiens travaillé sur des séries US de science-fiction ou fantastiques (qui elles-mêmes ont souvent choisi le territoire canadien comme attache géographique), que cela semble presque naturel de retrouver certains visages et de leur accorder ma confiance.
Inutile de vous dire que quand le pilote de Continuum a commencé sur le visage de Tony Amendola, on était déjà quasiment en terrain conquis. Et pourtant ce premier épisode a tellement plus à offrir qu’une foule de noms et de visages connus des amateurs de science-fiction (Amendola, Davis, Webster, Knudsen, Doig… j’ai aussi brièvement cru reconnaître Janet Kidder), tant son univers se pose immédiatement comme incroyablement cohérent, et palpitant.
Dans un genre qu’ils semblent avoir fait leur, les Canadiens ont trouvé le moyen de doser dans cet épisode inaugural l’action (un ingrédient fondamental de leur petite recette secrète) et la réflexion avec un bon sens de l’équilibre.
Parmi les éléments qui m’ont le plus enthousiasmée, le monde de Kiera en 2077, qui occupe un bon tiers de l’épisode de l’épisode, est captivant. J’étais d’ailleurs soulagée, à la fin du pilote, d’assister à un « flashback » s’y déroulant : c’est la promesse que cet univers ne sera pas tout-à-fait abandonné (ce qui était mon plus gros regret à propos de Terra Nova, en-dehors bien-sûr du fait que je regardais Terra Nova) et sera exploité, vraisemblablement à des fins mythologiques.
Mais ce qui est certainement la plus grande réussite de Continuum, c’est d’avoir imposé, en dépit d’un épisode rythmé, rempli d’action et de choses à mémoriser pour pénétrer son univers dense, un personnage féminin central complexe, et suffisamment émouvant. Loin de n’être qu’un prétexte à l’intrigue, comme certaines séries ont un peu tendance à le faire, Kiera est immédiatement un personnage dont le background et les sentiments jouent une grande part dans l’émotion de l’épisode. En dépit de son grand sens de la Justice et du devoir, elle n’est pas froide et n’a rien d’une machine (c’est important pour le personnage principal d’une série qui n’aurait pas existé sans la franchise Terminator…), ses sentiments vis-à-vis notamment de son fils ne paraissent pas plaqués, et il se dégage quelque chose de très, très bouleversant de sa première conversation avec Alec, lorsqu’elle découvre où elle est tombée et quelles sont ses chances de se tirer de là vite fait.
Alec est d’ailleurs un poème à lui seul. Outre sa charmante petite cachette dans la grange, il est prometteur à bien des égards, notemment un que la fin du pilote se charge de nous dévoiler avec beaucoup d’intelligence (nous poussant d’ailleurs à pousser un « ah » de soulagement, puisqu’en voyant cette scène on en comprend mieux une autre). J’ai également apprécié qu’il semble, a priori, géographiquement très éloigné, ce qui nous garantit une relation purement virtuelle pendant un bon moment entre ce deux-là. De surcroît, au lieu d’être l’habituel geek qui a raté sa vie, Alec a tout l’air de vivre dans une famille plutôt saine et qui l’encourage, et à ce titre on peut dire que c’est une véritable première dans la façon de faire le portrait d’un geek de télévision.
Les possibilités technologiques offertes par les attributions de Kiera (la combinaison, contrairement aux apparences, n’en étant pas la plus précieuse ; l’histoire des souvenirs téléchargeables me semble bien plus intéressante, notamment parce qu’il y a une scène qui mérite quelques explications dans ce que regarde Alec dans cet épisode) ouvrent la voie, également, à des axes intéressants, non seulement dans la façon de résoudre les « affaires policières », mais aussi pour explorer le personnage et son background.
Pour le moment, la seule chose qui semble un peu brouillonne tient dans les motivations de Liber8. De ce côté-là, j’avoue que c’est internet qui a permis d’améliorer ma compréhension des tenants et des aboutissants de cette partie de l’intrigue, tant leur portrait m’a semblé un peu caricatural. Evidemment, lorsque les deux tours se sont effondrées au tout début du pilote, il semblait clair que l’analogie terroriste allait entrainer, certainement, quelques dommages collatéraux. Mais peut-être qu’il nous manque un personnage faisant partie (ou infiltré) dans cette organisation pour mieux lui donner du relief. Avec un peu de bol, on reverra peut-être Tony Amendola.
L’avantage c’est que même si, dans le pire des cas, on a droit à un épisode centré sur chaque criminel, la saison comptant 10 épisodes et les criminels n’étant qu’au nombre de 7, cela nous laisse de l’espoir pour éviter une trop forte proceduralisation. On devrait donc pouvoir affiner la question.
Cependant, ce qui est le plus important pour une série de science-fiction, c’est probablement… tout le reste. Ce que la série a à dire ; de la même façon que Caprica voulait parler d’éthique ou que Falling Skies a refusé de parler de la condition humaine. Et de ce côté-là, j’avoue qu’il y a pas mal d’espoir, plus en tous cas que je n’aurais pu l’imaginer avant de lancer le pilote. La question du rachat des gouvernements par de grandes corporations, qui est à l’origine de l’univers dans lequel vit Kiera, part notamment d’un constat à la fois social, politique et économique intéressant par les temps qui courent.
Si cela est développé, Continuum a des chances de devenir plus qu’une bonne série de SF : une GRANDE série de SF.
Et nous savons tous combien ces choses-là sont devenues rares de nos jours.
Je viens de sortir de la projection de Prometheus, donc oui Continuum je prends !!!