Demain seront annoncés les résultats des Gullruten 2012, l’une des cérémonies télévisuelles étrangères que je surveille pour deux raisons : d’abord parce que je le peux (et ça fait une sacrée différence), et ensuite parce que la Norvège est certainement le pays dont les fictions sont les moins médiatisées en cette période de « vague scandinave » où le Danemark et la Suède monopolisent l’essentiel des gros titres.
Sans compter que depuis Koselig Med Peis, j’ai pour ce pays une tendresse toute particulière et ces choses-là ne s’expliquent pas.
Au moment des nominations aux Gullruten, souvenez-vous, une série avait en particulier attiré mon attention. Et parce que je devais avoir un bon karma, je sais pas, cette même série, Buzz Aldrin, hvor ble du av i alt mylderet ?, est sortie en DVD avec des sous-titres anglais. M’était donc ouvert un boulevard pour découvrir cette mini-série en 4 épisodes, et du coup, eh bah c’est très exactement ce que j’ai fait.
Voici donc mon post sur la mini-série Buzz Aldrin, hvor ble du av i alt mylderet ?, une série vraiment pas comme les autres que, par égards pour mes tags et mon accent norvégien pitoyable, je vais simplement nommer Buzz Aldrin à partir de maintenant.
Notre héros s’appelle Mattias, et il est né le 20 juillet 1969 : le jour où le premier homme a marché sur la Lune. Et le second, aussi ; c’est lui que Mattias va admirer en grandissant. Buzz Aldrin était deuxième, et cela lui convenait très bien. Comme lui, Mattias n’aspire pas à être le meilleur dans quelque domaine que ce soit.
Mettre en place pareil personnage relevait l’air de rien de la gageure : avec juste un peu moins de subtilité que n’en a Buzz Aldrin, Mattias aurait eu vite fait de passer pour un loser. Mais la mini-série a de la nuance à revendre, et Mattias se montre immédiatement comme un personnage complexe. Il n’est ni un pauvre type, ni un mou, ni même un gars perdu : il aspire simplement à une vie simple et anonyme. Le problème c’est que les choses ne vont pas se dérouler selon ses humbles plans.
Le pilote est ainsi consacré à la fois à l’exposition nécessaire de ce personnage complexe et de sa fascination pour Buzz Aldrin, mais aussi à divers signes avant-coureurs qui indiquent que le ciel va bientôt lui tomber sur la tête.
Buzz Aldrin a l’originalité, d’ailleurs, de ne pas dérouler au présent : outre le générique, qui nous permet d’assister à la naissance de Mattias en 1969 (très réussi, d’ailleurs), plusieurs scènes nous permettent de retourner dans l’adolescence de Mattias, dans les années 80, quand il rencontre sa petite amie, tandis que sa vie à l’âge adulte se déroule au moment de la guerre du Kosovo, et donc aux alentours de 1999. Du coup on a vraiment une impression constante de décalage, même quand aucun effort particulier n’est fait pour nous rappeler la distance qui nous sépare du « présent » de Mattias. C’est tellement agréable, d’ailleurs, que si peu d’efforts soient déployés pour nous remettre dans le contexte tout en préservant la distance temporelle ! Cela confère vraiment une aura particulière à la série, très intimiste et authentique.
Le premier épisode mélange donc tous ces éléments avec brio, avant d’opérer un grand virage dans la vie de Mattias, lorsqu’effectivement tout bascule et qu’il perd, en l’espace de quelques heures, sa petite amie et son boulot.
Une ultime originalité de ce pilote est qu’il fonctionne en circuit fermé : la séquence qui l’ouvre est également la séquence qui le ferme. Ce flashforward d’entrée, qui aurait pu être un atroce poncif, fait partie de ces quelques fois où ça fonctionne dans un pilote, sans doute parce qu’il n’est pas employé pour nous indiquer comment va finir la mini-série, mais au contraire comment son histoire va vraiment démarrer… J’essaye de ne pas trop vous en dire afin de n’en pas gâcher l’effet, fort réussi.
Car la vie de Mattias dans son patelin natal, avec ses parents aimants, sa copine qui s’est barrée (parce qu’elle attendait plus de lui) et sa boîte qui a déposé le bilan, ce n’est pas l’objet de la série. Buzz Aldrin veut nous emmener dans les îles Færoe où Mattias va arriver un peu par hasard, complètement paumé et salement abîmé. C’est là qu’il va être recueilli par Havstein, un psychiatre du nom de qui gère l’Usine, une sorte de refuge pour ceux qui sortent du circuit psychiatrique et tentent de reprendre progressivement une vie normale. L’Usine a trois pensionnaires : la mystérieuse Ennen (pour NN, « no name »), Palli qui ne vit que pour le golf qui lui permet de tenir ses angoisses à distance, et Anna, terrifiée par des apparitions qu’elle tient à distance en tricotant des pulls.
Les pensionnaires de l’Usine ne sont pas aussi caricaturaux qu’il parait. D’ailleurs, comme pour permettre au spectateur de gommer au maximum leurs éventuelles bizarreries, Mattias réagira très peu à leurs spécificités. Il faut dire qu’il devient vite un pensionnaire parmi les autres, acceptant sans protester que Havstein contacte ses proches pour les prévenir qu’il s’installe pour quelques temps à l’Usine, et se laissant traiter comme un patient.
La reconstruction de Mattias n’est, en réalité, pas la seule motivation de notre psychiatre : les cordons de la bourse sont serrés, et la mairie menace, d’abord à mots couverts puis très explicitement, de fermer l’Usine, devenue inutile. Mais si le nombre de pensionnaires augmente, sa nécessité est prouvée et son existence prolongée…
Mais grâce à l’Usine et au décor incroyable des îles Færoe, à la fois austère et luxuriant, entre roche et verdure, Mattias va petit à petit se reprendre en main. On sent qu’il est bien, ici, et à vrai dire on ne saurait le lui reprocher tant le coin ressemble à un paradis terrestre (du moins si vous êtes comme moi, et que vous estimez que les températures au paradis terrestre ne devraient jamais excéder 12°C).
Il est vraiment là, le propos des deux épisodes qui suivent le pilote : dans la façon dont Mattias va trouver la paix après l’épreuve qu’il vient d’affronter. Et c’est ce qui rend le visionnage de Buzz Aldrin si agréable : ce n’est pas qu’il ne se passe rien, mais ce qui se passe est d’un calme et d’une sérénité incroyables. A travers la formidable exploration de son personnage central, une faculté incroyable à capture la beauté rude de l’endroit dans des prises de vue magnifiques mais jamais stériles, et un sens du rythme parfait permettant à la fois qu’il ne se passe pas « rien » mais que rien ne soit jamais précipité non plus, la série offre une aventure humaine dépaysante au possible, du genre de celle que les amateurs de fiction japonaise ou britannique connaissent bien : on y explore une multitude de sentiments sans jamais brusquer les personnages ou précipiter les intrigues avec des évènements ou des retournements de situation artificiels.
Peut-être un peu trop enclin à se fondre dans le décor (après tout, comme Buzz Aldrin, il n’aspire pas à être mis en avant), Mattias va donc vite se faire une place dans sa petite communauté, trouver du travail grâce à Havstein, et se détendre, de la même façon que le spectateur apprécie la balade humaine. Mais à la fin de l’épisode 3, à nouveau, les choses changent, poussant Mattias à se réveiller de sa tendre routine, et quitter les îles Færoe où il avait pourtant trouvé la sérénité…
…Problème : le fabuleux monde d’internet ne fournit que les 3 premiers épisodes de Buzz Aldrin avec des sous-titres anglais. Imaginez ma frustration ! Donc j’ai commandé le DVD, du coup. Vous feriez pareil dans mon cas. D’ailleurs, il est encore temps.
On se retrouve donc pour un bilan complet quand j’aurai reçu mon DVD de Buzz Aldrin, hvor ble du av i alt mylderet ? !