Identité, s’il-vous-plaît

19 avril 2012 à 18:13

Il ne vous aura pas échappé qu’arte est en train de devenir LA chaîne des téléphages curieux. Ce qui la rend encore plus riche à mes yeux, c’est que même si les séries scandinaves sont en train de connaître un buzz certain (et la diffusion de Borgen l’a bien montré), et qu’elle en a bien profité ces derniers mois, la chaîne ne se contente pas de suivre la « mode » de la fiction scandinave. Elle continue de piocher des séries de qualité un peu partout dans le monde.
Outre la diffusion de la mini-série britannique The Promise, qui commence demain (et que je n’ai pas vue mais dont j’ai entendu grand bien… et grand mal, d’ailleurs, la série ayant été qualifiée de propagande anti-Israël dans plusieurs de mes lectures), arte s’est ainsi décidée à diffuser la première saison d’une série australienne, East West 101.

« You’re either an Arab or a cop ».
C’est la problématique centrale que pose East West 101, alors que le pilote que vous allez découvrir dans un peu plus de deux heures (parce que vous allez me faire le plaisir de ne pas louper ça, hein, évidemment) va s’ouvrir sur un plan assez parlant d’un jeune garçon arabe écrivant consciencieusement le mot « identité » sur un cahier d’écolier.

La série repose énormément sur son personnage central, Zane Malik, un flic qui est entré dans la police pour toutes les raisons classiques que vous imaginez, à savoir un traumatisme et un désir de vengeance, et quelques unes que vous n’imaginiez pas : il pense mettre son double-héritage culturel au service de son métier. Le problème c’est que, derrière le colosse au regard sombre, se cache en réalité un idéaliste qui n’a pas compris que dans le monde actuel, à plus forte raison après le 11 Septembre (intéressant d’ailleurs d’aborder les problématiques typiquement post-11 Septembre dans une série qui n’est pas américaine), ce qu’il voit comme un avantage est perçu par nombre de ses contemporains, à commencer par son supérieur, comme un gros désavantage. Voire une menace.

Zane est capable de parler arabe et de s’attirer le témoignage ou l’aide de témoins et de familles ? D’accord, mais cela ne compense pas, jamais vraiment, la méfiance qui subsiste à son égard, comme s’il était un sous-flic simplement parce qu’il est arabe. Dans un pays multiculturel comme l’Australie dont, à l’instar des Etats-Unis, la genèse repose sur l’immigration, le propos est d’une cruelle lucidité sur l’ambiance de peur et de repli qui domine de nombreuses nations du monde.
A travers les personnages que rencontre Malik, c’est aussi un portrait en creux de l’Australie qui se dessine : ses lois sur l’immigration, mais aussi le quotidien des immigrés dans la société australienne. Le pays d’accueil vu par ceux qui tentent d’y trouver une place : c’est ce qui se dit en filigrane, et ça ne fera pas plaisir à entendre. Mais il faut l’entendre. Et le propos n’a rien d’exotique vu de chez nous : East West 101 pourrait aussi bien se passer dans un autre pays occidental tant ce qui y est décrit n’a rien d’original. Hélas.

Ainsi on verra (brièvement) dans le pilote de ce soir des scènes de violence qu’on a déjà vues cent fois dans les journaux et magazines d’information, qui vous évoqueront sans doute les émeutes de 2005 par exemple. Cette non-originalité, le fait de créer pour la fiction des images vues et revues dans les médias lorsqu’elles se sont véritablement produites, pourrait sembler être un défaut, mais est au contraire nécessaire pour les besoins de la démonstration. Après tout, la fiction est supposée aussi avoir le don de prendre du recul… et de nous en faire prendre par la même occasion. A mon avis, on a bien besoin de regarder une série comme celle-là quand les débats sur l’immigration ont été si récurrents dans les récents débats électoraux, notamment.

Et tant que j’en suis à parler réalisation, au niveau du rythme, autant Kommissarie Winter vous offrait jusqu’à la semaine dernière une pause contemplative et poétique du jeudi soir, autant là, attendez-vous à une réalisation plus nerveuse et quelques scènes stimulant votre adrénaline.
East West 101 nous parle de la réalité, un monde où on ne sait jamais trop comment une intervention va finir parce que les esprits sont aussi chaotiques que les situations… et cela se ressent à travers des séquences électriques et étouffantes. Entre Erik Winter et Zane Malik, il y a un monde, au propre comme au figuré.

Donc voilà : East West 101, ce soir sur arte. Ne loupez pas ça. On y parle énormément de nous tous.

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1 commentaire

  1. Livia dit :

    J’étais partie pour ne regarder que le pilote, et puis finalement j’ai facilement regardé sur 2/3 jours la première saison. Comme pour toi, la thématique centrale liée au multiculturalisme et à la question de l’immigration a sonné très actuelle à mes oreilles, concernant plus que jamais nos sociétés. On a déjà vu traiter ces thèmes, on a vu ces images du pilote, mais les revoir ainsi exposer dans une fiction, avec une maîtrise narrative et une force dramatique indéniables, cela interpelle. C’est à la fois très politique, mais dans le même temps, la série conserve une retenue, une subtilité dans l’exposé de ces grands thèmes.

    Personnellement, j’ai beaucoup aimé. C’est une série policière « chronique » solide, mais surtout, j’ai eu l’impression d’y trouver quelque chose de plus qu’un énième cop show, un reflet de société et de ces questionnements.

    Sinon, je me permets de rebondir sur The Promise et ton introduction. Je n’ai pas de connaissances historiques suffisantes pour la juger, même d’après tout ce que j’ai lu et la polémique de l’an dernier, en effet, il y a d’importants raccourcis (sans forcément être anti-Israélienne). Kosminsky n’est pas neutre, et a un parti pris, oui. Après, je dirais qu’elle a le mérite d’aborder de front un sujet difficile et d’éventuellement susciter la curiosité et l’envie de connaissances ; et sur bien des aspects, elle reste pédagogique et pose des questions/des problématiques qui méritent d’être posées. Le côté inextricable de la situation ; l’extrême complexité… Son intérêt, c’est non seulement sa relative solidité en tant qu’oeuvre de fiction, mais aussi le fait qu’elle puisse légitimement servir de catalyseur pour que des personnes qui justement connaissent peu ces évènements s’y intéressent et fassent la démarche active de s’informer suite au visionnage.
    Personnellement, elle reste ma mini-série préférée de 2011. Pas forcément la plus réussie sur le fond, mais c’est celle qui a su le plus me marquer, m’interpeller, m’amener à réfléchir…

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