Génération à poil

10 avril 2012 à 18:39

« I don’t think you understand how big of a mess we’re in. My disability checks are barely covering our bills, much less all of this. What did we think when we remodeled this kitchen ?
– Things were really good then ! And they’re gonna get good again, I’ve got some really promising leads.
– Riley, you don’t get it.
– Oh I get it, it’s all we talk about anymore ! I just wanted one day of fun for our family.
– And what ? You want me to just fake it ?! I’ve had zero luck finding a job, and I got you out there, running around, jacking up our credit cards with another shopping spree !
– Now that is not fair. I got that jacket 70% off, I had to trumple it all over town, and would you please settle down ? Kyle, it’s your birthday…
– I can’t. Allright, I tried, I can’t. The bank called again about our mortgage. This is not exactly where I expected to be at 33. »
(Kyle et Riley Parks, The Client List – 1×01 : The Rub of Sugarland)

Ce dialogue ouvre (ou quasiment) le pilote de The Client List. C’est une longue conversation amère d’un couple étouffé par les contrainte financières. En filigrane, on sent la crise, on sent la question du chômage, on sent le problème du pouvoir d’achat, on devine la peur de la privation.
Elle m’a interpelée, peut-être même irai-je jusqu’à dire qu’elle m’a choquée, parce qu’elle est incroyablement longue, détaillée, et qu’elle a cette façon d’en rajouter alors qu’on a très bien compris à chaque intervention de Kyle que la situation financière n’était pas au beau fixe. On peut y voir l’absence de subtilité du scénario. Je n’ai pas eu l’impression que c’était la seule raison. D’ailleurs par la suite le scénario sera encore moins subtil et modifiera les raisons de l’agonie financière de Riley ; en réalité ce passage est un choix et pas une obligation pour prouver que l’héroïne est dans la panade. Mais ceci n’est pas un post sur le pilote de The Client List ; plutôt sur les questions qu’il soulève, même si c’est en partie involontaire.

TheClientList-Apoil

Lifetime nous a offert par le passé des séries comme Beach Girls, Drop Dead Diva, Rita Rocks, ou la mini-série Maneater (que, sérieusement, j’ai été infichue de trouver à ce jour, et croyez-moi ça m’agace, mais qui avait l’air quand même bien plus légère). Sans aller jusqu’à dire que le constat social en était totalement absent, ne serait-ce parce que des séries comme Strong Medicine ou The Protector, de par leur genre (respectivement médical et policier), finissaient toujours au moins par effleurer quelque chose. Mais le fait est qu’on n’avait pas cette impression de désespoir dans les séries précédentes de la chaîne.
Pour moi, Lifetime était un peu le dernier bastion de l’angélisme à la télévision américaine. Les téléfilms de Lifetime, que je regardais pas mal à une époque, commençaient presque toujours dans une famille heureuse, équilibrée, sans gros trouble financier ; c’est seulement après que quelqu’un découvrait qu’il avait le cancer, qu’une jeune fille était frappée d’anorexie ou qu’un voisin commençait à être trop pressant. L’héroïne (puisque dans 99% les téléfilms de Lifetime ont une héroïne, naturellement) allait traverser le pire, parfois avec sa famille, parfois sans (bah oui, si les petits ont été kidnappés !), mais on partait d’une situation positive, et on visait le happy end.

Plus largement, depuis de nombreuses années maintenant, des séries comme Weeds, Hung, ou Lights Out ont pris l’initiative de parler de personnages qui vivent un revers personnel qui leur amène des déboires financiers. On était encore à un stade où on pouvait se dire : « ok, c’est pas très marrant, mais ptet que si ces gens ne s’accrochaient pas à leur ancien niveau de vie, ils pourraient voir un peu plus vite le bout du tunnel ». D’ailleurs je vous ai dit tout le bien que je pensais de la façon dont ces séries traitaient le problème.
Là j’ai comme le sentiment qu’on vient de passer une étape de plus dans la morosité ambiante : l’économie est pourrie et les temps sont durs. Pas de perspective, pas d’espoir ; que la galère, encore et toujours. Nous n’avons rien de rien, disent ces personnages, et surtout Kyle. Trente ans, et complètement à poil.

Je ne pensais pas dire ça d’une série de Lifetime, mais cela reflète énormément ce que je peux lire dans la presse quant à ma génération (eh oui, les Parks, héros de The Client List, ont mon âge… enfin, dans le scénario) ou ce que je peux entendre autour de moi.
Génération foutue.

Mais il y a eu d’autres générations qui ont connu la crise avant, et quelques unes avaient la télé. Sauf que leurs séries ne semblaient pas vouloir dire ce désarroi de la même façon ; voulaient-elles vraiment le dire d’ailleurs, je n’en suis pas systématiquement convaincue. J’en ai regardé quelques unes qui commençaient à dater, comme The White Shadow par exemple, qui date de la fin des années 70, et même si on y parle de problèmes sociaux, il y reste de l’espoir ; le constat n’est pas idéal, mais on n’en ressort pas avec l’impression que c’est foutu. Personne ne tient un tel discours. Une décennie plus tard, quand Roseanne parle des petits de ce monde qui ont du mal à joindre les deux bouts, elle en rit, par exemple ; elle ne fait pas qu’en rire, mais elle tourne les choses avec humour tout de même ; pour autant personne dans Roseanne ne pense sincèrement que les choses vont devenir extra, le sens des réalité persiste, et hormi la dernière saison surréaliste, la plus grosse réussite des Conner sera de parvenir à ouvrir leur propre sandwicherie, preuve qu’on ne parle pas non plus d’un happy ending de type 7 à la Maison. C’est réaliste sous un certain angle, mais le recul de la fiction est présent, offrant une porte de sortie, une soupape de sécurité. C’est ce qui faisait l’intelligence aiguë des premières saisons de la série, d’ailleurs.
Ce sont là les exemples les plus parlants qui me viennent à l’esprit, mais beaucoup d’autres séries ont parlé de problèmes d’argent et/ou de pauvreté, par le passé, y compris énormément de comédies. Les choses n’avaient pas l’air désespérées. Voire même : foutues. Les générations précédentes semblaient moins fermées à l’idée de conserver un petit peu d’optimisme dans leurs séries, même si ça ne leur évitait pas toujours d’aborder certains problèmes.

J’entends bien que le principe de The Client List est justement de montrer une femme tellement aux abois que, Enfer et damnation, il n’y a rien d’autre à faire, elle va devoir progressivement se prostituer. L’idée est donc évidemment de bien montrer qu’elle n’a pas d’autre choix, que la situation est trop catastrophique pour emprunter les solutions « ordinaires », ou même simplement pour faire preuve de patience dans l’espoir que les choses s’arrangent.
Mais cette conversation avait un ton amer et j’ai trouvé qu’elle donnait un ton bien différent à cette fiction, même si par ailleurs celle-ci ne brillait pas par son originalité. Ou la qualité de son interprétation. Ou bien d’autres choses encore (quelle chance, Riley n’a besoin de pousser les attouchements plus loin qu’avec des gravures de mode…). The Client List aurait pu être l’une de ces fictions, et il y en a eu plein je le disais, qui commencent quand tout va bien et qui nous promettent un happy end, le reste n’étant qu’une façon d’éprouver l’héroïne pour nous divertir ; je n’ai pas vu le téléfilm qui a donné naissance à la série, mais peut-être que c’est de là qu’elle tient son côté désœuvré, ou peut-être qu’au contraire ce téléfilm employait-il une formule plus classique. En tous cas, cette série-là a fait le choix du pessimisme pur et dur.

Un pessimisme qui est devenu la règle… C’est moi qui ai le moral dans les chaussettes, ou bien de plus en plus de séries de nos jours, sous couvert de « réalisme », ont décidé de ne plus voir les choses qu’en noir ? Notre génération semble tellement foutue que regarder des séries nous lister des problèmes financiers par le détail passerait presque pour la norme.
Vous savez ce qu’elles disent de nous, ces séries ? Qu’on n’y croit plus.

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