La presse française vous l’aura sans doute dit bien avant moi, mais notre gloire nationale cinématographique du moment, Les Intouchables (car The Artist est complètement has been maintenant que les Américains l’ont récompensé…), connait un succès fulgurant en Europe (entre autres : il fonctionne aussi très bien en Corée du Sud). Cavalant en tête du box-office en Espagne, en Italie ou encore en Allemagne, le film continue de faire des recettes pas dégueulasses sur les écrans étrangers, à l’heure où le coffret DVD est en train de sortir chez nous. Comme on n’est pas sur un blog dédié au cinéma, ici (j’ai une réputation à tenir quand même), je vous invite tout simplement à aller lire les résultats des box-offices étrangers que reprend Variety sur sa page internationale. C’est d’ailleurs une petite gymnastique sympathique à faire de façon générale, une fois de temps en temps.
Vous y découvrirez ainsi que rien que sur le sol allemand, Les Intouchables a récolté l’équivalent de 65 millions de dollars de recettes…
Le 15 mars dernier, les Allemands ont pu aller découvrir au cinéma Türkisch für Anfänger, autrement dit « le Turc pour les débutants ». Son succès est tel que ce film a réussi à faire descendre Les Intouchables à la troisième place du box-office allemand, et à prendre sa place en seconde position (dans la liste du box-office de Variety pour l’Allemagne, le film apparait sous l’appellation « No English Title Available » parce que Variety fait partie de ces endroits détestables où on traduit systématiquement les titres de fictions ; ça m’énerve au plus haut point, mais ce sera le combat d’un autre post). Jolie performance, donc.
Pourquoi je vous parle de Türkisch für Anfänger ? Parce que c’est le film qui fait suite à la série allemande Türkisch für Anfänger, diffusée de 2006 à 2008 par Das Erste, et que jusque là je ne m’étais jamais penchée sur son cas ; comme pour hélas beaucoup de séries allemandes, le pilote avait été cagoulé, mis en réserve, et finalement jamais regardé.
C’est hélas récurrent dans ma relation avec la fiction germanique, qui n’est jamais dans mes priorités ; je remets toujours à plus tard les découvertes de pilotes, me mettre devant un épisode me demande un effort proche de celui que je consacre à regarder une série française, et c’est un tort, je n’ai même pas de raison valable à offrir pour expliquer ce comportement, je ne peux même pas dire que j’aie été traumatisée par des séries allemandes par le passé (j’avais tenté Danni Lowinski, par exemple, et n’avais pas eu à le regretter). Alors c’est absurde, voilà, d’avoir attendu que le film cartonne sur les écrans allemands pour m’y mettre, d’autant que ça me ferait pratiquer un peu cette langue que j’ai quand même pratiquée pendant de longues et douloureuses années…
Türkisch für Anfänger, le film
Afin de réparer cette erreur, je n’ai donc pas regardé le film, mais bien le pilote de la série. Et d’ailleurs, en faisant mes petites recherches, j’ai appris que la série avait été diffusée à plusieurs reprises en France, mais sous le titre de Family Mix (quelle idée). Comme je crois fermement qu’un titre traduit mérite la peine de mort (sauf dans le cas où on a pratiqué le titre traduit pendant sa tendre enfance, auquel cas la nostalgie prime ; toujours), je continuerai donc à ignorer ce titre « français », sachez simplement qu’il existe, pour culture perso.
Tant que j’en suis à essayer de parler culture perso, il est peut-être temps de s’intéresser à ce dont parle Türkisch für Anfänger. La série utilise le point de vue de Lena, une jeune adolescente, pour nous raconter comment elle et son frère doivent changer de vie lorsque leur mère leur annonce qu’elle est veut s’installer… avec un homme d’origine turque ; lequel a en plus deux enfants. Vont donc se cumuler deux handicaps pour ce nouveau départ : d’un côté, le fait qu’il n’est jamais facile, moins encore pour une ado, de se coltiner une famille recomposée, et de l’autre, le choc des cultures, d’autant plus intéressant que la communauté turque vivant en Allemagne est conséquente.
Pour Lena, la vie va donc totalement changer. Jusque là, la cellule familiale, c’était elle, son jeune frère Nils et leur mère Doris, une famille très banale quoi. Mais ce qui est intéressant, c’est que la famille Öztürk est constituée de trois personnages très différents qui évitent à des degrés différents la caricature.
Le père, Metin, est très bien « intégré », c’est en fait un homme comme un autre, un type même un peu coulant qui a limite l’air de s’excuser d’être amoureux de sa femme et d’être ravi de ce qu’elle est : une femme occidentale moderne (qui élevait jusque là deux enfants toute seule, et donc plutôt indépendante). Il y a le fils, Cem ; alors lui c’est une autre histoire, il roule un peu des mécaniques et est d’une sensibilité plus conservatrice vis-à-vis de la place de la femme. Il estime par exemple qu’une femme doit être au service de sa maisonnée, et est outré d’apprendre que sa belle-mère ne lui sert même pas le petit-déjeuner à table le matin (il ne va pas être déçu quand il va tester les talents culinaires de ladite belle-mère, d’ailleurs). Un cran encore différent est atteint avec Yagmur, la fille, qui est une Musulmane pratiquante, très fervente, mais aussi éminemment psycho-rigide ; la problématique de son personnage est autant dans sa rigueur froide que dans la pratique de sa religion, jusque là inconnue pour Lena.
Evidemment, il y a des clichés dans cette description de la famille Öztürk. J’ignore si Türkish für Anfänger est consciente de chacun ; parfois cela semble voulu, parfois moins.
Mais en tous cas, on a une palette de personnages qui évitent d’entrer dans un monde exagérément caricatural, disons, et on peut aussi attribuer une partie des défauts caricaturaux aux traits de caractère des personnages, plus qu’à leur culture ou religion. L’avantage, c’est donc qu’on a des Turcs allemands très différents, et qu’en plus ils ne se posent pas en symboles de toute une communauté. Ainsi, quand Yagmur prend la serveuse du resto chinois de haut et lui intime sèchement qu’en raison de sa religion, elle ne mangera pas dans une assiette qui ait été touchée par de la viande de porc (même dans une autre vie), on attribue son attitude hautaine bien plus à son caractère antipathique qu’à la religion musulmane en général (et puis, ça aide aussi qu’elle soit la seule de sa famille à être aussi inflexible sur le sujet). Bref l’équilibre est relativement trouvé, ce qui n’était pas gagné vu le sujet choisi, forcément un peu sensible.
Türkisch für Anfänger, la série
Après ces considérations, que vaut donc le pilote de Türkisch für Anfänger d’un point de vue strictement téléphagique ? Eh bien… je m’attendais en toute honnêteté à un truc genre Ma vie à moi, je ne sais pas trop si vous vous en souvenez, France 2 diffusait ça dans KD2A il me semble, c’était sympathique mais pas non plus inoubliable. Eh bien je m’attendais à ça. Et j’ai été agréablement surprise, parce que déjà, dans Türkisch für Anfänger, Lena n’intervient presque pas en voix-off, et dans ces cas-là, c’est uniquement pour expliciter ce qu’elle pense et pas pour commenter l’action (comme ça peut être le cas dans Suburgatory ou Awkward., disons), ce qui en plus permet à tous les personnages d’avoir de bonnes répliques, et pas juste l’héroïne. La technique narrative choisie, c’est-à-dire Lena qui enregistre une video pour sa meilleure amie partie vivre aux USA, est très classique, mais pas lourdement employée, ce qui permet de reposer plus sur les échanges que les monologues. Et ces échanges étaient TRES drôles.
C’est vraiment le point fort de ce pilote : les dialogues sont vraiment bons. Les acteurs, pas toujours, et c’est dommage ; certaines répliques tombent parfois à plat parce qu’elles ne sont pas dites avec autant de finesse qu’il le faudrait, par exemple. Mais vraiment j’ai trouvé les dialogues pétillants, un vrai bon point. Fort heureusement, l’héroïne est plutôt bien incarnée, et je pense que les petits défauts d’interprétation face à elle ont de grandes chances de s’améliorer avec le temps.
Du coup, Türkisch für Anfänger apparait comme une petite comédie familiale assez sympathique. Je me suis un peu spoilée en faisant mes recherches sur la série, donc je ne jugerai pas de la façon dont l’intrigue évolue, mais globalement je trouve l’idée de départ comme sa réalisation louables.
Malheureusement, Türkisch für Anfänger s’est ramassé des critiques assez sévères, comme c’est le cas de beaucoup de films faisant suite à des séries. Apparemment, la fraîcheur des personnages et des échanges s’est perdue en route…
En tous cas, je dois dire quant à moi que j’ai toujours un faible pour les séries qui mélangent ainsi deux univers culturels ; ça rejoint un peu ce que j’aime autant chez Outsourced. Je trouve toujours profondément joyeux et positif de trouver le moyen de rire dans une ambiance bonne enfant de nos différences culturelles, de la façon dont elles se rencontrent, se mélangent et parfois, ne se mélangent pas, et que ces séries explorent tous les cas de figures.
Il y a des chances pour que ces séries aient tendance, c’est certain, à stéréotyper certaines choses ; je comprends les réactions parfois énervées des gens qui trouvent alors que la série perpétue un cliché (d’ailleurs les premiers épisodes sont disponibles avec des sous-titres anglais sur Youtuve et les commentaires sont plus outrés qu’autre chose, ce qui est intéressant parce que la série a quand même eu énormément de succès en son temps). Mais à terme il me semble que les effets sont plus bénéfiques qu’autre chose, si une série se pique de mélanger les gens à des fins humoristiques ou dramédiques.
C’est en tous cas pour moi toujours quelque chose de plaisant parce qu’au bout du compte, je me retrouve en train de regarder une série allemande qui parle aussi de culture turque, ou une série américaine parlant de culture indienne, ou Dieu sait quoi d’autre, et au final, cette invitation au voyage culturel via un autre voyage culturel ouvre des tonnes de portes et de possibilités.
Türkisch für Anfänger n’a pas forcément inventé l’eau chaude, mais en tous cas, elle a ce mérite, et son pilote m’a bien donné envie d’aller plus loin si jamais j’ai du temps à perdre. On est d’accord que ça n’arrivera pas, je n’ai jamais assez de temps pour tout ce qui tombe dans cette catégorie des séries que je regarderais une fois le reste fini, mais c’est l’intention qui compte !
Tiens, moi qui souhaite pratiquer un peu mon allemand mais n’avais pas réussi à trouver une série allemande vraiment motivante, ton post m’intéresse !
Je tenterais sans doute la série !
Hier soir le site fut carrément inaccessible …
Euh oui, « carrément », c’est tout Canalblog qui était en maintenance…