Je suis née au début des années 80. C’était une époque pendant laquelle même les parents psychorigides (et je disposais de deux particulièrement intéressants specimens que je pouvais observer à loisir) ne donnaient pas dans la surprotection.
On laissait les enfants se faire quelques bleus, au propre comme au figuré, sans craindre les dommages irréversibles. Parfois peut-être à tort. Souvent parce que, soyons francs, un enfant est plus résistant qu’on ne veut bien le dire, et que surtout, la résistance, ça se construit. Inutile de le faire vivre dans une bulle de plastique en espérant préserver son innocence et ses genoux jusqu’au moment où il sera un adulte fort et vaillant : dans les faits, les années 80 pensaient plutôt qu’on devenait un adulte fort et vaillant parce qu’on avait profité de l’enfance pour s’amuser, se tester et se construire.
On n’hésitait pas à disputer les gamins qui ne bossaient pas en classe, plutôt que de reprocher les notes aux enseignants ; on fumait près des enfants sans trop se formaliser ; on n’enfermait pas les gamins à double-tour par peur du Croque-Mitaine ; les enfants roulaient en vélo sans casque, sans genouillères, sans coudières ; ils s’aventuraient bien au-delà du champs de vision de leur maman qui leur donnait un couvre-feu en espérant qu’ils le respectent, ce qu’ils ne faisaient pas, et plutôt que d’avertir la police au bout de douze secondes, ils se faisaient méchamment remonter les bretelles au retour ; on se prenait une petite morniffle quand on dépassait les bornes sans que les parents ne tournent compulsivement les pages de leur Dolto de peur d’avoir traumatisé Junior à vie ; on regardait la télévision avec les adultes et il n’était pas rare de tomber sur deux paires de Coco Girls légèrement polissonnes ; des films et des livres sont sortis pendant cette période, destinés pour tout ou partie aux enfants, et ils n’étaient pas forcément très gais (je me souviens avoir été voir L’Ours avec le centre aéré, avoir découvert Brisby et le Secret de Nimh puis quelques années plus tard, L’incroyable voyage avec mes parents et ma petite soeur, etc…), et de toute façon, les adultes ne cherchaient pas à tout prix à nous faire regarder des choses « de notre âge ».
C’était une époque pendant laquelle tout n’était pas parfait, loin de là… et on avait tout loisir de le découvrir par nous-mêmes.
Dans un tel contexte, je secoue régulièrement la tête, navrée, quand je lis certaines réactions du type « momma bear » (par exemple sur le tragiquement excellent STFU Parents) parce qu’un enfant a eu le malheur de n’avoir pas reçu mille traitements de faveur par jour.
Mais plus encore, cela me frappe particulièrement dans le domaine des films, séries et livres. Qu’on essaye de faire en sorte que les enfants parviennent jusqu’à l’âge adulte sans la moindre cicatrice à exposer comme un trophée de guerre, ou expérience un peu stressante (du genre se perdre dans Toys’R’Us à dix jours de Noël), admettons, passe encore.
Mais la surprotection culturelle me rend folle ; c’est tout simplement antithétique.
Certes, j’ai conscience qu’il ne faille pas prendre mon cas pour une généralité. Plutôt pour une extrêmité, à vrai dire : mes parents ont été ceux qui m’ont donné à lire Bijou de la Maison Douce, Les enfants jetés, ou Chien perdu (et on s’étonne que j’aie pendant longtemps attendu qu’ils me fassent une révélation sur mes origines !), mon père a insisté pour que je regarde La Strada et Elephant Man à 10 ou 12 ans, et mes premières séries ont été L’Enfer du Devoir, La Belle et la Bête, et quelques autres joyeusetés du genre de V. Il n’a jamais été question de me faire croire que le monde est idyllique.
Je les en remercie (c’est rare).
A l’inverse, aujourd’hui, je lis que les parents ne veulent pas montrer certaines scènes de films Disney à leur progéniture.
Ou qu’on veut très officiellement recommander aux parents de ne pas montrer Les Incroyables Pouvoirs d’Alex à des moins de 15 ans.
Le domaine d’extension de l’absurde.
Les enfants devraient pouvoir regarder des choses un peu difficiles, ou les lire (en fait les lire dans un premier temps, quand leur imaginaire limite la casse). Oubliez ce que je viens de dire, je corrige : les enfants devraient regarder des choses un peu difficiles. Tout simplement.
Parce que les enfants n’aiment pas les menteurs. Parce que les enfants ne vivent pas au pays des Bisounours (ils vont à l’école avec leurs congénères, après tout). Parce que les enfants ne sont pas épargnés par la vie, si ce n’est aujourd’hui, peut-être l’an prochain.
Et parce que la fiction leur apprend à se préparer, toutes proportions gardées, à certaines éventualités difficiles, à se fabriquer une carapace en toute sécurité. Aujourd’hui à regarder Mufasa mourir, demain capable de parler de la mort avec les parents, après-demain ou le jour d’après aux funérailles de papy, immanquablement.
Gloire à la fiction pour nous apprendre que si Maman chérie et Papa terrible savent veiller sur Bijou, tout ne sera pas forcément aussi facile. Gloire aussi à la fiction pour nous parler d’Izzy et Gus même si on ne verra jamais San Francisco, et nous ouvrir une fenêtre sur les vies qu’on ne mènera jamais, moins protégées que la nôtre (ou parfois un peu plus, merci 7 à la Maison).
Si tu as 12 ans et que tu n’as jamais lu Le Petit Prince, tu as raté ta vie !
Je pourrais dire tout cela avec amertume. Je n’ai jamais caché ne pas avoir rigolé pendant mon enfance, après tout.
Je pourrais décider que me faire lire Les enfants jetés a ajouté à la « torture » plutôt que participé à ma construction mentale. Je pourrais ironiser et dire, ouais, pas étonnant que j’aie lu ces livres quand j’étais enfant, que j’aie vu ces films et ces séries, c’est cohérent avec l’éducation un rien sadique qu’on m’a donnée.
Et pourtant, culturellement, j’ai reçu une éducation du feu de Dieu (en-dehors de la musique ; je n’ai eu droit à aucune culture musicale), et j’en suis fière. Je n’ai pas été protégée. J’ai été envoyée au feu. J’ai pleuré, et j’ai eu le coeur qui se serre, et j’ai même trouvé dans ces fictions une créature de cauchemar sur laquelle transférer toutes mes angoisses invisibles. Certaines histoires m’ont tenue éveillée, parce que je me suis posé des questions, parce que je me suis inquiétée, parce que quelque chose, parfois, s’est cassé. Tant mieux.
Aujourd’hui je recherche le grand frisson, la cassure, l’angoisse, à ma façon. Ce serait mentir que de prétendre que je ne considère pas que le meilleur épisode de notre Ozmarathon à ce jour est celui qui est le plus terrible de tous. Tout le monde ne cherche pas ça dans ses fictions, ou disons, pas à un tel degré, et il y a, évidemment, une part de mon attirance pour ces fictions qui découle directement des découvertes parfois un peu dures que j’ai faites à un jeune âge.
Mais ai-je été endommagée par ces fictions un peu difficiles ? Ou m’ont-elles donné les ressources nécessaires pour survivre à ce qui m’a réellement endommagée ?
La question est complexe et je ne prétends pas avoir la réponse absolue, certainement pas moi. Mais je n’ai pas l’impression, cependant, que cette façon de censurer tout ce qui peut heurter un enfant, soit non plus une réponse…
Je suis en partie d’accord avec ton billet et la surprotection des enfants aujourd’hui. Je suis moi même maman, et j’ai tendance à suprotéger mes enfants, même si je suis très strict en terme d’éducation (trop en fait), et que je ne les gates pas du tout.
La ou je suis plus étonnée, c’est de savoir que des parents ont aujourd’hui tendance à brider le visionnage de films, séries etc. à des enfants qui pourraient avoir l’age de découvrir certaines oeuvres.
En fait ces derniers années, j’ai été étonnée de voir des films avec des scènes violentes au ciné, et qui n’étaient pas interdits avant un certain age (10 ans par ex). Du coup dans la salle, il y avait des petits de 5-6 ans qui venaient voir des Transformers, Harry Potter (autant le 1er peut convenir à un jeune public autant les suivants…) et cie. Et à chaque fois ça me choque. Certes ce ne sont pas des films culturels, mais il ne faut pas grand chose pour choquer des gosses aussi petit.
Mais je pense que finalement c’est une histoire de point de vue et de comparaison avec notre propre vécu & enfance.
Pour ma part, on ne m’a jamais bridé dans ma découverte télévisuelle (à la rigueur pour la lecture de certains livres), j’ai aussi le souvenir d’angoisses liés à des films, de magnifiques découvertes en famille…
Je ne sais pas ce que je ferai quand mes enfants auront l’age de voir certains films, mais j’y vais petit à petit. Je pense qu’à 12-14ans, ils seront assez matures pour être assez libre de leurs choix et j’espère que dès 8-10 ans, je pourrai leur faire partager de beau coups de coeur. La, mon plus grand à 6 ans, et connait moults disneys, pixar et Ghibli (mais pas tous, certains sont trop particuliers pour qu’il puisse les voir de suite). J’ai encore le temps ^^
Et donc pour revenir à ton questionnement, je pense pas qu’il faut censurer, mais je pense que l’éducation de l’image doit être accompagnée, expliquée et doit se faire petit à petit. Certes je râle contre les parents qui emmènent de si jeunes enfants au ciné pour voir des films peu adaptés, parce que j’ai l’impression qu’il n’y a pas plus d’échanges et de réflexions sur l’interprétation et le ressenti de l’enfant, mais après ce n’est pas forcément le cas de tous.
Absolument je suis d’accord, l’accompagnement avait fait l’objet d’un post antérieur : http://ladytelephagy.canalblog.com/archives/2009/05/29/13896893.html
On ne laisse pas un enfant seul avec son écran ni même son livre. Le concept n’est pas bien assimilé non plus, hélas.
Le truc c’est qu’avant l’accès aux différentes productions culturelles se faisaient avec parcimonie, j’ai des cousins de 10-12 ans qui passent leurs journée sur du kardashian du secret story … De plus aujourd’hui tout est accessible de manière illimité, les parents peut être surréagissent face à ce flow intarissable. En fait ce n’est jamais mieux avant sinon ça n’aurait pas changé
Je ne cherche pas vraiment à dire qu’absolument, « c’était mieux avant ». Ce n’est pas mon crédo. Simplement il y a un phénomène grandissant (pas une généralité, et ça se démontre bien par les autres extrêmes que dénonce Mystical) de surprotection et j’y réagis.
Par contre, plus généralement, je ne suis pas d’accord : le changement n’implique pas forcément une amélioration ; le changement est parfois dû à des facteurs extérieurs, négatifs, et une adaptation est nécessaire et/ou inévitable pour gérer les répercussions psychologiques. On peut par exemple parler de l’impact du 11 Septembre sur pas mal de comportements de gens (et pas qu’aux USA), pour autant, je ne pense pas que ce changement de mentalité soit la preuve que quelque chose ne fonctionnait pas avant…
Le problème dans les deux cas de figure sur la façon de gérer l’accès à la culture des nouvelles générations est, à mon sens, que c’est tout l’un ou tout l’autre. Le juste milieu, le bon sens, et une certaine dose d’objectivité, sont aux abonnés absents : soit on laisse l’enfant s’exposer à tout et n’importe quoi, soit on le surprotège. Je pense qu’on fait autant de dommages dans un cas que dans l’autre.
Pour que le 11/09 ait eu lieu, ce que quelque chose clochât auparavant ,d’ou le changement … Sinon : »le bon sens a de l’avenir et rien n’est plus stable que le changement » dixit crédit agricole et bob Dylan
C’est pour moi une aberration de penser cela, ça sous-entendrait que le 11 Septembre était… mérité ? Genre « la société américaine avait besoin de ce changement, de basculer vers la peur et le traumatisme, heureusement Osama lui a offert la possibilité de changer » ? Vraiment, ta réponse me dérange.
Alors y’en a qui méritent et d’autres pas ?! Genre les habitants de Hiroshima en 44 pour eux tu dirais quoi ? Tout ce que je veux dire ce qu’ aucun acte n’est gratuit et tout ce qui passe maintenant est une conséquence de ce qui passa avant !
Euh, non, personne ne mérite ce genre de choses, surtout. A aucun moment je n’introduis l’idée d’une hiérarchie et je ne vois pas où tu lis pareille chose.
Certes tout est et a une conséquence mais pour autant, ça n’implique pas que le changement soit forcément bénéfique ou nécessaire. Le changement est inévitable mais il ne se fait pas toujours en bien. Dire que le 11 Septembre est la preuve que quelque chose clochait est inexact : ce qui cloche, C’EST le 11 septembre. Que les Américains se soient mis ensuite à vivre dans la paranoia n’est pas une conséquence bénéfique du changement introduit par le 11 Septembre.
Je te trouve bien manichéenne pour le coup, les concepts de bien et de mal change selon les régions, les époques, les personnes…Et arrête avec la paranoïa américaine post 2001, je prendrais 2 exemples : le dernier Clint Eastwood qui relate la vie d’un vrai parano, le projet star war destiné a faire face a une attaque d’ogives nucléaires sur le sol américain. Tout ça se passe bien avant 2001
Tu mélanges beaucoup de choses XD La paranoia d’une société se manifeste évidemment différemment d’une paranoia clinique individuelle ! Et je ne dis pas que le 11 Septembre est le point d’origine de la paranoia dans son ensemble mais il est certain qu’elle s’est intensifiée après cet évènement, après avoir connu une période où elle n’était pas très vivace (les années 90 n’ont pas exactement été la période la plus angoissée de l’histoire américaine).
Si tu considères que le 11 Septembre est positif en lui même, ou a eu des conséquences positives, libre à toi, mais personnellement c’est une aberration à mes yeux et je suis absolument incapable de dire pareille chose. Je suis peut-être manichéenne, je n’en sais rien. On peut relativiser certaines choses, mais la mort de plusieurs centaines de personnes, aboutissant à plusieurs guerres ces 10 dernières années, me semble difficile à relativiser sous l’angle du « oui mais c’était un mal nécessaire qui a induit un changement positif ».
Reste qu’avec cette histoire de 11 septembre on est partis sur complètement autre chose que l’objet de ce post.
Je plussoie !