Quand j’ai appris l’existence future d’Äkta Människor, je ne vous cache pas que ma réaction a été plutôt extatique. Pour moi qui suis très modérément intéressée par les séries policières en général, et qui espère toujours pouvoir parler de projets sortant du cliché « Scandinavie = policier », c’était vraiment une aubaine. Sans compter qu’un peu de science-fiction, ça fait toujours du bien, et qu’après des séries comme Falling Skies l’an dernier, ou de séries à l’atmosphère de pseudo-mystère fantastique genre Alcatraz en ce début d’année, j’avais besoin de trouver une série qui ait de l’ambition dans le domaine.
A vrai dire, peu intéressée par la mini-série Hinsehäxan (un biopic se déroulant dans les années 60 dont j’ai parcouru les premières minutes en avance rapide au début du mois, et que même sans la barrière de la langue, il faudrait me payer pour regarder), j’avais fait d’Äkta Människor mon premier projet perso de série suédoise à suivre en « sortie d’usine », comme le dirait ce bon Nakayomi.
Jusque là, pour les séries scandinaves, je procédais de la façon suivante : d’abord, je lisais consciencieusement tout ce que je pouvais à leur sujet, ensuite, je cagoulais le pilote, je jetais un oeil et, si j’étais intéressée, j’attendais le DVD en import (c’est par exemple le sort de Koselig Med Peis, et, avec une pratique légèrement différente vu que j’avais vu le pilote dans un cinéma dans le cadre de Scénaristes en Séries, pour Borgen). L’idée directrice, c’est que je ne cherchais même pas vraiment de sous-titres en anglais, comme je le fais quand une série asiatique m’intéresse par exemple. L’idée était exclusivement de me tourner vers le DVD avec sous-titres (ils n’en ont pas toujours) si je percevais du potentiel dans l’épisode, et pas du tout de partir du principe que chaque semaine, j’allais essayer de suivre la diffusion. Äkta Människor, c’était donc une affaire entendue, serait mon premier essai dans le genre ; après des semaines à fouiller absolument partout pour voir s’il existe déjà des teams s’occupant de traduction Suédois>Anglais (arrivant à la conclusion que non, ça ne se produit que dans l’autre sens… mais c’est déjà quelque chose), après des semaines à demander un peu partout si quelqu’un avait l’intention de faire ces sous-titres à titre exceptionnel, notamment sur Twitter, j’ai compris que la bataille était perdue et que l’accessibilité des séries scandinaves au tout-venant anglophone, comme cela peut être le cas pour l’Asie notamment, n’est pas pour ce mois-ci.
Il en fallait naturellement plus pour me décourager de quand même visionner le pilote. Mon niveau en Suédois est loin d’être idéal, mais il est supérieur à mon niveau en Turc et ça m’a pas arrêtée !
Et le problème, c’est que, là, vu comme ça, et surtout entendu comme ça, eh bien le pilote d’Äkta Människor, il a l’air d’être bon.
Mais reprenons par le début : Äkta Människor (« de vrais personnes ») se déroule dans un monde où la technologie est si avancée qu’elle nous a donné accès à de véritable robots humanoïdes, les Hubots. Ils sont fabriqués en série, et sont configurés pour avoir une gamme d’utilisations s’adaptant à toutes les demandes humaines : travail manuel, tâches domestiques (dont garde d’enfants), tâches dangereuses évidemment… mais aussi prostitution. Le problème c’est que, comme toujours lorsqu’on parle de robots humanoïdes, tout le monde ne les accueille pas nécessairement les bras grands ouverts, certaines personnes se méfiant de leur intervention dans la vie quotidienne ou craignant qu’ils ne puissent, à la longue, être dangereux. D’un autre côté, les Hubots eux-mêmes commencent à avoir des vélléités d’indépendance…
Dans ce contexte où, finalement, l’histoire est assez classique et où le pitch ne couvre rien qui n’ait déjà été évoqué par Asimov, pourquoi ce pilote semble-t-il bon ? Eh bien d’abord parce que dés ce premier épisode, des axes si différents sont exploités qu’on sent tout de suite que l’idée est de couvrir un maximum de thèmes abordés par la question de la robotique. On a d’une part des Hubots « rebelles », vivant en marge de la société et formant une petite communauté tentant de trouver l’indépendance ; leur périple est finalement assez mineur et donne plutôt l’occasion de voir ce que les Hubots « ressentent » réellement, plutôt que la promesse d’une révolution à proprement parler, même si on peut se demander à quel point ils sont capables de se montrer violents pour assurer leur indépendance. A l’inverse, un petit vieux vivant seul découvre qu’il est très attaché à son Hubot lorsque celui-ci tombe en panne et doit être détruit. Le fils de ce même vieillard, un père de famille, décide d’acheter (contre l’avis de son avocate d’épouse) sa première Hubot domestique, vis-à-vis de laquelle ses sentiments sont vite troubles. Cette Hubot est elle-même une créature qui, après avoir rejoint le groupe des rebelles, a été abimée et récupérée par le marché noir ; elle a donc été réintroduite dans le circuit domestique par le plus grand des hasards. Cette même Hubot est aujourd’hui activement cherchée par un autre membre de la résistance qui semble épris d’elle. Enfin, un autre personnage est un ouvrier qui a l’impression d’être progressivement remplacé par les Hubots, notamment dans son usine où la présence humaine est réduite au minimum, mais aussi chez lui où sa femme préfère la compagnie du Hubot domestique, et qui progressivement voit son hostilité envers ces créatures devenir plus violente.
On pourrait penser qu’avec tout ça, il y a tant à dire que le pilote ne fait que survoler son propos. Mais à travers un grand talent pour les silences et une réalisation très efficace, les scènes successives parviennent à montrer avec beaucoup de subtilité les motivations des personnages, leurs sentiments réels, souvent différents de ceux affichés ; on dépasse rapidement la seule exposition pour entrer réellement dans des zones troubles.
Mais le plus impressionnant reste le travail accompli autour de l’esthétisme de la série. Bien que se déroulant à notre époque, ou un futur très immédiat, le monde incroyablement impeccablement propre et parfaitement idyllique d’Äkta Människor nous présente aussi une société aux couleurs pastels, aux espaces vastes lumineux, rappelant des univers utopiques du genre The Stepford Wives, décoré par Ikea (le cliché s’applique, je vous jure). Le travail qui est fait pour que tout ce qui a trait de près ou de loin aux Hubots ait l’air lisse et inoffensif est splendide ; mais dés qu’on est « dehors », qu’on s’éloigne des centres urbains où les Hubots domestiques sont configurés pour préserver l’illusion d’harmonie, l’image redevient réaliste et abandonne ses couleurs acidulées. Le monde d’Äkta Människor est, en vérité, trop aseptisé pour être honnête, et l’esthétisme de la série est parfaitement imaginé pour nous rappeler cette réalité.
Alors du coup, oui, bon, d’accord, je vais attendre les DVD en priant pour qu’ils aient des sous-titres anglais, ou bien j’attendrai que la série soit diffusée aux States, admettons, je vais devoir me résigner… pour le moment.
Mais tu ne perds rien pour attendre, internet : maintenant c’est personnel. Cette histoire de sous-titres, c’est pas fini. On en reparlera.
envie
Bonjour.
Bon je poste rarement pour ne pas dire jamais sur ton blog, mais pour le coup ton post m’a donné très envie de découvrir cette série.
Dans l’attente de trouver des sous-titres car mon suédois est comme mon hébreu, bien pire que ton turc.
merci.
Hello reno, ravie d’avoir pu piquer ton intérêt, même si c’est hélas de façon sadique pour te parler de quelque chose de pour le moment inaccessible. Je ne perds pas espoir cependant : si les sous-titres ne se montrent pas sur internet, peut-être qu’une chaîne du genre d’arte (qui nous a montré qu’elle avait compris le potentiel de la Scandinavie) achètera la série ? Et puis au pire, on attendra la diffusion en anglais…
Au plaisir de te relire dans les parages, en tous cas
Il y a quelque chose qui m’a marqué par rapport à Mimi : le trouble du père face à cette Hubot mais aussi le regard des enfants. Comme si d’un côté, elle allait apporter à chaque membre de la famille la part d’attention manquante – bien que fiston risque de chercher autre chose.
C’est amusant de voir les différents sentiments qui apparaissent !
Pour les subs, qui sait ? Peut-être que des suédois se diront « Et si on traduisait nos séries pour les autres ? » o/ – je rêve hein ? – !
Si tu trouves un p’tit suédois pour te faire la trad anglais, moi aussi je serais prêt à faire la synchronisation car le pitch est drôlement intéressant et vu ce que tu dis du pilote.
Ta review et celle de Livia ont donc fini par me convaincre. Et je n’ai vu que le pilot mais je suis définitivement sous le charme.
Le thème des robots n’est peut-être pas révolutionnaire mais il est terriblement bien traité. Ce que j’ai adoré d’ailleurs dans le pilot c’est comme il arrive à présenter tout le système, les aspects positifs comme négatifs, d’un monde robotique avec un vrai souci du détail.
J’ai apprécié aussi la grande variété de protagonistes. Je suis de toute façon toujours ravi quand le récit est plus choral et ici, j’ai juste trouvé géniale la galerie de personnages proposée, donnant l’impression de balayer diverses couches de la société, du vieillard, en passant par le voisin ouvrir beauf, à la famille bobo.
Complètement d’accord sur l’image, magnifiquement et intelligemment travaillée. J’ai notamment beaucoup aimé la scène de la « mort » d’Odi, visuellement très bien pensée.
Bref, il y aurait beaucoup de choses à dire, mais en tout cas le pilot introduit parfaitement à l’univers de la série, installe très bien les différents protagonistes et présente avec maîtrise les enjeux. J’applaudis et j’en redemande
Je comprends la private joke mntn.
Et je suis pas étonné par ce design suédois très pastel et figé dans les 70ies. J’ai déjà vu ça dans le cinéma suédois : Roy Andersson (Songs from the second floor; Du Levande)
Ce n’est pas du tout systématique, c’est vraiment un choix esthétique propre à Äkta Människor. Si tu as vu Kommissarie Winter sur arte un peu plus tôt cette année, tu verras que ce n’est pas du tout la règle.
Je dis pas que tt est comme ça, mais par contre, on aura du mal à trouver une esthétique aussi particulière dans un autre pays. Donc la coïncidence qu’il y ait plusieurs réalisateurs qui travaillent autour de ce design, ça montre une sensibilité « typique », même si elle est pas « mainstream » chez eux.
Y’a aussi Bent Amer en Norvège, ou Christopher Hoe au Danemark qui se rapprochent de cette image-là.
J’aime beaucoup ce type de photographie.
Ça a l’air pas mal cette série en fait. Préviens-moi quand y’a des sub en eng.
Si c’est la quête existentielle des robots humanoids qui te plait, il y a plusieurs films qui traitent de ce sujet:
– Kûki ningyô / Sex Doll (2009/Kore-eda/Japan) un conte fantastique d’une sex doll qui se transforme en humaine et trouve un travail dans un videostore, et tombe amoureuse. Poétique et presque sans parole.
– I’m a Cyborg but That’s OK (2006/Park Chan-wook/Korea) une comédie un peu barrée, une lovestory entre 2 paumés
– Monique (2002/France) comédie avec Dupontel qui s’amourache d’une sex doll ultra-réaliste (là c’est un vrai mannequin) et la considère comme une humaine
Christopher Boe* (pas Hoe) lol
Attention, la fin du premier film (Kore-eda) est un peu sanguinolente, alors oublie. :p
Sinon, en plus commercial, y’a I-Robot avec Will Smith qui suit le modèle classique de l’enquête policière. Ou en mieux, A.I. de Spielberg (écrit par Kubrick) avec une intrigue beaucoup plus complexe et profonde, avec un enfant cyborg et d’autres robots adultes qui recherchent leur créateur.