Pour des millions de musulmans dans le monde, le Ramadan, qui débute cette année aux alentours du 1er Août, est l’occasion de se retrouver chaque soir notamment pour l’iftar, la rupture du jeûne. La famille ainsi rassemblée dans le salon peut passer une soirée conviviale devant la télé, et les chaînes de nombreux pays sortent la plupart de leurs séries précisément pendant ce mois, accomplissant ainsi leurs meilleurs audiences pendant cette période, les scores pouvant aller jusqu’à doubler par rapport au reste de l’année sur une même case horaire.
Bien-sûr, les choses cette année n’ont pas été simples, car avec les évènements du « printemps arabe », la situation économique et les conditions de tournage ont changé dans de nombreux pays, par exemple en Égypte, traditionnellement l’un des grands fournisseurs de séries du Ramadan, ou en Syrie. Le nombre de séries produites dans les pays touchés a diminué, beaucoup de projets prévus pour la saison du Ramadan se sont vus repoussés à une date ultérieure voir annulés… et encore, ce n’est qu’une partie du problème.Car il faut aussi prendre en compte le facteur politique lui-même. D’ordinaire achetées dans de nombreux pays arabes, de nombreuses séries Syriennes et Égyptiennes ont été boycottées ; selon les cas, cela pouvait être soit pour ne pas avoir l’air de soutenir le régime en place (pour les séries syriennes), soit pour ne pas avoir l’air d’encourager les révolutionnaires (pour les séries égyptiennes). Et quand ces raisons-là ne suffisaient pas, c’était en raison du boycott de certains acteurs qui s’étaient prononcés de façon trop virulente pour des dirigeants depuis destitués, à l’instar de l’actrice égyptienne Samah Anwar, qui avaient appelé à brûler les manifestants de la place Tahrir et qui aujourd’hui figure sur la « liste noire » des acteurs qu’on ne veut plus voir à la télévision dans de nombreux pays.
En plus d’avoir moins d’argent pour tourner, les séries de ces gros exportateurs ont donc vu les espoirs d’une diffusion dans le monde arabe se rétrécir. Par effet mécanique, les pays les moins troublés ont quant à eux augmenté leur production nationale.
Dans ce contexte exceptionnel, SeriesLive vous propose un petit tour d’horizon de ce qu’ont préparé les chaînes de plusieurs pays arabes pour ce Ramadan 2011, avec quelques-unes des séries que les spectateurs pourront découvrir pendant ce mois sacré. Un mois pendant lequel les séries doivent donc trouver l’équilibre entre le divertissement à destination de toute la famille, et les sujets sociaux qui sont dans les esprits de chacun cette année, alors que de nombreux spectateurs seront plutôt enclins à regarder des chaînes d’information.
Note : dans ce panorama, qui ne se veut évidemment pas exhaustif, nous avons volontairement mis de côté les séries purement religieuses, ainsi que les biopics de personnalités de l’histoire religieuse ou de la popculture arabe, qui ont peu de chances d’être parlants pour les spectateurs occidentaux. Voici donc quelques-unes des séries du Ramadan de cette année.
Entre la révolution et la crise économique, rien de très étonnant à ce que beaucoup des séries finalement retenues dans les grilles aient été mises en production avant les révolutions du monde arabe, ce qui explique qu’elles évoquent rarement les évènements de ce début d’année, mais plutôt quelques-unes de leurs causes. Les thèmes sociaux, remettant en cause le fonctionnement des institutions ou plus directement la corruption, sont donc nombreux. On trouve aussi, et c’est plutôt un sujet récent, des séries s’intéressant aux relations entre les musulmans et les coptes. Mais la télévision se fera aussi ce mois-ci l’écho d’un évènement n’ayant rien à voir avec la télévision, le procès, qui commence le 3 août, des deux fils de Moubarak et de son ancien ministre de l’Intérieur…
– Nour Mariam suit le combat de Mariam, une pédiatre qui a épousé un riche avocat, et avec qui elle a eu une fille. Lorsqu’à l’égoïsme de son mari vient s’ajouter la cupidité, et après avoir trop longtemps tenté de sauver son mariage, Mariam décide de divorcer, et s’engage dans une bataille juridique pour obtenir la garde de sa fille. Mais face à un système corrompu dont son mari est partie intégrante, pourra-t-elle triompher ? S’en prenant directement aux collusions entre le monde judiciaire et les notables, Nour Mariam promet de dénoncer certaines dérives du système judiciaire, notamment lorsqu’il s’agit de garde d’enfant ou de pension. Nicole Saba et Yousef Al Sharif sont les héros de ce face-à-face dramatique et social.
– Al Malik s’attaque frontalement au régime égyptien tombé au début de l’année, ce biopic retrace la vie du milliardaire Ahmed Ezz, et ses rapports avec le régime de Moubarak. Impliqué dans un scandale lié aux élections parlementaires égyptiennes, l’homme a assis son pouvoir grâce à la corruption, payant des pots-de-vin au Parti Démocratique National.
– Share’a Abdel Aziz est une chronique de la vie de plusieurs personnages vivant dans la rue Abdel Aziz (d’où le nom). A’elet Karama s’intéresse, à travers la vie d’une famille, à la délinquance juvénile et aux conflits de classe, quand Khatem Soliman met en scène Khaled El-Sawy et Rania Farid Shawky dans une dénonciation des affaires de corruption dans l’univers pharmaceutique égyptien.
– Al Mowatin X, qui peut se traduire par « le citoyen X », est un drame dans lequel plusieurs amis se retrouvent à la mort de l’un des leurs, et tentent de comprendre comment leur ami, un citoyen parmi tant d’autres, a été tué.
– Lahdhat Miled suit les difficultés d’une famille, lorsque le chef de maison quitte le pays pour aller travailler à l’étranger et subvenir aux besoins de celle-ci. Les membres de la famille restés sur place doivent gérer les difficultés à la maison, mais aussi les nombreuses complications dues à l’éloignement.
– Keed al Nisa, plus légère, est une comédie dans laquelle les deux épouses d’un homme passent leur temps à se jouer des tours pendables et se piéger l’une l’autre. En dépit de son sujet bon enfant, la série a cependant soulevé une forte controverse de par ses allusions sexuelles, malvenues en ce mois placé sous le signe de la religion, et a failli être retirée de l’antenne.
– Au moins trois séries porteront donc sur les relations entre les musulmans et les coptes : d’abord, Dawarane Shubra, co-produite par la société de l’acteur Youssef Chahine et la BBC, suit comme son nom l’indique la vie à Shubra, le quartier du Caire où l’on trouve le plus de coptes, et où doivent cohabiter les deux communautés. Wadi El Melouk, et Adem (sur un jeune homme qui doit subvenir aux besoins de sa famille), s’intéressent également à ce thème.
– Banat Sukkar Nabat, diffusée dans différents pays sous le titre international de Sweet Girls, cette série quotidienne dépeint les difficultés de 3 étudiantes qui tentent de concilier leur éducation et leurs vies personnelles, se confrontant à l’opinion de leur famille, mais aussi au regard de la société. L’une a épousé un homme qui ne l’aime pas, la seconde vit une rupture difficile et la troisième a été plaquée le jour de son mariage.
– Abed Karman est un biopic adapté du roman de l’écrivain Maher Abdel Hamid, revenant sur le destin du personnage palestinien du même nom, qui, entre 1967 et 1973, a infiltré les services secrets israéliens et récupéré de nombreuses informations. Interdite par la censure en 2010, la série s’inscrit dans les feuilletons à intrigue abordant la guerre d’espionnage entre arabes et israéliens. La série a été partiellement tournée en France, comme le démontre ostensiblement cette promo :
Politiquement, le pays est encore sous tension, au point qu’on s’attend à ce qu’en Syrie, après la prière du soir, les gens retournent manifester dans la rue. Dans ce contexte, les séries tentent de jouer sur un registre raisonné, pour ne pas mettre d’huile sur le feu. Cela n’empêche pas les sujets sérieux d’être évoqués, mais plutôt sous un angle social que politique. On remarque aussi une certaine tendance à la nostalgie, avec le retour de certaines séries qui avaient disparu des écrans et s’y retrouvent tout de même pour une nouvelle saison.
– Yawmiyat Modeer Aam – saison 2 : retour après 14 ans d’absence ! Dans la première saison de cette série médicale, un médecin était engagé pour gérer un service et enquêter sur la qualité des soins ; il se faisait donc passer pour divers personnages afin de tester un hôpital qui semblait dominé par la corruption. Dans cette seconde partie, le même médecin est engagé pour une mission similaire dans un nouvel établissement, mais doit trouver une nouvelle façon de tester le personnel puisqu’on connaît à présent ses méthodes…
– Akher Khabar est une comédie co-produite avec le Liban, mettant en scène une famille riche qui possède un journal, et tente de préparer le fils, seul héritier de cet empire de presse, pour qu’il soit à la hauteur de la charge qui lui incombera.
– Ma Malakat Aymanukum doit son nom à un verset du Coran qui pourrait se traduire par « ce que tient la main droite ». On peut y suivre les trajectoires de plusieurs jeunes femmes confrontées à une société mâle et chauviniste sur un ton très dramatique. De nombreux sujets sensibles sont ainsi abordés : le port du niqab, les attentats-suicide, la liberté sexuelle, l’hypocrisie de la société autour de l’argent, etc. Très explicite, la série promet de susciter plus d’un débat (des appels au boycott ou au retrait de l’antenne ont déjà eu lieu), et a également été achetée par le Liban.
– Al-Sarab s’intéressera aux errances d’un homme, Abu al-Kheir, alors qu’il tente d’assurer l’avenir de sa famille éclatée, et qu’il doit faire face à des changements professionnels imprévus. Les difficultés relativement classiques du héros prennent un tour dramatique, lorsqu’une suite de coïncidences et de hasards le conduisent à employer la force pour sauver ce qu’il a.
– Khirbeh, à travers la comédie, a pour vocation de raconter des situations réalistes rencontrées dans de petits villages. Ici, c’est au coeur d’un village logé au fond de la campagne syrienne que deux familles s’affrontent en permanence pour des broutilles ou des problèmes plus importants.
– Bab al-Hara – saison 6 : ce drama aurait dû s’arrêter l’an dernier, mais finalement une nouvelle saison a été commandée. Située dans la vieille ville de Damas dans les années 30, la série dramatique Bab al-Hara suit le quotidien de tout un quartier alors que le pays s’adapte lentement à la colonisation française. Il est intéressant de noter que la série est particulièrement populaire de par la nostalgie précolonialiste qu’elle diffuse. Incidemment, selon Eurodata Worldwide, la saison 3 faisait partie des 10 programmes les plus regardés au monde en 2008.
Comme beaucoup de chaînes marocaines, Al Oula, la première chaîne nationale, a misé sur les productions marocaines, conséquence assez logique des problèmes de l’Égypte et la Syrie. Elle continue de diffuser des séries étrangères (notamment des soaps turcs comme Adını Feriha Koydum, diffusée plus tôt dans la journée que d’ordinaire), mais réaffirme sa volonté de commander du local pour la soirée. Si 2M mise également sur les productions marocaines, et plus que l’année passée, la grande nouveauté pour cette période de l’année dans ses grilles est Dakar-Fes Express, une émission de télé réalité d’aventures. La chaîne Med1 a quant à elle décidé de se concentrer sur les programmes familiaux et généralistes.
– Le foyer des filles est un sitcom de 26 minutes, dont le héros, Si Mbarek, est un père veuf qui décide de refaire sa vie avec Rahma, une belle étrangère au tempérament doux et aimant, après avoir marié ses trois filles. Au moment où tout semble bien se passer pour lui et sa nouvelle épouse, voilà que les choses se gâtent avec le retour au foyer paternel des trois jeunes mariées, qui ont décidé de quitter leurs maris pour un tas de raisons, certaines plus valables que d’autres.
– Machi Lkhatri est une comédie qui s’appuie sur le thème de la polygamie « involontaire ». Jaafar est un trentenaire marocain qui tente comme il peut de faire avancer sa carrière. Après avoir voyagé aussi bien à Dubai qu’en France, il a fini par accumuler les aventures, y compris amoureuses. Toutes ces histoires se sont soldées par un mariage, et lorsqu’il revient au Maroc auprès de son père, pour les derniers jours de celui-ci, les trois épouses le suivent… ainsi qu’une quatrième femme qui affirme que son bébé est de lui. Le pire c’est que Jaafar est le seul à être épouvanté par la situation : les quatre femmes commencent à vivre toutes ensemble, et à bien s’entendre.
– Saâ Fi Aljhim – saison 4 : à la façon de 24, et surnommée « 1 heure en enfer », la série propose un concept original où chaque épisode correspond à une heure d’une journée. Mais Saâ Fi Al Jahim est avant tout une anthologie mettant en scène un personnage dont l’existence va changer avant la fin de l’épisode, créant ainsi un patchwork de destins venus de toutes les couches sociales, explorant des thèmes aussi variés que la contrebande ou l’immigration. L’ambiance est à mi-chemin entre la série d’action, le thriller et le drame. Vous pouvez en découvrir une bande-annonce ci-dessous, qui peut être comprise même sans pratiquer l’Arabe.
Depuis quelques années, il faut maintenant compter avec ce pays qui ne se contente plus de proposer simplement des soaps toute l’année. Avec la mini-révolution qu’a induite la série Nour (si polémique qu’elle a provoqué, dit-on, des divorces dans les familles), la Turquie a montré qu’elle faisait partie des producteurs de fictions sur qui il faut compter, surmontant la barrière de la langue auquel pourtant les autres pays ne sont peu ou pas confrontés. La liberté de ton et de sujets de nombreuses séries, et le calme relatif de sa situation politique, lui confèrent un avantage sur les pays qui connaissent des turbulences depuis le début de l’année. Une précision impressionnante : on estimait en 2010 que 78% des arabes regardaient au moins une série turque…
– Ezel profite du Ramadan pour poursuivre sa carrière dans de nombreux pays arabes. Cette histoire de vengeance a déjà captivé les spectateurs de plusieurs chaînes du monde arabe ; pour certaines autres, le mois du Ramadan est une bonne opportunité de faire débuter la série sur leur antenne et attirer l’attention du public sur cette série dramatique et d’action.
Ezel a fait sensation dans plusieurs pays arabes.
– El Firka Ezzerka, autrement dit, « la brigade bleue », est une série policière en 10 épisodes qui met en scène deux jeunes enquêteurs, aidés par une technicienne de la police scientifique, tentant de résoudre des enquêtes relevant souvent de la violence la plus gratuite. L’occasion pour eux de plonger dans des milieux variés, et d’étudier aussi bien des violences familiales que des représailles suite à des trafics. La série a pour vocation affichée de réconcilier les Algériens avec leur police.
– Djemai Family – saison 3 : nouvelle saison pour le sitcom familial, pendant laquelle les spectateurs pourront suivre la famille Djemai, une famille algérienne typique qui expérimente divers évènements de la vie de tous les jours sous l’angle de la comédie.
– Tash Ma Tash – saison 18 : la plus célèbre des comédies saoudiennes revient une nouvelle fois avec ses sketches, dont certains traiteront cette année des évènements survenus dans plusieurs pays arabes, en promettant notamment de s’attaquer entre autres à Khadafi ou à la question des femmes au volant. Les personnages divers et variés sont interprétés par les comédiens Nasir Al-Gasabi et Abdul-Allah Al-Sadhan.
– Nsibti Laâziza – saison 2, marque le retour d’une comédie tunisienne qui s’intéresse à un père de famille raisonnable et calme qui doit accueillir la famille de sa femme, constituée de personnages exubérants et agités. Comme si cela ne suffisait pas, son gendre et son fils sont tous les deux la source de nombreux problèmes.
La promo de la 18e saison de Tash Ma Tash.
…Comme annoncé, cette liste est loin de toutes les présenter ! Alors si vous captez des chaînes en arabe, et que votre œil est attiré par une série mentionnée ci-dessus, ou une autre que nous n’aurions pas citée, n’hésitez pas à partager vos impressions en commentaire sur les séries de cette année !
Article également publié sur SeriesLive.com.