Peut-être que dans 7 ans, quelqu’un postera dans un endroit à l’abris des regards le pilote de The Miraculous Year. Peut-être que je comprendrai enfin pourquoi la série n’a pas vu le jour. Parce qu’il y a des pilotes dont on ne saisit pas bien, au juste, ce qu’on peut leur reprocher ; Pretty Handsome ou Faceless étaient de ceux-là. Mon admiration pour ces deux pilotes est abondamment documentée dans ces colonnes, d’ailleurs.
Et puis il y a les pilotes qui n’ont jamais accouché d’une commande, et quand on les voit, on comprend pourquoi. Non, je ne vais pas vous parler du remake de Wonder Woman, il est vrai que je n’en ai pas entendu beaucoup de bien jusqu’à présent parmi les bribes qui me sont parvenues, mais je ne me suis pas (encore) fendue d’un cagoulage pour le vérifier. Non, dans les tréfonds d’internet, c’est le pilote de Prodigy que j’ai déniché.
Vu que ma pratique du net était encore assez sporadique en 2004, je n’ai pas été étonnée de ne jamais en avoir entendu parler avant de mettre la souris dessus. Alors comme je suppute que vous devez être dans un cas similaire, permettez que je comble rapidement vos lacunes, qui étaient les miennes voilà encore quelques heures.
Prodigy était un projet pour la WB (ça ne nous rajeunit pas) mettant en scène une famille d’intellectuels de San Francisco dont le deuxième enfant était un prodige surprenant de 10 ans. L’histoire est racontée par l’aînée, une ado de 16 ans qui entre au lycée la même année que son frère, ce qui, on l’imagine, n’est pas exactement un modèle de normalité. Au générique, Kate Mara dans le rôle de l’ado, Cody Arens dans la peau de son frère Nathan, Stacy Edwards et David Newsorm pour les rôles des parents. Pas vraiment de pointure incontournable, vous le voyez. Dans un rôle très secondaire, on a aussi Justin Chatwin, pré-Shameless, mais ça ne va guère plus loin.
Vu l’état d’avancement du projet et les chances pour que vous regardiez le pilote, rapport au fait qu’il n’y a personne au générique pour vous en donner envie, que le sujet n’est pas spécialement sexy et que vous avez certainement bien d’autres choses à regarder en ce moment et qu’après vous aurez oublié, je me permettrai donc d’y aller plein pot avec les spoilers, une fois n’est pas coutume, parce que j’ai trouvé certaines idées intéressantes dans ce pilote et qu’il me faut dire certaines choses pour pouvoir les aborder.
La majeure partie du pilote consiste à nous vanter les prouesses de Nate, racontées du point de vue de sa sœur Callie. Avec une profusion d’yeux levés au ciel, elle assiste au comportement admiratif de ses parents qui encouragent Nate au maximum et n’ont de cesse de le placer sur un piédestal dés qu’il accomplit quelque chose, ce qui ne manque pas d’arriver. Tout cela est ponctué d’anecdotes sur la petite enfance de Nathan, dont le très bien senti monologue d’intro : « When I was six years old, my brother said his first word. He said it to me. Beatrice says that maybe if I hadn’t told my parents, maybe he’d just shut up and gone back to being a normal kid. Maybe. He was 10 months old. The word… was chaos« . Cependant, ces anecdotes ne sont pas là juste pour nous épater mais simplement pour nous aider à prendre la mesure du don de Nate, et comprendre l’impact que la découverte de son génie a eu sur les parents et la grande sœur.
On sent tout de suite que Callie prend un immense recul vis-à-vis de tout cela, probablement aidée par le fait qu’elle ne participe pas à l’euphorie ambiante autour des dons de son frère, mais aussi parce que c’est un phénomène en soi. Lorsque Nate fait sa rentrée au lycée, le monologue de Callie en voix-off consiste à dresser une comparaison avec Shakespeare (un auteur que Nathan aime passionnément depuis qu’il est petit), en expliquant que nul ne sait comment Shakespeare est devenue Shakespeare, puisque son enfance, et donc son éducation, n’a jamais été documentée (au passage, l’auteur britannique a été évoqué dans un bon millier de séries, mais jamais sous cet angle si humain se rapportant à son enfance et sa scolarité, je dis donc bon point). Mais que s’il avait été à l’école comme tout le monde, on l’aurait certainement pris pour un être bizarre… ce que Nate est justement aux yeux des lycéens normaux. Au lieu de simplement se plaindre du fait que son petit frère entre au lycée en même temps qu’elle, Callie dépasse immédiatement ce stade pour nous donner une vraie réflexion sur le choc des cultures entre la normalité, et l’anormalité, lorsqu’elles cohabitent dans un milieu comme le lycée.
Et c’est bien de normalité qu’il est pleinement question. Callie ne pourrait pas être une adolescente plus passe-partout. Elle veut s’habiller à la mode pour faire comme tout le monde, elle veut pouvoir larguer son petit copain Spence (pas de bol, il la devance) pour faire comme les copines (et notamment Beatrice, qui subit un changement radical pendant les vacances d’été et passe de copine asiatique geek à pure bombe au désespoir de Callie), etc, etc, etc… C’est de toute évidence une obsession pour la jeune fille, et chaque fois qu’elle est en présence de ses parents avec son frère, on sent qu’elle est l’étalon de la normalité qui rend, en quelque sorte, ses parents encore plus attentifs aux prodiges de Nathan. Et que ça la fait drôlement enrager de voir comment ils traitent le petit.
Est-ce de la jalousie ? Callie a une très intéressante anecdote à ce sujet : « My dad loves to tell people that when Nate was 6 months old, I almost drowned him in a flower bed by watering him with a water hose. It’s a good story, and it definitely sets up the whole Callie-hates-her-brother-for-being-a-genius thing. But then my dad tells them that when pressed for motive, little Callie answered « I was just trying to make him grow up », which they think is cute and sort of stupid, but not so evil. I guess that what they forget is : there’s nothing worse than growing up ». En renvoyant à la normalité et aux généralités, et en balayant toute notion selon laquelle elle serait jalouse de son frère, Callie devrait piquer notre curiosité, au lieu de ça on se dit qu’elle est juste décidément fadasse et nettement moins intéressante que Nathan.
Le petit garçon en question est effectivement brillant. Pendant une bonne moitié du pilote, il semble être simplement un petit être apathique uniquement capable de sauter dans un cerceau. Son intelligence n’a pas l’air de beaucoup le servir. Il ne sourit jamais. Il ne montre pas de signe ni de peur, ni d’agacement, ni de quelque émotion que ce soit. Un gamin derrière une immense carapace intellectuelle. Les choses s’éclaircissent au fur et à mesure, heureusement, alors que le gamin se prend visiblement d’affection pour tout ce qui ressemble à un modèle masculin, ou encore avec, vers la fin de l’épisode, la visite du directeur d’une école spécialisée, lequel lève le voile sur une partie de la personnalité de Nate qu’on avait éventuellement sentie, mais certainement pas définie avec autant de clarté : le gamin est peut-être brillant, mais il ne trouve son confort que dans le passé. Langues anciennes, inventions de jadis, il est allergique aux ordinateurs et même aux stylos-bille… il refuse d’aller de l’avant, parce qu’il est angoissé par l’avenir. C’est une jolie révélation parce que ça craque bien mieux la carapace que l’anecdote sur les difficultés de sommeil que Callie mentionne à un moment (et qui est plutôt un éclairage parmi quelques autres sur la fascination de Nate pour Shakespeare).
Dans tout ça, les parents font figure de chouettes bobos sans intérêt. Le père, prof d’anglais, n’est pas exactement un génie, mais il a l’amour des livres et a le plaisir de partager ça avec son fils, au sujet duquel il a tendance à être un peu aveugle, enfermant Nathan dans le rôle du gamin doué sans jamais rien remettre en question. A l’inverse, la mère, violoniste, n’a jamais fait d’études, mais a été repérée très jeune dans le monde de la musique et, comme le veut la caricature artiste=âme sensible, elle est beaucoup plus attentive à l’état d’esprit de chacun, bien qu’elle ait un mal fou à comprendre Callie et communiquer avec elle (c’est l’âge, me direz-vous).
A un certain moment du pilote, on pourrait se dire que les portraits étant dressés, tout est dit. Ce n’est pas le cas, grâce aux analyses très fines de Callie, qui se montre peut-être très normale, mais pose un regard très méticuleux sur ce qui se passe autour de son frère. Elle dit et/ou montre plusieurs fois qu’il s’agit de veiller sur lui, mais on a l’impression d’une certaine fascination pour la popularité de son frère.
On n’en trouve l’éclairage réel qu’à la toute fin du pilote. Une fois les parents sortis, Nate s’installe au piano dont personne ne se sert, rejoint par sa sœur qui entame un magistral solo, et confesse en voix-off que cette histoire de prodige, c’est une affaire de famille.
La normalité de Callie est feinte, et son obsession pour elle n’est que la preuve de son attachement à dissimuler son don. Ce qu’elle a observé chez son frère, elle a le talent de trouver un moyen de ne pas le vivre. C’est ça, le véritable sujet de Prodigy. Pas le don de Nathan et la prétendue jalousie de Callie, mais bien la conséquence des dons de chacun des enfants, aucun des deux ne le vivant de la même façon.
Alors pourquoi ai-je dit, avec cette intrigue si originale et ce propos si intéressant, que je comprenais pourquoi Prodigy n’avait jamais vu le jour en tant que série ?
Parce que déjà, c’est incroyablement bavard, limite branlette intellectuelle… imaginez-vous : dans un projet pour la WB ! Bon alors je sais, 2004 c’était aussi l’année de Jack & Bobby, mais quand même, ça le faisait pas trop.
Et puis, on passe le pilote à se demander « ouais, et alors ? », jusqu’à ce que le twist de fin, au piano, nous mette le nez dedans, et encore on sait pas vraiment quelle genre d’intrigues on pourrait tirer de là. Toute une saison là-dessus, je veux bien qu’on me montre les papiers qui vont bien pour comprendre où l’équipe voulait en venir et quel genre de péripéties pouvait bien intervenir dans les épisodes suivants.
Mais le vrai problème, c’est surtout qu’il ne se passe rien, pas d’action, même pas une petite engueulade digne de ce nom, on dirait que quelqu’un a voulu écrire Angela, 15 ans, mais sous tranquillisants (et c’était déjà pas la série la plus péchue au monde). Je félicite Prodigy pour son pitch, son twist, ses personnages (enfin surtout les enfants), et son thème franchement intéressant et pas vraiment exploité jusque là, puisqu’en général quand il y a un génie quelconque à la télé, il finit par résoudre des enquêtes. Mais on s’emmerde ferme. On se fait même chier GRAVE. Ca manque douloureusement de rythme, d’émotion, bref, l’électrocardiogramme est plat, et je n’ai aucune peine à imaginer les retours de test sur le pilote, ça ne pouvait pas marcher en l’état.
En gros, l’idée était bonne, mais dés le scénario lui-même il y avait un problème, avant même de s’en prendre à la réalisation. Par contre en prose, ça doit être excellent à lire. Mais là, vraiment, tout un pilote comme ça, c’était juste pas possible.
Quand on sait qu’avant d’être tourné, un scripte de pilote a tendance à faire des aller-retours entre le scénariste et la chaîne, et qu’il peut y avoir plusieurs réécritures pour tout ou partie du scénar, on comprend que plus rien ne pouvait être fait en l’état pour sauver Prodigy. Probablement même que la première version du script était épatante, j’en sais rien, mais là, avec la touche adolescente omniprésente (était-il nécessaire d’insister autant sur cette connerie de rupture dont franchement on n’a rien à battre ?), ça rajoute des longueurs plus qu’autre chose juste pour détailler le personnage. Nan mais, bon, ça va quoi, on est peut-être pas des petits prodiges, mais on a pigé. C’est un épisode d’exposition mais il n’est pas interdit d’approfondir les personnages ensuite, non plus.
Donc en dépit du pilote appréciable, et de l’excellentissime idée qui en est à l’origine, il faut dire ce qui est, Prodigy est un ratage. Pas une grosse bouse merdique dont on rira encore dans des années pourvu d’avoir accepté de perdre quelques minutes pour le regarder (ce serait plutôt Ice, un autre pilote unaired que j’ai cagoulé récemment), mais il n’y a pas de quoi regretter amèrement le rendez-vous manqué de la série avec les grilles de la WB.
Reste que des séries originales comme ça, quelques fois, on voudrait en voir une (plus aboutie et moins molle, si possible) arriver dans les grilles une fois de temps en temps. Parce que je jure que si je dois écrire ne serait-ce qu’une fois de plus dans un résumé que le personnage est un « détective de génie » ou qu’il a un « don d’observation hors du commun », je ne réponds plus de moi.