Il existe un travers impardonnable pour un pilote : sa lenteur. On ne pourra pas faire ce reproche au pilote de Soredemo, Ikite Yuku : l’histoire est tendue vers un but et un seul, et les choses sont en fait assez rapides. Et c’est, en fait, ainsi qu’on obtient un autre travers impardonnable : l’impression de prétexte. Comme si tout était balayé pour pouvoir arriver à une situation, celle qui permet à ses deux héros de se rencontrer et s’ouvrir l’un à l’autre. Dans une comédie romantique, la chose serait ridicule. Dans le registre dramatique, on a juste l’impression d’un gâchis.
Ainsi, Soredemo, Ikite Yuku rate ses occasions d’être émouvante, tout ça parce qu’elle veut nous mettre dans une certaine disposition d’esprit et, pour cela, la série prend des raccourcis.
Pourquoi l’héroïne se retrouve-t-elle à coller aux basques du héros ? Parce que le scénariste avait besoin qu’elle assiste, impuissante, à la douleur de cet homme et de sa famille pendant tout le pilote. Le héros doit pouvoir se livrer à elle à propos de son deuil sans la moindre ombre de méfiance pour que la leçon porte ses fruits, et c’est ce qu’il fait. Tout cela sonne un peu faux (surtout dans un Japon où l’on a si souvent tendance à maintenir les apparences et ne pas accabler l’autre avec ses états d’âme sombres), mais il faudra surmonter le sentiment d’incohérence pour continuer à suivre l’histoire, car l’auteur ne s’arrêtera pas à ce détail.
Le scénariste a besoin qu’elle en passe par là pour sa démonstration, alors nous y voilà, bon gré mal gré, avec un personnage qui semble n’être là que pour s’en prendre plein la gueule de la part du héros, sans même que celui-ci sache le mal qu’il est en train de faire. Ce n’est que justice d’accabler ainsi la soeur du coupable, dans cette étrange forme de mentalité nippone, qui semble si normale (forcément), et qui consiste à faire payer le prix de la honte 15 ans après à toute la famille, même à la petite soeur qui n’était pas née au moment des faits. C’est totalement acceptable de faire souffrir la famille du tueur, et le scénariste se venge, lui aussi, en imposant à l’héroïne d’assister au grand déballage sans oser rien dire. Elle doit souffrir parce que sa responsabilité commence maintenant : quand elle commence à être désolée pour la famille de la victime, sans cesser d’aimer son frère le meurtrier, le scénariste en a voulu ainsi.
La rédemption de la soeur du tueur ne passera pas par lui. Ce n’est pas son propos : il veut que la fille souffre. Il veut faire peser la culpabilité sur la soeur du tueur, et qu’il soit impossible de vraiment ressentir de la peine pour elle.
Ce n’est pas vraiment comme si on pouvait compatir au drame du héros, en face d’elle, qui semble tellement manquer d’un minimum de délicatesse, et commence à déballer, au bout d’à peine 20mn d’épisode, les raisons pour lesquelles il est, aujourd’hui, 15 ans après le meurtre, toujours puceau (euh, quoi ?!) à une parfaite inconnue, juste pour pouvoir expliciter tous les enjeux que le scénariste n’a pas su poser avec plus de tact que ça. Déconnecté de ses propres émotions, à la fois conscient du drame que son histoire représente mais incapable de réagir comme s’il était vraiment touché, il ne procure rien au spectateur. Seul le jeu emprunt de douleur sourde d’Eita touche le spectateur ébahi par ce déballage, et encore, on sent que c’est uniquement parce que l’acteur avait quelque chose à exprimer qui lui était personnel. Il n’aurait jamais eu la force de faire un come back dans une comédie romantique quelconque ; le scénariste n’a aucun mérite dans cette émotion, donc.
Ainsi va le pilote de Soredemo, Ikite Yuku. Pas vraiment touchant. Pas vraiment critique. Pas vraiment construit pour présenter la moindre forme de suspense non plus. Juste tendu vers un but, et un seul : tenter de donner des airs de tragédie grecque à une histoire qui aurait pu être mieux troussée, mais n’est qu’une accumulation de clichés typiques du drame-dramatique-qui-fait-pleurer.
L’épisode aurait pu être bon entre les mains d’un auteur plus délicat. Il faudra se contenter de ce résultat-là… ou ne pas s’y résoudre, et passer à autre chose cette saison. Faire le deuil d’une série qui aurait pu être bonne, en somme.
Ca sent bon la tragédie grecque ce drama, ca ne me tente pas des masses… et ta review me conforte dans ma décision !
Aïe.
Moi qui espérait un drama bien écrit et neutre (les deux parties souffrent d’un même événement) pour un tel sujet, ça a l’air mal barré (surtout que c’est tout à fait anormal de la part d’un Japonais -ou même n’importe qui dans une telle situation- de tout déballer à une parfaite inconnue). Zut et zut ! Y avait vraiment du potentiel pourtant. Je comprends mieux les faibles ratings.
Ah nan mais j’en croyais pas mes yeux, le personnage d’Eita qui commence à raconter comment sa soeur est morte, pourquoi depuis il n’a jamais eu de relation sexuelle… mais euh, WTF j’ai envie de dire ?! Après ça peut être un parti-pris, j’y ai réfléchi après et je me dis que ça peut être intéressant, finalement, un personnage complètement décomplexé et libéré du carcan social qui pousse à garder son intimité pour soi, mais si c’est le choix il n’est pas assez explicité. Non, au vu de ce pilote, comme tu le dis, les audiences s’expliquent.
Le problème, c’est qu’on n’attend pas du drama un héros libéré du carcan social (surtout que la société ne joue aucun rôle dans la disparition de sa soeur, si ? Ou alors plutôt une approche du genre, peut-on établir des liens avec la famille du tueur de sa propre soeur quand la société prône plutôt la distance dans ce cas ?) mais une réflexion sur la mort, le deuil et le pardon (qui sait ?). Bref, de la réflexion. Après, je ne dis pas qu’un héros libéré soit inintéressant, loin de là, mais j’aurais préféré un drama sur cette thématique, pas une sorte de mélange sans lien. Là, tel que tu le présentes, ça m’a tout l’air d’une histoire « prétexte ». Alors est-ce une volonté de la chaîne ou du scénariste (dans ce cas-là, faire appel à un autre aurait peut-être été mieux)? Dommage pour les acteurs et pour moi qui pensait que la chaîne chercher à innover, à l’instar de WOWOW ou Tokyo TV.
Je ne pense pas que le sérieux/l’originalité du traitement soit une question de chaîne. Mother était sur NTV, Namae wo Nakushita Megami sur… Fuji TV. On est d’accord : TV Tokyo fait de gros efforts depuis quelques saisons, et WOWOW est quasiment impeccable dans son choix de sujets. Mais dans l’ensemble je pense que c’est quand même essentiellement la faute de l’auteur (pourtant Yuuji Sakamoto, auteur de… Mother).