Il est naturel d’hésiter à regarder un remake ; c’est un dilemme qui survient souvent quand on a apprécié la série d’origine. Mais plus encore, quand on ne l’a pas aimée, l’hésitation est compréhensible.
Après quelques jours de profonde introspection téléphagique (« mais si je ne regarde pas un pilote qui passe à ma portée, ai-je encore le droit de me plaindre de tous les pilotes que je ne vois jamais ?! », oui je manquais de sommeil et j’étais assomée par la chaleur, passons), j’ai fini par me résoudre à regarder le pilote de Wilfred, la série américaine, après avoir ressassé mes souvenirs de Wilfred, la série australienne. Vous en vous souvenez peut-être, c’était avant que je ne poste quotidiennement ce weekend (vous inquiétez pas, moi aussi, ça m’a fait un choc).
Le truc, c’est qu’à part leur pitch de départ (un homme voit le chien d’une jolie fille comme un égal avec qui il peut interagir comme s’il était humain), ces deux séries ne pourraient pas être plus différentes l’une de l’autre.
Sur l’aspect théorique, je n’ai pas encore décidé si c’était une bonne ou une mauvaise chose. Qu’un remake décide de s’écarter autant de l’original est rarement bien accepté, mais dans ce cas précis, c’est peut-être une bonne idée vu la bizarrerie un peu imperméable de la version australienne. L’appropriation n’est pourtant pas tellement culturelle, comme on peut s’y attendre pour Homeland/Hatufim et comme on l’a vu pour les deux versions de Shameless. C’est plus une question de ton, de personnages… et au final, de propos lui-même.
Là où le pilote du Wilfred australien jouait sur une ambiance d’angoisse, limite de thriller, ce qui était souligné par les nombreux fondus au noir, les effets sonores oppressants et les décors claustro (très peu d’extérieurs, et dans ce cas toujours très encadré par des palissades et des obstacles)… la version américaine, forcément californienne et ensoleillée, est pleine de grands espaces, de ciel dégagé, de couleurs, de verdure, et joue sur une bande son typique de dramédie.
Et puis, on s’aperçoit que l’histoire même a changé : le clébard australien débarquait alors que le héros se tapait déjà la fille, créant une atmosphère de jalousie progressivement explicitée, avec un véritable triangle ; le chien-chien américain se focalise sur notre héros alors que celui-ci n’est que le voisin de sa maîtresse, avec qui les interactions sont (pour le moment ?) limitées, recadrant la série sur le personnage masculin et ses névroses plutôt que sur le danger que représente le meilleur ennemi de l’homme.
Bien-sûr, dans les deux cas, le personnage de Wilfred n’est ni tout noir ni tout blanc, et on le doit à la prestation maîtrisée de Jason Gann qui (mais s’attendrait-on à autre chose de quelqu’un qui interprète cet étrange animal depuis des années ?) est absolument parfait, à la fois destabilisant et chaleureux, affectueux et hargneux, bref, parfait en chien. Mais l’emploi est radicalement différent car dans la version américaine, Ryan pense s’en faire un ami, et trouve en lui la force de s’affirmer, tandis qu’Adam sent tout de suite que Wilfred n’est pas son allié et sympathise avec lui, mais avec prudence.
C’est un parti pris intéressant, d’ailleurs, que Wilfred soit à ce point pour Ryan le moteur d’un changement personnel, comme si Wilfred était une sorte d’ange d’épaule, alors que pour Adam, la relation se fait plutôt d’égal à égal. C’est ce qui, au final, change tout. Il y a certes une part de personnalité là-dedans : Adam est un type normal, Ryan est complètement angoissé, et du coup la relation à Wilfred est différente ; mais c’est aussi toute la symbolique de Wilfred qui en est changée.
Au lieu de personnifier l’angoisse d’une relation nouvelle (dans la version australienne, et puisque Adam se tape déjà la maîtresse de Wilfred, celui-ci évoque les ex de Sarah dés le pilote, et notamment celui qui est mort dans un accident), ici le toutou est surtout là pour personnifier l’angoisse. C’est moins universel, mais le propos est bon tout de même, parce que rondement mené. Simplement, des personnages plongés dans les affres de la dépression, on en a déjà vu pas mal, et il faudra plus qu’un chien qui parle avec un accent australien (j’ai adoré le petit sursaut de Ryan après le mini-suspense, c’était facile, mais c’était bien joué) pour innover vraiment sur le terrain ; cependant je crois la série capable d’en faire quelque chose de bien, à terme.
En outre, dans le pilote, l’insistance sur les substances ingérées par les deux protagonistes aboutit à des conclusions différentes. Dans la version australienne, c’est l’une des rares choses sur lesquelles les deux personnages s’entendent immédiatement. Dans la version américaine, le doute planne pendant un long moment quant à savoir si l’ingestion de médicaments est la cause d’hallucination ; tenter d’expliquer, même temporairement et pour se contredire ensuite, l’existence-même de Wilfred, est d’ailleurs un peu dommageable a priori, même si dans le faits, le résultat rend plutôt bien en fin de compte.
Enfin, l’ajout de personnages secondaires (la soeur du héros, le voisin motard) me laisse pour le moment circonspecte. Il est vrai que je n’ai vu que le pilote de la série originale, et que j’ignore si ces personnages sont intégrés ensuite, de près ou de loin, à l’intrigue. Mais j’ai trouvé la soeur hystérique et le voisin caricatural, et je vois mal leur apport à la série.
Cependant, les deux Wilfred sont à ce point différentes l’une de l’autre, que je ne peux pas dire que ce soit foncièrement une mauvaise chose.
Je me suis posé la question de savoir si j’étais trop formatée pour apprécier la série australienne. Le fait que j’ai apprécié le remake US accentue cette question, car il s’avère que, en dépit de quelques défauts, elle est plus agréable à suivre.
Mais idéalement, j’aurais apprécié un juste milieu entre la bizarrerie extrême de Wilfred Australie, et le côté un peu lisse et attendu de Wilfred US.