Il m’aura fallu un peu tâtonner, mais j’ai trouvé le premier dorama solide de la saison printannière.
Et pourtant le sujet était casse-gueule, car peu de séries japonaises peuvent se vanter de se frotter au monde de la petite enfance et/ou de la maternité sans mièvrerie. Pour nous sauver tous, voilà donc Namae wo Nakushita Megami, une série qui ne payait pas de mine et donc le pitch laissait présager du pire comme du meilleur. Souffrez donc que je coupe court au suspense : l’option retenue, c’est le meilleur.
Pourtant, tout commence plutôt mal, par une scène d’enlèvement. En fait, la scène est très bien filmée, mais elle est quand même un peu cliché : celle d’un enfant qui se perd dans la foule et qu’une femme profite pour enlever ; tout cela sans voir un seul visage, avec un côté suspense un peu irritant, car à la base, on n’attendait pas un thriller sur l’enlèvement d’enfant, mais bien un catfight entre mères au foyer qui se font la guerre par enfants interposés.
Si elle agace, cette scène surprenante va en fait donner le ton : la série ne joue pas dans un registre doucereux, mais va en permanence tenter de nous déstabiliser. Et la plupart du temps, elle y parviendra, en fait.
La phase suivante est dédiée à nous faire croire au conte de fées moderne de la femme épuisée par ses responsabilités de mère alors qu’elle mène une vie professionnelle intense, et qui va se ranger (à la demande subtile mais appuyée de son époux) pour s’installer dans un nouveau quartier et devenir une mère au foyer comme tant d’autres. La charmante Yuuko n’est visiblement pas sûre que cette vie soit pour elle, elle a même encore le souhait de travailler, mais elle se dit qu’une vie meilleure, parce que plus simple, l’attend dans leur nouvel appartement.
Et c’est là que la voix off entre en jeu. Elle est importante cette voix off parce qu’elle est l’un des deux héritages majeurs du pilote de Desperate Housewives, que la prod de Namae wo Nakushita Megami a de toute évidence étudié avec intérêt. Je ne suis pas en train de vous dire, toutefois, qu’on assiste ici à une ressucée. Je crois plutôt que, de la même façon que Borgen a étudié A la Maison Blanche, et que Koselig Med Peis a étudié Six Feet Under, pour affiner leur rendu respectif, Namae wo Nakushita Megami a pioché dans le pilote de Desperate Housewives quelques idées sous-exploitées et a décidé d’en faire bon usage.
A la façon d’Utsukushii Rinjin, c’est du statut social de la mère au foyer dont va finalement parler la série, sous couvert de rebondissements provoqués par les aspects thriller, là aussi.
Car l’héroïne, Yuuko, s’apprête à découvrir qu’autour de la classe de maternelle de son fils, il existe une sorte de société secrète constituée par l’élite des mamans de la classe, et qu’une fois qu’on approche ce club très fermé, on n’en sort pas indemne. Apprenant à ses dépens qu’on n’éduque pas un enfant pour le rendre heureux, mais pour s’attirer l’admiration et la reconnaissance sociale de ses pairs, Yuuko va vite déchanter sur le monde si paisible qu’elle pensait intégrer en quittant le monde professionnel.
Car elle a raison, Yuuko : quand on pousse trop son enfant, c’est plus souvent une question d’ego que d’autre chose. Et derrière les sourires de façade et les après-midi passés à un thé à la main, toutes ces mamans ne rêvent que d’une chose, exister aux yeux des autres mères. Quoi qu’il faille faire pour cela.
Les personnages que rencontre Yuuko ont ainsi chacune leur envie de paraitre, leur image soigneusement pensée et affinée, jusqu’à la caricature de soi-même, même s’il fallait en crever de chagrin une fois seule. Torture infligée au nom des applaudissements qu’on attend de la part d’une communauté de gonzesses dont on sait très bien que, une fois le dos tourné, elles se lâcheront sur votre compte comme vous l’avez fait sur le leur, mais qu’importe. Pourvu de recevoir des félicitations par devant, qui se soucie de ce qui se dit par derrière…
Adieu le monde convivial d’Utsukushii Rinjin, ici c’est le nid de serpents. Et Yuuko, qui n’est pas une oie blanche mais qui ne pense pas à mal, va certainement s’offrir encore de belles déconvenues d’ici le final. Elle n’est pas assez méfiante, ça se sent. Et les alliées qu’elle pense trouver au sein de ce groupe, on le devine, ont certainement des intentions cachées, elles les cachent simplement mieux que d’autres qui paraissent plus antipathiques à Yuuko.
Pourtant, les mères qui semblent les plus vicieuses à l’égard de Yuuko sont aussi celles qui ont, certainement, le plus de souffrances inexprimées. En reine des abeilles, Reina Motomiya est par exemple parfaite en apparence, avec cette façon qui semble toute japonaise d’humilier les gens en restant la plus polie du monde, et pourtant c’est aussi le personnage le plus touchant du groupe. Il y a là les bases pour une exploration glaciale de plusieurs questions, et on sent d’ailleurs dés le pilote que la série va s’y engouffrer sans tabou, comme en témoigne le message que laisse Reina sur internet, le seul endroit de la planète où elle peut être anonyme, donc où elle peut cesser de faire semblant.
Eh oui, ce que dit Namae wo Nakushita Megami, et c’est la première fois que c’est aussi criant dans un dorama que je vois, c’est aussi que le rêve doré de la maman qui prend soin de son enfant et qui est heureuse ainsi, il a vécu. L’illusion tombe en lambeaux pendant tout l’épisode, et plus particulièrement à la fin du pilote, où il se prend une bonne claque. C’est même violent pour le spectateur, parce que même si on se doutait qu’il se passait des choses pas très claires, on n’aurait pas imaginé que l’héritage de Desperate Housewives soit aussi celui-là.
Cependant, le dorama Namae wo Nakushita Megami n’est pas exempt de défauts, à ce stade. La réalisation, notamment, pose problème : on sent une volonté d’essayer de sortir des poncifs du genre, de trouver un rythme et une réalisation nerveuse mais permettant aux échanges de garder leur rythme lent, mais les effets semblent plus surchargés qu’autre chose, c’est notamment visible à la toute fin du pilote où il y a lâchage sur les plans tournés dans tous les sens et les effets de filtres. Ca partait d’une bonne intention, mais après tout s’il y a bien quelque chose à retenir de Namae wo Nakushita Megami, sur la forme comme sur le fond, c’est qu’il faut se méfier des bonnes intentions. Ponctuellement, la réalisation en fait donc trop et c’est très dommage, car la plupart du temps ça reste tout de même très correct.
Et puis, il y a encore et toujours le rôle du mâle. Si on me disait que Fuji TV ne s’attend pas à ce que la série soit regardée par un seul père, je ne serais pas plus choquée que ça. Là encore, comme dans Utsukushii Rinjin, les pères sont trop loin, trop déconnectés de ce qui se passe dans la vie de leur épouse. ils sont soit des dangers potentiels, soit des gens extérieurs aux préoccupations des mères et ne comprennent rien à rien. Même si d’une certaine façon je conçois que ce soit aussi une réalité, j’aimerais que se développe une relation moins caricaturale dans les prochains épisodes, et il ya suffisamment de couples pour qu’au moins un me donne satisfaction à un moment ou à un autre. Même celui de Yuuko est à ce stade trop caricatural.
Mais je l’ai dit, Namae wo Nakushita Megami, parce qu’elle a décidé de ne pas faire de quartiers, et parce qu’elle fait preuve d’une certaine ambition, montre qu’elle a du potentiel. Je serai donc devant ce printemps, et ne saurais que trop vous conseiller d’en faire autant si vous voulez voir de gentilles maman se planter quelques poignards dans le dos.
Référence drama-esque dûment notée ! Ta review a vraiment aiguisé ma curiosité, surtout cette illusion du rêve doré de mère au foyer dans une série japonaise (il faut vraiment que je creuse plus cette thématique de la famille dans les jdramas, j’en ai vu très peu jusqu’à présent). J’essaierais donc de le programmer en juin (je suis repartie en Corée du Sud pour quelques semaines), même si mon allergie à Desperate Housewives s’est un peu réveillée avec tous ces parallèles (pour me vendre une série, surtout éviter ces deux mots ) ^_^