Mildred, oh, Mildred. Ca y est, j’ai compris. J’ai mis le doigt sur ce que je n’aimais pas chez toi. Mais alors, vraiment pas !
Définir ce qui m’a plu a par contre été rapide : ton époque. Un délice de musiques, de vêtements et, surtout, quel bonheur, de voitures. Si j’avais vécu à ton époque, Mildred, j’aurais conduit une voiture (alors qu’à la mienne, vraiment, rien à faire). Une charmante petite traction avant toute rutilante… mais je m’égare.
Donc oui, pendant 5 épisodes, je suis essentiellement revenue pour ces petits éléments, ceux qui, dans la plupart des autres fictions historiques, ont d’habitude la particularité de me donner le sentiment qu’on a passé plus de temps à la reconstitution du cadre qu’à l’histoire, mais là, les voitures sans doute, toujours est-il qu’on ne m’a pas vue me plaindre. Les voitures, certes, mais aussi l’espoir de te revoir cuisiner, Mildred, comme dans le pilote, si ce n’est plus. Mais sur ce chapitre, mes espoirs ont été bien déçus.
Donc, Mildred, j’ai compris le problème de fond. C’est que tu es une faible.
C’est sans doute dur à entendre, désolée, mais le coeur du soucis est là.
Oh bien-sûr, ponctuellement, tu tapes du poing sur la table. Mais en général, c’est après avoir serré les dents un peu plus longtemps qu’à ton tour.
En fait, ce que je voudrais te dire, c’est que tu as infiniment plus de patience que la spectatrice que je suis. Bien que je ne sois pas sûre qu’on puisse encore parler de patience à ce stade. Sauter à la gorge de ta sale môme ? Si j’avais été à ta place, la série serait déroulée en prison dés le début du pilote. Détestable petite créature… Te débarrasser de ton profiteur d’amant ? Pardon mais tu as vraiment pensé avec ton entrejambe, sur ce coup. Et entre nous soit dit, il y a quelques personnes de ton entourage que j’aurais remises à leur place.
Est-ce un problème d’interprétation, ou d’écriture ? Ton personnage se bat pour s’en sortir, et pour progresser socialement, et pourtant il apparait comme faible, manquant de détermination, influençable, naïf. Et en fait, j’ai bien senti que tu t’étais donnée du mal, que tu avais travaillé dur à un moment, mais dans le fond, je n’ai pas saisi pourquoi. Pour satisfaire les désirs démesurés de ta fille aînée ? Parce que l’alternative, c’était de servir des tables toute la journée ? Tu n’as pas d’envie, pas de but, pas d’objectif bien à toi, tu n’avances qu’une fois qu’on t’a indiqué dans quelle direction le faire, en bon petit soldat. Si ce n’était pour Veda, jamais tu n’aurais construit ton petit empire ; la vérité c’est que sans cette odieuse gosse, tu n’aurais été capable de rien.
Mais je ne t’en veux pas, Mildred. Je crois que notre incompatibilité fondamentale vient des générations qui nous séparent. Mildred Pierce n’a pas connu la révolution sexuelle, les temps forts du féminisme, ou le girl power. Et je ne peux tout de même pas te reprocher d’être née à une époque que j’aime tant. N’avoir pas connu tout cela n’implique pas que tu devais nécessairement devenir une chiffe molle, et ça n’a pas été le cas, simplement il te manquait, pour prendre tes décisions, cette assurance et ces acquis sur lesquels moi, je peux à peu près compter.
Je crois que c’est en cela que nous différons, Mildred : les combats qui nous séparent, et m’autorisent à penser différemment, juste un peu, juste assez. Mais personne ne t’a appris à ne pas te laisser faire, Mildred, et c’est pour ça que tu ne réagis (excessivement, bien-sûr, comment en serait-il autrement ?) que quand la couple est vraiment pleine, et que tu ne peux plus prendre sur toi, plus regarder ailleurs, plus serrer la mâchoire, plus articuler un soupir pour éviter le conflit.
Tu es faible à mes yeux, parce que d’une certaine façon, tu étais seule. Indépendante, intelligente, et en phase avec tes désirs de femme : pas une chiffe molle, je l’ai dit. Mais il te manquait les clés.
Alors, tout bien réfléchi, je ne suis pas si fâchée que ça. J’ai presque de la tendresse pour toi, et j’apprécie que tu nous aies dévoilé ces quelques années de ta vie, nous montrant honnêtement le parcours d’une femme qui n’était ni complètement soumise, ni tout-à-fait une battante, pas une femme pleine d’audace et de détermination prête à retrousser ses manches pour faire ce qu’elle a décidé quoi qu’il arrive, juste une femme qui n’allait quand même pas se laisser aller, mais qui n’avait pas l’âme d’une courageuse. Une femme comme il y en a tant, qui a dû faire avec les circonstances, et qui a fait du mieux qu’elle pouvait.
Oui, souvent, tu m’as irritée. Mais finalement, je voudrais en voir plus souvent à la télévision, des héroïnes comme toi. Des femmes qui ne sont pas des warriors, des Catherine Courage qui ont un but dans la vie que rien ne saurait en détourner, des femmes fortes et charismatiques, assurées et ambitieuses pour elles-mêmes, qu’on a envie d’admirer.
Mais qui ont un je-ne-sais-quoi de « trop » fort pour être vraies.
Il y a eu bien plus de Mildred Pierce qu’il n’y aura jamais de Buffy Summers.
Ou de Veda Pierce.