C’est vrai, c’est vrai : je ne consacre pas de posts à des saisons entières. Ou disons qu’aucun de mes posts ne s’intitule ou ne comporte de tag « Bilan de saison » [edit : maintenant si !]. Tout simplement parce qu’en général, lorsque j’ai vu une saison, je ne ressens pas nécessairement le besoin d’en faire un bilan (même si ça s’est quand même déjà produit), une rétrospective, appelez cela comme vous voulez. De la même façon, on ne trouve pas sur ce blog de review épisode par épisode mais plutôt des posts, çà et là, consacrés à un épisode ou une suite d’épisodes qui m’ont marquée, fait réagir ou déclenché une forme de réflexion ou une autre. Mes visionnages s’inscrivent dans l’intégralité de ma consommation téléphagique, et pas en tant que série prise individuellement (ce qui explique également qu’il soit rare que je ne mentionne qu’une série dans un post, les tags sont assez parlants à cet égard).
Je conçois que ce soit un peu étrange, quand la plupart des autres blogs téléphagiques sont si structurés. Simplement ça me semble impossible : parce que je ne me sens pas assez rigoureuse, parce que je ne me sens pas assez régulière, parce que je n’aime pas donner de spoilers dans un post (j’essaye d’éviter mais quand on parle de toute une saison, comment faire ?), et parce que tout simplement je n’aime pas m’obliger à me concentrer sur une saison comme s’il s’agissait d’une entité à part entière.
Mais je vais essayer de vous proposer quand même, une fois de temps en temps, en tous cas plus souvent qu’avant, une vue d’ensemble résultant du visionnage d’une saison et/ou d’une série, quand l’humeur s’y prêtera ou que je le jugerai possible.
En l’occurrence, pendant cette saison hivernale, je vous ai peu voire pas parlé de dorama, rapport au fait que déjà la saison était assez peu appétissante dans l’ensemble, et aussi parce qu’elle a coïncidé avec une forte baisse de ma motivation, qui s’est traduite par plein d’autres conséquences pour mes visionnages, et donc ce blog.
Alors je me suis dit que j’allais me pousser un chouilla à vous parler quand même un peu d’Utsukushii Rinjin, un petit thriller de Fuji TV que j’ai achevé cette nuit, et au générique duquel on pouvait retrouver Yukie Nakama, plus belle que jamais et bien plus à son avantage que dans Untouchable. Série dont d’ailleurs j’ai fait un post de bilan de saison. Voyez, ça m’arrive !
La genèse de cet angoissant face à face commence un après-midi d’été, en banlieue éloignée de Tokyo, alors qu’un petit garçon échappe à la surveillance de sa mère, laquelle se lance à sa recherche, sans succès. Lorsque son mari rentre à la maison, tous les deux sont appelés au poste de police afin d’identifier le corps d’un petit garçon retrouvé noyé dans une mare. Fort heureusement, ce n’est pas le leur : Shun est vite retrouvé, perché dans un arbre dont il n’avait pu redescendre. Un an plus tard, pourtant, cet incident donne toujours des angoisses et des cauchemars à sa mère, Eriko, qui l’a d’ailleurs inscrit à un cours de natation. Dans le doute, voyez.
Nous sommes donc un autre soir d’été et la voisine d’Eriko, Kana, s’apprête à déménager pour Oosaka avec son mari. C’est la fin d’une ère pour Eriko, Kana, et leur amie Mayumi, trois trentenaires inséparables qui vont devoir s’ajuster à cette situation nouvelle. Car si Mayumi et Eriko emmènent toujours leurs enfants respectifs à la garderie et à la piscine, désormais les choses ont vraisemblablement changé. Dans l’ancienne maison de Kana, c’est vite le défilé de nouveaux occupants potentiels, avant que la très belle et très douce Saki finisse par y poser ses valises ; une nouvelle tête qui tombe à point nommé pour Eriko, qui rapidement se lie d’amitié avec elle.
Saki emménage seule, mais explique être l’épouse d’un Américain travaillant au loin. Elle n’a pas d’enfant, mais elle les adore, c’est évident, et très vite elle se rapproche de Shun, offrant prestement d’aider Eriko, elle aussi seule à la maison puisque son mari Shinji travaille à Oosaka, et ne revient que, de temps à autres, le weekend. Isolées dans leurs deux maisons voisines mais un peu éloignées du reste de la ville, les deux femmes se lient et échangent, outre des coups de main, des confidences.
Bon, à partir de là, pour les spoilers, je ne peux plus rien promettre.
C’est sur cette base que s’épaissit le mystère Saki, qui dés sa première apparition, donne tout de suite le ton. Elle est à la fois terrifiante (mais bien-sûr on ne saisit pas totalement pourquoi) et absolument délicieuse. C’est la voisine idéale. Elle est charmante, toujours serviable, et une compagne parfaite pour une maman solitaire. Mais elle file quand même grave les jetons.
Naturellement ce n’est pas si simple. L’intérêt de Saki pour Shun est trop pressant, trop tactile, trop malsain. Et très vite le spectateur (ainsi qu’un observateur proche de tout ce petit monde, mais en retrait) en vient à se demander si Saki n’est pas la mère de l’autre petit garçon, celui qui est vraiment mort noyé. Et alors qu’on pensait avoir affaire à une femme dérangée et donc dérangeante qui souhaite « simplement » faire main basse sur le petit garçon qui a survécu, il s’avère rapidement que son objectif est plus sournois encore, alors qu’elle se rapproche à la fois d’Eriko à Tokyo, et de Shinji à Oosaka.
Parlons d’abord chiffons : au niveau de la réalisation, Utsukuhii Rinjin est dans la moyenne supérieure de la plupart des séries grand public. On est loin d’être dans une recherche esthétique poussée, mais force est de constater que la réalisation y est maîtrisée, et qu’elle s’agrémente de quelques bonnes idées franchement fascinantes. Il y a une scène pendant laquelle Saki décrit à Eriko la vision irréelle de lucioles sur un lac du Myanmar, qui s’avère absolument enchanteresse de simplicité et de grâce. D’autres petites trouvailles (comme une façon sérieusement épatante d’amener un flashback) ponctuent avec une subtilité bienvenue les épisodes pour leur donner ce fameux « petit supplément d’âme » qu’on attend tous d’une production propre. En bref c’est élégant, mais pas plus, rien de bluffant, juste de quoi améliorer l’ordinaire de vos yeux.
Ajoutez à cela une excellente bande-son (à l’exception de la chanson de fin d’épisode, assez efficace dans un autre contexte mais ici un peu trop teintée hip hop, qui donne l’impression que Fuji TV a acquis les droits juste parce qu’avoir les Tohoshinki pour signer un générique de fin, c’est vendeur), avec un thème assez classique pour un thriller, mais efficace, et une petite chanson lyrique pleine de légèreté mais devenant vite intrigante de par sa récurrence, et vous obtenez un résultat bien plus que décent.
Et maintenant, passons au coeur du sujet.
D’abord, si Utsukushii Rinjin fait un si bon travail, c’est parce qu’on construit un cadre sécurisant dans lequel la banlieue où vivent Eriko et ses amis est un petit coin verdoyant, presque un village, dans lequel tout le monde se connaît et où les mamans forment une communauté soudée qui se retrouve à la sortie de la garderie, à la piscine, au supermarché, au café… Bref, de vraies femmes au foyer pas du tout désespérées, qui forment une véritable communauté, fiable, solide, rassurante, chaleureuse. Les rapports cordiaux, et/ou de bon voisinage, permettent à chacune de ne pas avoir à vivre sur ses gardes : quand Eriko ne peut pas emmener son enfant à la piscine, Mayumi s’en charge, et quand Mayumi est indisponible, on peut toujours demander à… Saki. On s’invite à prendre un thé, un café, ou, s’il est un peu tard, on s’encanaille avec un verre de vin, pour tromper la solitude ou tout simplement vivre en bonne intelligence, mais en préservant en permanence les apparences, sans rien montrer de ses doutes ou ses craintes aux visages qu’on côtoie pourtant depuis des années. C’est en cela que l’arrivée de Saki s’inscrit à la fois dans une véritable mission d’infiltration, et à la fois dans une démarche totalement différente, car très vite elle pousse Eriko à se confier à elle, à lui confier son enfant, bref à brûler les étapes de la confiance.
Mais en tous cas, on sent que tout ce petit monde est parfaitement fréquentable, gentil, serviable, mon Dieu des voisins comme ça on en rêve, pas vrai ? Des gens bien.
D’ailleurs, si la série comporte essentiellement des tête-à-tête et des face-à-face, elle s’avère incroyablement efficace, et donne l’apparence de la spontanéité, dans les scènes de groupe. Dés qu’il y a quatre ou cinq personnages minimum, on a l’impression d’assister à des vraies rencontres de voisins, d’amis ou de famille, comme le dernier dîner de Kana et son mari à Tokyo avant de déménager, ou la petite fête familiale lorsque la mère de Shinji sort de l’hôpital. C’est toujours très vivant, et j’ai vraiment eu le sentiment que ça participait beaucoup à la construction de l’ambiance de la série, et à l’abaissement des défenses d’Eriko. Les échanges entre deux personnages seulement donnent vite une impression plus claustro, plus lourde, et plus rigide.
En cela, les expressions parfois figées de Rei Dan ou Yukie Nakama jouent parfaitement leur rôle, et le côté obséquieux du jeu de Nakama est parfaitement à sa place. Je l’avais déjà observé dans Untouchable, où sous des dehors extrêmement polie, elle s’attachait à extirper la vérité de ses interlocuteurs, mais cela avait souvent quelque chose de caricatural. Ici, quand les acteurs se détendent (à mesure que la série progresse en fait), ça se sent, mais on sent aussi que c’est pour appuyer sur quelque chose, servir mieux l’histoire. Ça m’est en tous cas apparu comme totalement voulu là où ça pouvait sembler forcé dans d’autres séries, ou disons, dans le cas de Nakama, du moins, puisque je connais un peu mieux ses méfaits. Comme Aya Ueto dans Nagareboshi, Yukie Nakama m’a semblé en grand progrès.
Utsukushii Rinjin met aussi à plat les rapports à l’intérieur d’un couple. Je vous dirais bien qu’on entre dans leur intimité, mais il n’en ont pas, si tant est qu’ils en aient eu une. Car bien qu’Eriko et Shinji vivent à des kilomètres l’un de l’autre, leur relation est finalement celle d’un couple normal : les années ont passé, désormais l’un se consacre à son travail, et l’autre à son foyer. Leurs contacts sont ceux, distants, de deux personnes qui sont devenues de « familiers étrangers », comme de nombreux couples avant eux. Et si Eriko sent sur ses épaules le poids des charges du quotidien peser un peu plus de par l’absence physique de son mari à la maison, en tous cas l’absence émotionnelle est-elle acquise et tenue pour normale par l’un comme par l’autre, dans une sorte de vie commune silencieuse où personne ne parle d’autre chose que des petites questions quotidiennes, et certainement pas de ce qui le travaille intérieurement. Ce statu quo, constat blasé d’une vie de couple comme tant d’autres, ne survivra pas à l’arrivée de Saki. Au milieu de tout ça, les problèmes soulevés progressivement par la présence de Saki dans leur vie vont poser une grosse question : le mutisme de leur couple est-il la cause ou la conséquence de leur éloignement ? Finalement, chacun a sa petite vie, ses habitudes, et c’est pas plus mal comme ça. Et surtout, ce que Saki provoque, on a un peu l’impression qu’une autre aurait pu le provoquer, simplement Saki y met bien plus d’habileté que la petite secrétaire qui travaille avec Shinji et le convoite, mais pas assez subtilement pour le charmer.
L’air de rien, c’était la première fois que je voyais un dorama passer autant de temps à détailler le quotidien d’une mère au foyer japonaise. On sent bien que l’existence d’Eriko ne serait pas tellement différente avec son mari à la maison ; mais aussi qu’elle est, en quelque sorte, dans des fonctions de représentation. Elle doit donner une bonne image du foyer, de son mari, de sa vie de femme, de sa vie de mère, de sa vie de belle-fille, et finalement on touche avec Utsukushii Rinjin au coeur de ce qui constitue le culte des apparences, dont on sent bien que, s’il est très fort au Japon, il n’est pas exclusif à ce pays. Des apparences dont, une fois de plus, Saki va se servir à la fois pour s’intégrer dans la vie de ses « proies », et pour sortir du lot, devenant la voisine sympa, la confidente attentive, la maman parfaite, la belle-fille idéale, la maîtresse rêvée, alors qu’elle n’est de toute évidence rien de tout cela, mais qu’elle connait parfaitement les codes.
Le problème c’est que la série s’ingénie justement un peu trop à jouer de ces codes, et là c’est sûr, ya du spoiler dans ce paragraphe.
La plupart des épisodes reposent sur le principe qu’on va voir comment Saki se fond encore mieux dans le décor pour mieux faire le mal, mais en définitive, le spectateur est mis dans la position d’attente. On a bien compris que Saki était un scorpion dangereux, mais on attend qu’elle frappe et le coup d’aiguillon ne vient pas. Ses motivations s’éclairent progressivement, mais pas tellement l’objet de sa vengeance : en veut-elle à l’intégrité physique du petit Shun ? Ou plutôt au couple d’Eriko et Shinji ? Ou simplement au petit bonheur simple d’Eriko ? Variant sa cible mais ne frappant jamais vraiment, Saki est un personnage qui dépense tout son capital « terreur » en regards par en-dessous et en manipulations sournoises, mais qui semble au bout d’un moment assez inoffensif. Alors quoi, elle va embarquer Shinji dans une relation extra-conjugale ? La belle affaire, il faudra attendre l’épisode 7 pour qu’enfin le pot aux roses soit découvert par Eriko ! Sur 10 épisodes ça fait beaucoup. Et dans ce cas pourquoi avoir passé tant de temps à cajoler le petit et le mener sur des sentiers borderline ? Il est évident que Saki voudrait être Eriko, ou plutôt avoir sa vie (devenir l’une permettant à ses yeux d’obtenir l’autre), mais on a l’impression que pour entretenir un suspense de façon artificielle, la série veut nous raconter la même histoire dans chaque épisode, au lieu de la faire évoluer de façon sensible et régulière. A cet égard, Utsukushii Rinjin aurait gagné à être raccourcie d’au moins, disons, trois épisodes, pour condenser un peu l’action ; l’ambiance d’un thriller est importante, mais le thriller ne peut non plus se résumer à son ambiance.
Après, cela n’empêche pas Utsukushii Rinjin de faire un excellent travail dans ce qu’elle dit de son personnage central qu’elle détaille avec une grande précision (Saki, et non Eriko, car comme chacun sait, dans un thriller, le plus délectable, ce n’est pas de voir le danger, mais de le lire sur le visage de la victime) et dont elle décrit bien les problèmes psychologiques. Le thème de la mort d’un enfant, du deuil par sa mère, est très bien transcrit, et l’enfilade de scènes au cours desquelles on revient dans le passé pour montrer comment Saki a vécu la mort de son petit est impeccable de désespoir. Qui ne deviendrait pas un peu fou après une pareille expérience ?
Et puis, à la toute fin de l’ultime épisode, on est bien obligé de reconnaître que le thème de la série est aussi plus dense que cette simple histoire de perte d’enfant, de vie qu’on voudrait voler, de revanche sur le deuil. C’est amusant parce que d’un côté ça semble assez soudain (le dernier épisode était gonflé à bloc de rebondissements, dont quelques uns plutôt inattendus), et de l’autre, je suis bien obligée d’admettre que j’aurais dû m’écouter quand, dans le pilote, je me suis dit « mais ça va pas la tête de dire ça ?! ». Voilà, en gros, le suspense s’était construit sur quelque chose d’effectivement trivial, mais parfaitement puissant. Et absolument, profondément, définitivement… TERRIBLE. Joli coup.
En fin de compte, l’histoire d’Utsukushii Rinjin est bonne, très bonne même, elle met juste trop de temps à se dérouler. Le thème est bon, la réalisation est bonne, le cast est bon, seulement voilà, ça dure juste un peu trop longtemps pour être parfait de bout en bout.
Tout d’abord un grand merci pour avoir retenté l’expérience. J’espère que le manque de commentaires ne va pas te décourager.
Ce qui est intéressant finalement, c’est que tu as trouvé la série parfaite pour l’exercice, puisque tu te rends compte en la visionnant que ça tire en longueur.
En tous cas chapeau pour la longueur, ça se voit que tu avais des choses à dire, notamment sur la vie d’une femme au foyer. Je dois dire que c’est ce qui m’attire le plus dans ce que tu décris de la série, l’énigme autour de Saki m’apparaissant un peu trop conventionnelle et prévisible.
Ca ne sera pas suffisant pour que je me lance (ma liste atteint la stratosphère), mais je te remercie encore d’avoir pris tout ce temps pour faire un bilan !