Plus on parle de crise, plus on voit émerger un sous-genre de la série dramatique qui se rapporte, à mes yeux, à une sorte d’apologie de la prostitution. Sûr que Hung en est l’exemple le plus explicite, mais pour moi, les héros de Weeds, Breaking Bad, et maintenant Lights Out n’en sont pas bien loin. Pour eux aussi, la question est : qu’êtes-vous prêt à sacrifier pour maintenir votre niveau de vie ?
Votre santé mentale et votre intégrité physique ? Deal.
Il n’y a pas grand’chose dans Lights Out qu’on n’ait déjà vu ailleurs : un cocktail détonnant de détresse financière exagérée au nom de la fierté (merde, commencez par déménager dans une maison plus petite, pour commencer), de déchéance physique et d’échéance médicale (histoire de faire mine de n’avoir plus rien à perdre), de pathos familial (papa ne m’écoute pas, ma petite femme semble aveugle aux réalités de la vie, je dois protéger ma progéniture de toute forme de vérité), et même un peu de médicaments, parce que vous savez quoi, on est sur le câble, nos personnages ont forcément un pilulier. Mais ça, ce n’est pas grave. Ce n’est pas ce qui m’ennuie le plus dans Lights Out.
Derrière son côté viril et ses muscles au kilo, derrière le regard bovin de son personnage central et la carrure de titan qu’il traine péniblement de scène en scène, il n’y a rien d’autre que cette seule question : qu’êtes-vous prêt à sacrifier pour donner le change ?
Dans la mascarade sociale de ces séries, c’est l’apparence qui prime. Garder sa maison gigantesque et continuer de donner l’impression qu’on a assuré, mais bouffer ses dents et passer des soirées en miettes sur le canapé pour paradoxalement pouvoir préserver une illusion de dignité. Ce qui n’est pas beau à voir, ce n’est pas le visage boursoufflé par les coups, c’est tout simplement ce qu’un homme est prêt à piétiner pour qu’on ne puisse pas le prendre en défaut. Laisser tomber la cuirasse est hors de question, c’est tellement plus facile de s’en prendre plein la gueule mentalement et physiquement.
Tout ça pourquoi ? Parce qu’il faut avoir son propre manoir pour montrer qu’on a réussi ?
Ces séries disent qu’on vit dans une société consumériste en crise, mais que c’est pas grave, on va continuer à faire illusion. Plutôt crever qu’admettre qu’on a fait fausse route.
Mais justement, vous comprenez, les spectateurs adorent ça ! Ils adorent voir ce grand type s’en prendre plein la tronche pour payer l’école privée de ses filles ! Ils adorent parce que c’est métaphoriquement ce qu’ils font quand ils ont deux boulots, alors ça leur permet de relâcher la pression et se trouver un boxeur de fiction pour personnifier tout ça une heure par semaine. C’est tellement impossible de ne pas plaindre ce grand gaillard plein de muscles, cette espèce de bête à qui son propre cerveau fait des tours et tord même l’espace-temps, comme les spectateurs quand ils ont encore oublié d’acheter du lait avant de rentrer ! Patrick prend les coups pour eux, et ils sont délestés d’un peu de fatigue de devoir faire des sacrifices aussi.
Mais vous savez ce qui serait encore mieux ? Qu’on arrête d’attendre que nos personnages de fiction se prennent nos coups métaphoriques dans la gueule à notre place. Qu’on arrête de plaindre les personnages qui font des choix irrationnels au nom de la fierté. Qu’on arrête de cautionner quand un personnage préfère crever qu’avouer qu’il a mal géré les choses. Qu’on arrête, surtout, bordel, de se dire que c’est noble de préférer se faire détruire au nom d’un apparent confort de vie, quand il suffirait de faire des sacrifices un peu moins couteux mais forcément moins spectaculaires pour garder son intégrité physique et mentale, et, peut-être, rebondir plus tard.
Je suis désolée, je ne peux pas regarder Lights Out sans trouver scandaleux cette justification du tout et n’importe quoi financier.
Si tu penses réellement que te payer une maison immense avec salle de gym perso vaut la peine de te faire exploser la tronche, si tu crois sincèrement qu’envoyer tes filles en école privée justifie de les priver potentiellement de père plus tôt que prévu, si tu estimes que payer les études de ta femme compense le fait de te la mettre à dos, alors tu sais quoi, je ne veux pas pleurer sur ton sort. On ne peut pas s’endetter bêtement et ensuite venir faire la pauvre bête en se plaçant face à la caméra avec un air piteux pour m’attendrir, ça n’est juste pas possible.
Tu sais ce qui serait franchement super courageux de ta part, Patrick ? Que tu déballes tout à ta femme, que vous fassiez les comptes posément, et que vous recommenciez tout à zéro, plus petit, plus humble. Ça c’est une aventure que je veux bien suivre. Mais te voir me dire, en filigrane, que même si tu dois te déglinguer, tu continueras de pourvoir aux besoins extravagants que la société t’a dicté d’avoir ? Non, ce n’est pas héroïque, et non, ça ne me tire pas une larme. Tu n’as que ce que tu mérites, Patrick. Tu as bien gagné ton Enfer perso.
C’est le fardeau de ceux qui ont tout voulu, tout de suite, que tu portes là. Et très franchement, c’est pas ta faute, mais t’es le loser doré de trop dans ma télévision.
J’aime bien quand tu t’emportes contre Patrick que je ne connais pas et ne connaitrai pas, c’est une série beaucoup trop virile pour moi
Cette série ne me dit rien qui vaille…