Manifeste politique

21 octobre 2010 à 17:16

Quand je suis arrivée au cinéma Victoria, il bruinait un peu et j’étais à la bourre. Pourtant, les portes n’étaient pas encore ouvertes et quelques personnes attendaient sur le trottoir, notamment deux hommes qui ne se parlaient pas mais semblaient être venus ensemble. Salutations d’usage ; « vous attendez aussi ? » ; celui qui portait un chapeau m’a répondu en anglais. Mes yeux s’allument et je comprends à qui j’ai affaire… « je peux en profiter pour vous poser quelques questions ? ». Quand j’ai actionné discrètement mon dictaphone, cela faisait déjà deux minutes que je discutais avec le directeur de la fiction de DR. Retenant derrière mes dents l’envie de l’interroger sur les finances de la chaîne (je ne suis pas là pour ça, après tout), je me suis lancée dans quelques petites questions anodines, espérant que le jeune homme qui l’accompagne bavarderait plus. Il avait une bonne tête de scénariste, lui, avec ses lunettes rondes…
Posant ma déjà habituelle question d’ouverture d’interview (« comment êtes-vous venu à ce projet ? »), j’entends soudain la phrase qui va totalement changer ma journée : « On avait beaucoup aimé A la Maison Blanche, alors on a voulu faire une série politique danoise ». La belle démarche intellectuelle que voilà. Il n’en fallait guère plus pour que je tombe amoureuse. Ce n’est qu’assise face à l’écran de cinéma que j’ai compris à quel point…

L’équipe de Borgen n’a fait aucun mystère de l’inspiration qui a été la sienne, mais le plus incroyable c’est que cette parenté ne se sent pas beaucoup quand on regarde l’épisode. A la grande rigueur pourrait-on éventuellement faire des parallèles avec Commander in Chief, mais plus sur le plan du pitch que sur celui du traitement.

D’ailleurs, si ce n’est l’idée de départ (« faire une série sur la politique »), et son personnage qui est une femme, Borgen n’a pas grand’chose de commun avec les deux séries que je viens de citer. Elle a choisi sa propre voie, celle de la politique vue par le prisme des médias, un regard qui a tendance à créer des cloisonnement plus que des rapprochements. Ainsi, c’est aussi la vie professionnelle et personnelle d’une journaliste, et l’activité de la rédaction d’une chaîne de télévision, qui servent à asseoir un certain nombre d’intrigues de ce pilote foisonnant qui explore, excusez du peu, rien moins que la trajectoire de 3 partis différents.

C’est vrai, son personnage central est un peu monochrome, mais la galerie de portraits qui l’entourent donne une variété incroyable de nuances, du Premier Ministre qui veut se faire réélire à tout prix à l’arrogant homme de droite aux idées puantes, en passant par les spin doctors et même la vie amoureuse ou familiale de plusieurs des personnages.

Je vous disais que le personnage principal, la chef du parti centriste Birgitte Nyborg Christensen, manquait un peu de nuances, mais elle incarne un certain idéal politique qui finalement s’inscrit bien dans le propos de Borgen. Montrant par contraste que tout le monde intrigue plus ou moins, Birgitte fait figure d’outsider parce qu’elle n’accepte pas/plus le compromis. D’abord un peu pâlichonne, la politicienne va progressivement prendre de l’assurance, allant jusqu’au lâchage complet, probablement convaincue qu’elle n’a plus rien à perdre de toute façon maintenant qu’elle est grillée. Et justement, c’est ce qui va attirer l’attention de l’électorat. On en arrive à une scène jubilatoire (et captivante) de débat télévisé, au cours duquel tous les chefs de partis politiques se réunissent pour lancer un dernier message aux citoyens, et où notre politicienne se lance dans un discours désarmant de sincérité (écorchant son image sans y réfléchir à deux fois). Les électeurs accueillent avec enthousiasme sa spontanéité gauche, parce que c’est, dans le fond, ce qu’on voudrait voir en politique.
En tant que spectatrice, j’étais ravie par cette scène, en tant qu’électrice, je l’étais aussi finalement…

Dans un monde politique plus individualiste que celui d’A la Maison Blanche, et bien plus pressé par les médias, Borgen dresse le tableau d’une politique idéale. Comme une revendication. Et pourtant, sans manichéisme.

Borgen, c’est un peu L’Etat de Grace qui aurait réussit : le projet d’une série européenne voulant prendre exemple sur une série américaine, mais trouvant son propre ton, sa propre personnalité, sa propre trajectoire. Borgen, c’était l’un de mes deux pilotes coups de cœur de Scénaristes en Séries.
Maintenant, vous savez ce que je fais depuis mon retour.
PS : la série a commencé à être diffusée fin septembre et je ne le sais que maintenant. Il y a vraiment quelque chose de pourri au Royaume du Danemark…

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

3 commentaires

  1. Livia dit :

    « Politique », « série », « A la Maison Blanche », voilà des mots qui raisonnent agréablement à mon oreille téléphagique.

    Que dire si ce n’est que ta présentation est très alléchante, que le sujet et le traitement que tu décris me paraissent très très intéressants (et totalement dans un registre que j’aime), que je regrette profondément la barrière linguistique et que je note le titre avec attention, au cas où, un jour… ^_^

    Merci de partager ces explorations scandinaves !

  2. traductrice dit :

    Bientôt…

    La série devrait à mon avis séduire les diffuseurs français. J’en traduis un épisode pour le FIPA 2011. Croisons les doigts pour que les spectateurs français puissent découvrir autre chose que des séries pseudo médico-juridico-policères !

  3. ladyteruki dit :

    Cher traductrice, c’est une excellente nouvelle ! J’ai vraiment eu un coup de cœur pour cette série (j’ai demandé les DVD de DR en import pour mon anniversaire ) et je pense qu’elle pourrait plaire en effet. Elle est peut-être même plus accessible qu’A la Maison Blanche.

    Si vous en avez l’occasion, n’hésitez pas à revenir nous voir et nous tenir au courant !

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