Il a tout juste eu le temps de se poser quelques minutes à l’hôtel, que déjà le bal des interviews, des débats et des projections commence. Alexandre Astier était cette année le parrain de Scénaristes en Séries et, dés qu’il entre quelque part, dés qu’il participe à une discussion, c’est comme s’il était devenu la référence, une sorte de héros. Je l’ai rencontré, afin de comprendre un peu mieux comment il travaille, et ce qui lui vaut cette étrange réputation d’exception qui confirme la règle…
« J’écris comme un musicien »
J’imagine que toutes vos interviews commencent pareil : « on ne vous présente plus, on ne présente plus Kaamelott… » ?
– « On ne vous présente plus » ça arrive souvent, oui. Ya ça, et ya le déballage des multiples fonctions aussi.
Ça, ça viendra plus tard. Et donc, on ne vous présente plus.
– Voilà.
Donc pouvez-vous vous présenter ? Sachant que tout le monde vous connaît, évidemment.
– Du coup faut que je choisisse, quand même, parce que j’ai jamais choisi. Moi j’aime bien dire : « je m’appelle Alexandre Astier et je suis comédien ».
Comédien avant tout ?
– Techniquement non. Comédien c’est ce qu’il y a de plus simple et c’est ce qu’il y a de marqué sur le passeport de mes parents, alors c’est… traditionnel. Techniquement je pense que je suis plus musicien que tout le reste. Je fais tout comme un musicien. Plus je vieillis et plus je me rends compte que j’écris comme un musicien, je joue comme un musicien, je monte comme un musicien…
Et comment on écrit comme un musicien ?
– On s’intéresse d’abord au résultat sonore. Tout est dirigé vers le résultat. Quand j’écris, c’est pas le sens qui m’importe le plus. C’est pas mon histoire qui… j’en ai une, d’histoire, je l’adore ; j’adore les structures, j’adore la fabrication et tout, mais je sais que si tout ça ne sonne pas bien, ça ne sert à rien. Personne va le recevoir, déjà. Il faut que ça sonne bien avant que ça veuille dire quelque chose.
Les dialogues avant le scénario ?
– C’est difficile de dialoguer sur rien mais il n’y a pas de scène qui mérite de ne pas sonner bien, voilà ce que je veux dire. Il n’y a pas de scène qui mérite que son information passe avant, on n’est pas là pour informer. On est là parce qu’il faut que ce soit chouette, d’une manière ou d’une autre. Audiard le disait (il n’était pas musicien pour autant, mais il le disait) : il faut avant tout qu’une réplique sonne, et moi je crois à ça. Si elle sonne, elle passe. Si elle passe, elle est transmise, y compris le contenu. Si elle sonne pas… ya rien.
Et ça vaut aussi pour le montage ?
– C’est encore pire le montage. Quand on s’intéresse au montage on s’aperçoit qu’on peut faire dire tout et son contraire à quelque chose qui a été tourné, même dans un but précis. Et moi en plus je fais la musique qui va sur le montage, donc on peut vraiment tout transformer. Une de mes pires expériences de montage, c’est mon tout premier court-métrage, que peu de gens ont vu parce qu’il est jamais sorti (enfin, il est sorti dans les festivals de courts, mais il a pas été commercialisé), et en fait comme on avait un partenariat avec France 3, j’avais été monté à France 3. Mais pas monter moi, je savais pas faire à l’époque, mais ils avaient une monteuse qui a monté ça « comme n’importe quel téléfilm ». Et moi j’étais persuadé d’avoir loupé mon coup un peu avec ce film, d’avoir été trop lent, trop je-sais-pas-quoi, ça marchait pas comme je voulais. Et puis bien plus tard quand j’ai eu le matériel chez moi pour monter, à partir du moment où j’ai fait Kaamelott, où je me suis équipé, tout ça… par amusement comme ça, j’ai remonté les rushes. Et j’ai trouvé que ça marchait. C’était vraiment pas comme ça qu’il fallait le faire, ça voulait plus dire du tout la même chose. On a l’impression que c’est une petite marge, que c’est un peu mieux quand c’est bien monté, un peu moins… Non. Ça marche, ou ça marche pas. C’est « on » et « off ». C’est pour ça que depuis je ne laisse plus rien être monté, même à des monteurs qu’ont plus de talent que moi, c’est pas le problème. C’est que je veux être garant du rythme des choses qui sortent de ce qu’on a tourné, parce que sinon je retrouve pas mes petits. Le montage je pense que, au finish, c’est le plus important de tout ce qu’on fait.
« Le montage, c’est la chose la plus agréable que je fais »
C’est justement pour garder le contrôle que vous êtes un homme-orchestre ?
– C’est pas pour garder le contrôle, je suis pas spécialement amoureux du contrôle. Je m’assure que ce que j’ai à dire ne sera pas déformé. Et la seule manière efficace que j’aie trouvée pour éviter ça, c’est d’être un peu partout, parce que j’aime fabriquer. Il n’y a rien qui ne m’intéresse pas, dans tout ce qu’on fait dans un film, je m’intéresse à tout. Il y a des choses que je connaissais d’avant, comme le son parce que je suis musicien, les micros, les machins… mais pour les lumières j’avais aucune notion de tout ça, eh bah je me suis intéressé. Ne serait-ce que pour pouvoir parler le même langage qu’un chef opérateur, je me force pas, j’adore ça, j’aime comprendre la discipline d’un autre. Par exemple le montage, c’est pas juste une idée du montage, c’est une relation avec une machine. Et c’est tactile, c’est charnel, ça ne passe pas par l’intellectuel. C’est pas comme si je demandais à quelqu’un « mets-moi quatre images en moins sur tel plan », je le fais. Je me le formule pas à moi-même, je le fais. Ça passe directement du besoin instinctif et sensoriel sur ce que je vois, au fait de le faire. Et je pourrais plus me passer de ça, c’est tellement puissant sur un résultat, que de me retrouver à l’ancienne, derrière quelqu’un qui maitrise la machine à lui dire « un peu plus, un peu moins », je m’épuiserais, et je serais triste parce que je ferais rien en plus. Faut que je fabrique.
Si ces rôles-là avaient été interprétés par quelqu’un d’autre : le monteur, le réalisateur, etc… Kaamelott serait différent ?
– Oui. J’ai essayé d’en prendre des monteurs, et c’étaient des gens qui manquaient pas de talent du tout. Mais je tourne ce que je veux monter. Donc je ne tourne pas comme un réalisateur qui va être monté par quelqu’un d’autre. Les réalisateurs qui tournent et qui savent que le montage va partir ailleurs, même s’ils sont toujours présents au montage, ils tournent beaucoup de choses pour se couvrir. Ils font plus de plan, ils tournent autour des gens, ils font des plans de coupe, pour pas risquer d’être trop courts sur un truc… moi je m’en fous de ça. Si je veux rester sur un bonhomme pendant une demi-heure, je reste sur un bonhomme pendant une demi-heure et je vais pas aller faire des plans de coupe pour assurer le monteur qui va… Non, je dis « ce plan-là ce sera trois minutes pleines sur sa tronche », et du coup c’est une autre façon de tourner, parce que je tourne exactement ce dont j’ai besoin, pas plus, mais du coup il faut vraiment que je sache où je vais au montage, parce que j’ai pas de sécurité. Mais encore une fois, si c’était pas un plaisir, je le ferais pas, évidemment. J’allais dire que le montage, c’est pratiquement la chose la plus agréable que je fais, je crois. J’aime pas trop sortir de chez moi, j’aime pas trop aller tourner, j’aime pas quand il fait froid…
Vous n’aimez pas trop aller tourner ?
– Non.
Vous vous êtes présenté comme comédien, pourtant…
– Oui mais ya très peu de moments sur un tournage qui sont intéressants, pour un comédien, ou pour un directeur d’acteurs, ou pour les deux. Mais même quand on tourne chez les autres, même avec un premier ou second rôle, on tourne toute la journée sur 5 répliques, 5 ou 6. On ne fait que faire, refaire, faire, refaire… dans tous les sens, gros plan, machin… On n’est pas dans le plaisir du jeu concret avec votre camarade de jeu, on n’est pas au théâtre, on se dit pas que boom, on part pour 2 heures et personne ne nous arrête, on fait toute l’histoire d’un coup… Non. J’adore mon métier, j’adore chercher, j’adore trouver, j’adore me poser des questions (comme tout le monde, ils vous le diront pas parce que ça fait pas bien de le dire, mais se poser des questions ça fait partie du métier). J’aime pas forcément tourner. En revanche, j’aime faire un effort pour aller tourner des images et pour les ramener chez moi. C’est comme les gens qui collectionnent les pierres ou les coquillages : ils ont une période de chasse et de recherche, mais le but c’est de ramener chez soi et de pouvoir faire des trucs avec. Et moi c’est ça : je ramène des images et là je peux commencer à faire un film, avant, c’est pas un film. Avant, c’est des souvenirs, des rushes sur des cassettes, trop long, trop court, pas dans l’ordre…
« Je suis pas persuadé de vendre ma prochaine série »
Et l’écriture c’est quoi dans ce tableau ?
– L’écriture, ya deux étapes très distinctes. L’écriture structurelle, celle-là c’est comme un boulot d’ingénieur, quoi : c’est des plans, c’est des arcs, c’est des techniques… Tout le monde a les siennes, je me suis fait les miennes depuis, mais elles sont quand même inspirées par les Américains. Je travaille sur un grand mur, métallique, et j’aimante des choses dessus que je déplace tout le temps, je rajoute des éléments, je fais une courbe là, je mélange mes machins… comme si je faisais les plans d’un pont ou d’un immeuble… et dans un second temps, c’est la chair des choses, ça va concerner les acteurs directement, les scènes qu’on va jouer. Là j’écris plus pour qu’on s’amuse, en fait. Un truc qui est censé plaire et faire plaisir aux comédiens. C’est deux étapes que je peux pas confondre parce que je les fais pas en même temps : la première étape me permet d’aller au séquencier… Moi mes dialogues je les écris très très tard, la veille pour le lendemain, voire même, le matin-même. Du coup, je les écris souvent épuisé, parfaitement épuisé, donc il faut que la structure soit nickel, il faut pas que je me demande ce que j’ai à écrire aujourd’hui. Si je commence à me poser la question, je suis foutu, surtout sur des saisons de 6h, comme la saison 6 qui était très dure parce que c’était un prequel, il y avait que des références sans arrêt, c’est quand même un puzzle. Si le puzzle n’avait pas été fait avant… La veille du tournage yavait pas un dialogue, pas un mot, mais je savais à la séquence-près ce que j’allais faire. Je savais quoi faire dire aux gens.
Quelle est la part d’impro pour les comédiens là-dedans ?
– Aucune. C’est au mot près, à la virgule près même. Alors ça fait un peu tyran comme ça, mais en revanche, c’est écrit sur mesure. Je peux me flatter qu’aucun d’entre eux ne soit venu me dire « je sais pas comment le dire », non ils sont contents de ce que je leur donne, c’est fait pour et c’est fait pour eux. Une fois, ya Thomas Cousseau qui au bout de trois fois m’a dit : « je vois pas ce que tu veux faire par là », et je l’ai enlevé. Parce que s’il hésite trois fois sur un truc qui est écrit pour lui, c’est que je me suis trompé. Moi j’attends des acteurs qu’ils me délivrent ce qu’ils ont de plus simple et normalement c’est écrit pour que ça sorte tout seul. Si ça coince, c’est que je me suis trompé quelque part, moi je suis pas à… La chose la plus fascinante quand on regarde quelque chose, au cinéma ou autre, c’est un acteur qui est content de ce qu’il fait et qui aime ce qu’il fait. Si ça lui reste dans la bouche comme un mauvais bonbon, il faut qu’on l’enlève.
Vous êtes conscient que c’est très différent de la façon de fonctionner de la plupart des fictions ?
– Bien-sûr, déjà parce que c’est beaucoup moins collectif. J’ai une grande chance d’avoir toutes ces casquettes, quand je dis « on enlève ça », on enlève ça. Qui va venir me dire qu’on l’enlève pas ?
C’est un hasard ou c’est quelque chose que vous avez imposé ?
– Non moi je peux pas bosser autrement donc non, c’est comme ça parce que… je me suis pointé avec Kaamelott déjà tourné, pratiquement. Le pilote était déjà fait, les acteurs étaient déjà là, le texte, le ton, le propos… mon autorité sur l’œuvre a jamais été contestée. Bon, pour un producteur, il n’a pas la main dessus, ça peut être un peu frustrant de temps en temps parce qu’il y a un seul type et si ce type-là commence à faire n’importe quoi, on est foutus, mais j’ai jamais profité de mon pouvoir pour faire n’importe quoi. J’ai changé la série, c’est sûr elle a beaucoup été modifiée, mais en fait les gens sont contents qu’il y ait un chef. C’est très rassurant, on sait qu’il y a un type, et qu’il laissera pas passer les trucs qu’il veut pas, il ira pas n’importe où… Les gens me reconnaissent cette autorité-là, elle sert. Ce que j’ai voulu, je l’ai toujours eu, personne vient contester… Surtout en écrivant à la dernière minute : personne ne lit ! Personne ne sait ce que je vais tourner !
C’est un fonctionnement que vous conseillez à d’autres auteurs ?
– Bah, personne d’autre ne l’a, moi-même je l’aurai plus.
Vous en êtes certain ?
– Non je l’aurai plus. Ça a commencé comme un tout petit format, c’était pas surveillé, ensuite c’est devenu un long format mais c’était toujours pas surveillé… Bah, je dis que je l’aurai plus, j’espère que si quand même, que j’ai prouvé que je pouvais le faire, mais les producteurs, les diffuseurs, ils veulent se sentir un peu fabricants eux aussi. Ça leur fait bizarre quand tout d’un coup ya un type qui prend tout en charge et qui leur demande pas leur avis, c’est frustrant. C’est pas des banquiers non plus. Même si c’est pas une création collective, il y a quand même une notion de partenariat. C’est l’image de leur chaîne aussi… Là ça convenait, yavait le succès, on m’a foutu la paix. Je ne sais pas, vraiment je ne suis pas sûr qu’on me foute autant la paix ensuite. C’est sûr que j’aurai aucun plaisir à ce qu’on m’explique mon métier, mais je ferai pas si jamais ça me va pas, je ferai pas. C’était un gros succès, Kaamelott, on a vendu plus de DVD que les séries américaines super célèbres, c’est vraiment un carton. Pourtant, je suis pas persuadé de vendre ma prochaine série.
Article également publié sur SeriesLive.com.